Rituel du matin, elle se lève et fixe le jardin des Tuileries depuis la fenêtre de sa chambre pendant plusieurs minutes sans se soucier de l’heure, de ce qu’on lui a prévu de faire ou de ce que font les autres. Une sorte d’égoïste. Ivana se retrouve plus tard dans la cuisine en trainant des pieds. On lui a dressé une liste de petites tâches à faire, comme tous les jours, mais le combiné téléphonique posé à côté ne la rassure pas. Elle n’a pas besoin de regarder la feuille plus attentivement pour savoir qu’elle serait contrainte d’adresser la parole à un inconnu. « Maas et fils, magasin d’antiquités, bonjour. Que puis-je pour vous ? » Antiquités ? La rouquine jette finalement un coup d’œil à la liste. Il faudrait faire estimer les biens que vous comptez garder ou pas. Elle lève les yeux au ciel et oublie de répondre. De toute façon, elle ne sait absolument pas quoi dire. « … » Mais le pire, c'est qu'elle est à mille lieux de trouver la situation embarrassante. Ce n’est pas une tâche facile, ça. Alors qu’elle a parfaitement compris le but de cet appel, c’est là qu’Ivana se met plus ou moins à penser tout haut. « C’est vous qui vous occupez des vieilles choses poussiéreuses ? »

« … ». God, save me please. J’étais pas dans la merde moi, cet appel était un canular ou quoi ? J’étais en train de rêver c’est ça ? Ou de cauchemarder plutôt. Un mélange de colère et de honteux m’envahie soudainement. Je ne savais pas quoi faire : demander s’il y avait une personne au bout du fils en répétant un « allo ? » totalement débile ou tout simplement raccrocher. « C’est vous qui vous occupez des vieilles choses poussiéreuses ? ». Ouf, j’étais un peu rassuré là. C’était la voix d’une femme, je ne m’attendais pas à ce genre de réponses, j’étais, comment dire, surpris. L’envie de rire traversa mon esprit mais je ne ris pas. Cette réponse n’avait pas l’air direct, j’veux dire par là que l’on n’aurait pas dit qu’elle m’était directement adressée. C’était trop bizarre et l’pire dans tout ça c’est que je ne savais même pas quoi répondre. La honte, encore une fois. J’ai comme envie de m’enfoncer sous terre là. Je fixe ma vieille guitare acoustique préférée sur son trépied, celle que j’essaie toujours de garder dans la boutique. Oui, j’empêche les gens de l’acheter, c’est cruel mais elle me tient trop à cœur. En quête d’une éventuelle réponse, je me mets par répondre tout bêtement. « Oui. ». Mon dieu, envoyez moi une pelle, que je creuse mon trou. Cet appel ressemble à un dialogue entre deux chaises, c’est affolant.

La voix de son interlocuteur relève le manque de confiance, ce qui la fait sourire sans pour autant la mettre à l’aise. Cinglée, mais pas idiote. « Oui. » Au moins, ça a le mérite d’être clair, limpide et audible. Savoir qu’elle n’est pas la seule à avoir un souci assez… handicapant dans le domaine de la communication ne l’a jamais encouragée. Si elle pouvait continuer de fuir tout cela, elle serait surement un jour heureuse. « Alors je suppose que vous… attendez, oui que vous venez chez les gens pour dire combien valent les trucs poussiéreux ? » Ils ont l’air malin ces deux là. C’est mignon quand c’est haut comme trois pommes et que ça joue dans un bac à simple, quand ça rentre dans le monde des adultes, ça fait un peu peine à voir. Peu importe, Ivana est encore ce petit animal qui fait peine à voir, sans même en avoir conscience. La rouquine se mord la lèvre en repensant à ce qu’elle vient de dire. « Chez les gens. », murmure-t-elle une seconde fois. Quelqu’un chez elle. Encore. Et cette fois se cacher dans un placard ne risque pas d’être possible.

