Aujourd'hui est le jour idéal pour passer à la phase un du plan. Enfin, ce n'est qu'une façon de parler puisque je n'ai pas vraiment de plan. J'ai jamais été doué pour l'organisation, et c'est pas d'main la veille que ça va changer. Alors bon. Moi, Jace Connor, préparer un plan ? fallait pas m'en d'mander trop. Mon plan, j'l'improvise chaque jour, à chaque instant de la vie, j'suis le roi du Carpe Diem.

Je me dirige avenue champs-élysées, comme d'habitude on ne peut pas faire cinq pas sans bousculer quelqu'un ou sans devoir s'écarter parce qu'on est sur le chemin d'un passant. Ça, ça a le don de m'agacer, j'pourrais très bien me mettre à crier « dégagez d'mon chemin, c'est une urgence » mais j'aime pas attirer trop l'attention alors vaut mieux que j'me taise. Et puis avec moi, ça pourrait vite dégénérer. Alors j'prends sur moi.

Cinq minutes à peine plus tard, sans aucune hésitation, arrivé devant un petit bistrot à la devanture chic, je m'engouffre à l'intérieur et me dirige droit vers une petite table. Elle se trouve à droite, au fond, près de la fenêtre. C'est une petite table pour deux, qui est également un poste d'observation parfait pour voir les allés et venus des parisiens et des touristes. Je consulte ma montre, je suis pile à temps. Je m'améliore décidément, d'habitude je suis toujours en retard et c'est pas faute de ne pas courir vite. Je m'installe sur la chaise dos au mur, de là j'aperçois aussi très bien la porte d'entrée qui dling constamment lorsqu'on l'ouvre et la referme. Il y a pas mal de monde, mais le bistrot n'est pas plein pour autant. Je fais un signe à une serveuse, j'lui commande un café et un croissant et je m'installe confortablement dans mon siège. Je n'ai plus qu'à attendre. Ma commande servie, j'pose un pied sur la chaise en face de moi et je plonge dans la rubrique news du journal qui se trouvait sur la table d'à côté, juste avant que je m'en empare. Je feuillette machinalement, j'prends même pas le temps de lire deux mots. Je prends une gorgée de caféine, l'arôme amer me rappelle que j'suis censé surveiller la porte d'entrée.

Pile au bon moment j'dois dire. Elle pousse la porte avec détermination, elle rentre, elle s'avance jusqu'à sa table habituelle. Son visage change d'expression. Un inconnu s'est invité à sa table. J'devine qu'elle jure intérieurement. Bouh, elle va pas être contente. Un sourire se dessine sur mes lèvres, caché derrière mon journal elle ne voit pas que je l'observe. Elle hésite, que faire, changer de place ou récupérer la sienne ? Que vas-tu décider ma p'tite Elizabeth ? J't'attends, moi. Et je t'ai suffisamment observé pour deviner avec facilité que tu ne vas pas tarder à t'avancer.

Tout était absolument parfait. Du lever à l'heure exacte donnée par mon réveil à la douche d'une température plus qu'agréable. Aujourd'hui, c'était mon jour de congé. J'avais donc plus de temps pour effectuer mes tâches quotidiennes, mais pourquoi ça ? Il fallait toujours que tout soit pareil, que je suive mon emploi du temps. D'ailleurs, je vérifiais rapidement mon agenda pour constater que je n'avais point de rendez-vous. Dommage. La page était pratiquement vide, à part les griffonnages par rapport à ce que je ne devais pas oublier. D'aller retirer de l'argent à la banque. De ranger mes chaussettes et mes bas. Un soupir s'échappa de ma bouche alors que je me séchais devant le miroir, admirant avec une certaine paresse mon corps fin. Parfois, je pensais être trop maigre. D'autres fois, je me trouvais de la taille parfaite. Tous les habits m'allaient.

Malheureusement, pour avoir des habits, il fallait de l'argent. Et ce n'était pas ça qui arrivait en masse ces temps-ci. Mon pauvre boulot au magazine me rapportait que très peu et ma mère n'était pas une référence pour m'aider à subvenir à mes propres besoins. Alors, j'allais souvent dans le découvert. Je détestais que l'on m'aide par rapport à ce plan là : j'avais ma fierté. Je m'en sortais toujours sans trop de complications et arrivais à remonter la pente sans avoir à faire des choses dégradantes. Je ne demandais pas trop de choses à ma colocataire mais je savais quel métier elle faisait. Jamais je ne pourrais.

Finalement, je m'habillais rapidement. Un t-shirt serré avec une veste marron, une jupe assortie et des escarpins. Une broche ajoutée et une barrette plus tard, j'étais prête pour me rendre aux champs élysées. J'étais obligée d'emprunter le métro parisien et cela me révulsait en tous points. La saleté, les gens, l'odeur .. C'était l'enfer. Mais je me forçais et après avoir essayé de me distraire en observant les différentes personnes autour de moi, j'arrivais finalement à destination. Je pus enfin aspirer l'air, l'air frais de l'avenue la plus chic que je connaissais. C'était ma petite envie de luxe qui me poussait à venir, à la même heure tous les jours, commander un café dans un bistrot tout à fait charmant.

Je poussais la porte de l'établissement en question et me dirigeais vers ma table habituelle, tenant mon sac avec beaucoup de précaution. Si il y avait bien une chose dont je pouvais me passer, c'était d'un vol parce que j'avais été distraite. Et là, problème. Qui est ce jeune homme ? Je m'éclaircis la gorge tandis que celui-ci était en train de lire un journal. Ma mâchoire se serra. L'angoisse prit part de mon corps mais je pris soin de ne pas la montrer. J'avais tendance à devenir folle dès qu'une chose de mon emploi du temps parfaitement organisé n'était pas comme d'habitude. Et là, c'était le cas. Arrivée près du jeune homme, je pris soin sans plus de précaution de lui arracher son journal des mains pour le poser sur la table d'à côté. Enfin, je pouvais voir son visage. Un sourire forcé prit place sur le mien.

« Ce serait très aimable de votre part de me laisser la place que j'occupe tous les jours à la même heure. Je comprends bien que c'est sûrement votre premier passage dans ce bistrot, mais je ne souhaite pas me montrer plus méchante que je ne le suis en appelant le gérant. S'il vous plaît, donc .. »

J'attendis quelques secondes mais il n'avait pas l'air de vouloir bouger. Problème.

J'avais vu juste. Pas que j'en ai douté, m'enfin te voir par-dessus mon journal, t'avancer en ma direction, me renforce l'idée que j'aie de toi. Tu es quelqu'un de prévisible, pourquoi faut-il que tu diriges et contrôles tout dans ta vie ? Lorsque tu arrives à ma hauteur, je fais toujours comme si je ne t'avais pas remarquée, mais mon journal disparaît tout à coup de mes mains et vient se poser sur la table d'à côté. Je ne t'aurais pas cru si violente Elizabeth. Pour te donner un peu contenance, tu me souris, et je te rends ton sourire. Avec une touche narquoise en plus. « Ce serait très aimable de votre part de me laisser la place que j'occupe tous les jours à la même heure. Je comprends bien que c'est sûrement votre premier passage dans ce bistrot, mais je ne souhaite pas me montrer plus méchante que je ne le suis en appelant le gérant. S'il vous plaît, donc ... » Donc... ? Voyons, tu ne me connais pas, mais tu crois vraiment que j'ai une tête à obéir ? Mademoiselle exige, mademoiselle fait ses caprices, mademoiselle veut sa place, alors elle l'aura ? Non, ça ne marche pas comme ça. On est dans la vraie vie, ma belle, réveille toi. Je décide de rentrer dans ton jeu. Intérieurement, je me frotte les mains de contentement, on va bien s'amuser ma p'tite. « Oh ! Mince alors. » dis-je en me retournant et en observant le dos de mon siège. « Je n'ai pas vu votre nom sur le dossier ? » Je te fais face et je croise les bras sur mon torse, faisant ressortir mes biceps. « Je suppose qu'il a du s'effacer avec le temps. Ça fait tellement de temps que vous avez l'habitude de venir ici j'imagine ? » Je t'adresse un autre sourire railleur. Tu crois vraiment que je vais m'en aller ? Non, ce n'est absolument pas l'objectif. L'objectif est d'apprendre à te connaître, plus que je ne te connais déjà bien sûr. L'objectif est aussi que tu en saches le moins possible de moi, même si ça risque d'être plus compliqué. Et le gérant ne m'impressionne pas. Pour appuyer mes dires, je pousse du pied la chaise où je m'étais étendu. J'incline un peu la tête sur le côté et de la main je lui indique que la chaise est libre. « Cette chaise est libre si vous le souhaitez. Je comptais déjeuner seul, je n'attends en fait personne. Mais cette place paraît vous tenir tellement à coeur que je n'ose plus vous la refuser. » Alors qu'en dis-tu de cela, Elizabeth ? Vas-tu oser t'asseoir ? Ta fierté est si immense que je te vois mal refuser. Un refus de ta part reviendrait à perdre la partie. À abandonner avant même qu'elle n'ai commencée. Ce n'est pas ton genre bien sûr. Je me penche pour boire une gorgée de café, je n'ai pas la moindre envie de bouger, alors il va falloir que tu te contentes de ce siège libre en face de moi. Je t'adresses un sourire amical cette fois-ci.