La seule chose que j’avais envie de dire c’était … pitoyable. Ouais, j’étais pitoyable. Ma réponse était d’une idiotie suprême. Je ne serais jamais un bon commerçant si je n’arrive même pas à lâcher plus qu’un simple oui. J’ai honte, je baisse la tête, j’ai réellement envie de creuser mon trou là. Vite, elle est où cette putain de pelle ?! Je fronce légèrement les sourcils et soupire doucement. « Alors je suppose que vous … attendez, oui que vous venez chez les gens pour dire combien valent les trucs poussiéreux ? ». Bizarrement j’étais un peu rassuré, rassuré de voir qu’il n’y avait pas que moi dans cette ville qui avait des problèmes de … communication. Mon visage se décoinça, je virais cette grimace d’homme qui vient de se rendre compte de son pathétique. Je me concentre, pour essayer de chasser cette peur de l’autre. « Effectivement, nous faisons des estimations à domicile. Vous êtes intéressées ? ». Il va neiger. Je n’ai pas tremblé de la voix, mon cœur ne s’est pas emballé, rien. Je me bade un peu sur ce coup, je souris même le temps d’un bref instant. Je joue avec le fils du téléphone, parce que oui, on fait tout dans le vieux, on connait pas les téléphones sans fils à la boutique.


ps: j'crains c'est d'la merde.

Être aussi jeune et inculte du monde extérieur. « Effectivement, nous faisons des estimations à domicile. Vous êtes intéressée ? » Elle soupire, hausse les épaules, lève les yeux. Bref la totale. Que doit-elle dire dans une telle situation. Les mots lui échappent. Intéressée ? On lui a plutôt demandé de le faire pour une raison qu’elle ignore encore. Comptent-ils tout vendre ? Est-ce une sorte d’inventaire tout simple ? Elle doit juste réussir à formuler deux ou trois phrases pour les faire venir. « Je… suppose… » Ivana s’appuie contre le plan de travail, bouche bée. « Il y a quelqu’un… chez moi. Je… Sau… » Ce sont les seuls mots qu’elle parvient à murmurer. Comme d’habitude, elle est certaine d’avoir vu quelqu’un traverser le couloir. C’est comme ce sentiment d’être surveillée par quelque chose d’inconnu. « Mademoiselle Ivana… Qui est à l’appareil ? » La gouvernante semble avoir récupéré le combiné. Étendue sur le carrelage frais de la cuisine, la jeune femme essaye de reprendre son calme, indécise. Céder à la panique ou à la tristesse ? Personne ne la comprend ou ne cherche à la croire, parce qu’il paraît que tout est dans sa tête. Son entourage ne parle pas encore de folie. Juste malade.

« Je … suppose … ». Elle n’avait pas l’air très au courant, je fronce légèrement les sourcils. C’était un canular ou quoi ? J’suis quelqu’un de calme mais les canulars téléphonique arrivent de plus en plus ces temps-ci, c’est assez énervant. D’ailleurs là, ça commençait à me chauffer les oreilles. « Il y a quelqu’un … chez moi. Je … Sau … ». Mon dieu, qu’est-ce qui était en train de se passer là ? À présent je priais pour que ce soit une blague. Certes, une blague pas drôle, mais une blague, que ça soit faux. Imaginez, si j’suis en train de vivre un moment tragique en direct au téléphone, je me n’en remettrais sûrement jamais. Je fronce encore plus les sourcils, je tends l’oreille. « Vous êtes là ? … ». Je tremble encore plus de la voix. J’attends un bruit, comme une forte respiration, comme quelqu’un qui a du mal à respirer ou je ne sais quoi. Merde, j’suis en train de flipper. Détenant un brevet de secouriste avancé, j’sais reconnaitre quand quelqu’un ne va pas bien. Mon dieu, mon cœur va lâcher je crois. Des personnes entrent dans la boutique, je les ignore, ça serait pas la première fois. Mon visage est pâle. Les clients froncent les sourcils en me regardant, soit parce que je suis mal poli, soit parce que mon visage trahit mes émotions du moment. Je respire, hausse la voix. « Répondez madame ! ». Personne, je m’inquiète. Les clients me dévisagent. J’attends du bruit, des pas, quelqu’un prend le téléphone. « Mademoiselle Ivana … Qui est à l’appareil ? ». Mon dieu, pitié quelqu’un du côté du bien. Inconsciemment je croise les doigts à travers le fil du téléphone. Je fronce les sourcils, je suis en train de m’énerver, angoisser, flipper, tout ça à la fois, je me connais, mauvais mélange. J’commence également à perdre mon sang froid. « Et vous, vous êtes qui ?! Où est la jeune femme que j’avais au téléphone il y a deux minutes ?! ». Ça y est, je ne me contrôlais plus. Quand je suis énervé, bourré, à un stade avancé, je sors de mes gonds, je suis méconnaissable.