Il y a certaines rencontres qui sont anodines. D'autres, qui vous donnent l'impression que votre journée va changer. Je détestais les dernières. Je n'avais pas besoin d'un .. petit plaisantin dans ma vie, qui me dérangeait déjà avec une simple chaise. Une simple chaise ! Ne pouvait-il pas faire un effort ? Une autre personne que moi aurait dit que j'étais celle à faire des caprices. Mais ce n'était pas de cette façon que je le voyais. Je venais tous les matins pour me détendre, si c'était possible, et consulter mon agenda avec le plus de sérieux possible. Un seul battement d'ailes et .. vous connaissez la suite. Je me sentais déconcertée, troublée, perdue. Ma gorge se serra, mes mains commencèrent à trembler et je m'appuyais sur la dossier de la chaise libre pour ne pas le montrer. « Oh ! Mince alors. » Je me renfrognais. Je sentais bien que je n'allais pas apprécier son ton faussement innocent. « Je n'ai pas vu votre nom sur le dossier ? » Je tournais la tête, avalant ma salive en serrant les dents. Je n'aurais pas dû venir aujourd'hui, j'aurais dû juste prendre un livre et aller me balader dans un parc. J'avais la drôle d'idée qu'il n'était pas là par hasard et qu'il avait voulu prendre ma chaise. Peut-être étais-je paranoïaque. « Je suppose qu'il a du s'effacer avec le temps. Ça fait tellement de temps que vous avez l'habitude de venir ici j'imagine ? »  Si j'avais été violente, je lui aurais envoyé un bon coup de poing pour effacer ce sourire railleur. Cela ne me plaisait pas du tout. Je n'avais pas été énervée contre quelqu'un depuis un bon moment et ce garçon arrivait à me faire sortir de mes gonds. Toujours contrôler, toujours contrôler, c'était ce que je me répétais inlassablement. « Cette chaise est libre si vous le souhaitez. Je comptais déjeuner seul, je n'attends en fait personne. Mais cette place paraît vous tenir tellement à coeur que je n'ose plus vous la refuser. » J'observais la chaise qu'il venait de me montrer. Oui. J'aurais très bien pu m'asseoir, faire ce qu'il avait envie. Ou alors partir. Mais les deux options me semblaient comme lui laisser la victoire. Alors, je restais plantée là devant sa table, observée par plusieurs personnes dans la pièce qui ne comprenaient pas mon problème. « écoutez, je sais très bien que vous ne tenez pas autant à cette chaise que vous le laissez paraître. Vous aimez avoir le contrôle avec les femmes, non ? Eh bien, vous n'aurez pas ce que vous voulez. Je pourrais crier. Je pourrais pleurer. N'importe qui me croirait au dessus de vous, et vous seriez expulsé du bistrot illico. On essaie ? » Je me redressais et me concentrais. Mes ongles s'enfoncèrent dans le dossier de la chaise que je tenais toujours, tandis que mes yeux commençaient à s'humidifier. Merci l'invention du waterproof, je serais toujours aussi impeccablement maquillée. J'observais le jeune homme tandis que les larmes commençaient à se former. Quelques sanglots bruyants s'échappèrent et plusieurs personnes commençaient déjà à nous regarder bizarrement.

Je jette un coup d'oeil vers le monde autour. Les gens se demandent pourquoi tu restes plantée là, comme ça, debout, les deux mains appuyées tantôt sur la table, tantôt sur la chaise, Elizabeth. C'est le moment de faire ton choix. À quel point es-tu butée ? Autant que moi j'imagine. Alors nous sommes dans une impasse ma chère. Que vas-tu décider ? Battre en retraite ou continuer la guerre ? C'est là THE question à deux millions d'euros. Nous allons bientôt avoir la réponse les amis. « Écoutez, je sais très bien que vous ne tenez pas autant à cette chaise que vous le laissez paraître. Vous aimez avoir le contrôle avec les femmes, non ? Eh bien, vous n'aurez pas ce que vous voulez. Je pourrais crier. Je pourrais pleurer. N'importe qui me croirait au dessus de vous, et vous seriez expulsé du bistrot illico. On essaie ? » J'avoue, je ne m'attendais pas à ça. Dans le genre enfant capricieuse, je te mets un dix sur dix. Tes doigts se crispent sur la chaise, vas-tu vraiment aller jusqu'au bout de ton idée ? Faire une crise devant tout un public ? Je te tire mon chapeau, et pourtant je ne cède pas. Je ne bouge pas d'un cil, je te regarde, sans pitié, j'attends de voir jusqu'où tu seras capable d'aller pour me faire virer. J'observe du coin de l'oeil les gens se retourner, ils nous regardent, ils te regardent. Ils s'interrogent, quelles sont les raisons de tes pleurs ? Pourquoi le type en face de toi ne fais rien pour te consoler ? Il devrait te prendre dans ses bras, te tapoter doucement dans le dos, te filer un mouchoir. Et si le gars en question ne fait pas ça, c'est qu'il est l'auteur de tes sanglots. Je te regarde avec amusement, quelle bonne comédienne tu fais ! Une idée me vient. J'me lève, je m'empare de ma chaise et je la fais passer de l'autre côté de la table, à côté de toi. Je sais que tu te demandes ce que je fous. Eh bien ma jolie, tes désirs sont des ordres, la voilà ta chaise. « Excusez moi. » J'attrape tes mains dans les miennes, je les retire du dossier pour attraper la seconde chaise que je prends et pose à ma place, contre le mur. Je me rassois et croise les jambes. Et voilà, en moins d'une minute j'ai effectué un changement de fauteuil, tu as désormais ta si importante chaise malgré que tu sois toujours à la même place. « Voyons... » commencé-je d'une voix grave mais douce à la fois « Quel âge avez-vous ? Vingt et un ans tout juste, je devine. Cessez ces pleurs, vous l'avez votre chaise. » Oui, jouons sur les mots, va. Tu es contente ? J'en doute mais bon. Un pauvre mec t'as bouleversé ton emploi du temps du matin, il va te falloir plusieurs semaines pour t'en remettre, hein ? Je sais que c'était la place que j'occupe, dos au mur, que tu convoites. La chaise, en réalité, tu t'en fous royalement. Estime toi heureuse que j'ai bien voulu procéder à l'inversement de chaise, j'aurais pu te proposer une offre bien plus drôle pour moi et rageante pour toi. Elizabeth, veux-tu t'asseoir sur mes genoux ? En y repensant, je regrette, j'aurais du te proposer ce deal, juste pour voir ta façon de réagir face à ce compromis. « Je dois bien avouer que vous êtes fort bonne comédienne. Pourtant vous ne travaillez pas dans ce milieu, le théâtre. Vous auriez pu, vous auriez fait carrière. » Ce n'est pas une question, c'est une affirmation. Tu es stagiaire en journalisme, je l'ai lu dans ton dossier. « Particulièrement dans les scènes de crises de larmes. » j'ajoute avec un sourire en coin. Je tapote du bout des doigts sur la table. Il y a tellement de choses que je sais à propos de toi, ma p'tite Elizabeth. Peut-être même des choses dont tu n'es pas toi-même au courant. Comme tes plus grandes faiblesses, tes plus grandes peurs.

Fort. Vraiment très fort. Je m'étais attendu à ce que le jeune homme cède à mon caprice et se lève de sa chaise, mais au lieu de ça .. Il eut l'idée d'intervertir les deux. Très intelligent. Tout de suite, il remonta dans mon estime et ma curiosité fut attisée. Que cherchait-il ? « Excusez moi. » Il prit mes mains et je n'eus le réflexe de les enlever. Mais bien vite il les lâcha. Ce contact me contracta. J'avais presque la phobie de tout contact physique et je faisais de mon mieux pour l'éviter. Aucun garçon ne m'avait jamais touchée et j'en étais bien heureuse. Même une simple poignée de main, une bise, était pour moi un supplice. «Voyons... » J'avais ma chaise, à présent. Mais cela ne m'allait pas, non, ce n'était pas ce que j'avais demandé. Je voulais ma place ! Mais finalement, je renonçais à mon caprice pour m'asseoir sur la chaise qu'il avait soigneusement déplacée pour moi. Ma fureur s'était un peu calmée et j'étais encore troublée par cet homme qui avait de bien bizarres idées. Cet homme qui m'agaçait déjà. Et puis, comptait-il rester à cette table ? Je compris bien trop tard que nous étions maintenant deux et que nous allions prendre un café ensemble. Superbe. Un soupir s'échappa de ma bouche et je m'enfonçais dans ma chaise, gardant pourtant une posture impeccable. « Quel âge avez-vous ? Vingt et un ans tout juste, je devine. Cessez ces pleurs, vous l'avez votre chaise. »  Devine ? Comment avait-il deviné cela ? Je ne parus pourtant pas impressionnée. C'était un hasard fortuit, c'était tout. Je poussais un grand soupir, face à cet homme qui répondait à ses propres questions. Mes pleurs avaient pourtant cessé, mais une larme restée sur ma joue fut bien vite effacée. Je me sentais maintenant ridicule d'avoir fait tout ce cinéma pour ne pas avoir ce que j'avais envie. Il avait gagné. Et je le haïssais pour ça. J'aurais dû l'ignorer et faire comme s'il n'existait pas mais c'était impossible. « Je dois bien avouer que vous êtes fort bonne comédienne. Pourtant vous ne travaillez pas dans ce milieu, le théâtre. Vous auriez pu, vous auriez fait carrière. » Je relevais le regard pour croiser le sien. Comment savait-il ? .. Il faisait peut-être partie de ces Sherlock Holmes qui devinaient tout jusqu'à votre profession grâce à votre habit, votre manière de marcher .. Je restais toujours muette. Je n'avais pas envie de parler. « Particulièrement dans les scènes de crises de larmes.» Je m'éclaircis la gorge et levais la main pour qu'un serveur vienne prendre ma commande. « Comme d'habitude, s'il vous plaît. » Il acquiesça en regardant bizarrement l'inconnu qui était en face de moi. Qui était-il ? Un amant ? De la famille ? Un collègue ? Il ne le saurait jamais. Et ainsi, je commençais à taper mes ongles contre le bois de la table à un rythme rapide. Agaçant, même. « Votre petit numéro n'est guère impressionnant. » Je cherchais son regard jusqu'à me fixer dans ses prunelles bleutées. Semblables aux miens, pensais-je silencieusement. Mon café noir et sans sucre arriva bien vite, accompagné d'un petit gâteau salé qu'ils sortaient de la réserve spécialement à ma demande. Cela faisait plusieurs années que j'étais ici, et je connaissais pratiquement tout le personnel. Ils ne m'aimaient pas particulièrement mais cela ne me dérangeait guère. « je suppose que toutes les filles craquent face à votre perspicacité, ou tout du moins ce que vous en montrez. Et puis l'air « Je m'amuse de tout » est particulièrement agaçant. » Je venais de me rendre compte que j'étais en train de faire la conversation alors que j'aurais pu boire mon café en paix. Une dernière phrase, une dernière .. « Pourquoi ne pas avoir changé de table ? »

Je pouvais entrapercevoir ma victoire dans ton regard. Soit, je veux bien t'accorder le fait que tu es quelqu'un de déterminé à avoir ce que tu veux. Malheureusement on ne peut pas gagner à tous les coups et d'ailleurs, ce moment-ci est à marqué d'une pierre blanche, peu de gens osent te tenir tête n'est-ce pas ? Je m'en doute, j'ai remarqué que tu as peu d'amis. Tu dois tous les faire fuire quand tu fais cette tête là. Tu prends enfin place en face de moi, tu fais ta commande, tu penses avoir des privilèges en tant qu'habituée de ce petit bistrot ? Peut-être, dommage que tu ne fasses pas plus d'effort pour être sympathique avec les employés. « Votre petit numéro n'est guère impressionnant. » Je ne trouvais rien à redire. Mon petit numéro ? Quel petit numéro ? Qui disait que je jouais forcément. Elizabeth, tu m'intrigues. J'ai envie d'apprendre à te connaître, ouais c'est mal, surtout quand on pense à ce que je suis censé faire avant la fin du mois. Mais j'vais te laisser vivre encore quelques temps, histoire que tu profites bien de la vie avant de la voir se terminer prématurément. Désolé, ouais, sincèrement désolé. J'ai pas réussi à m'empêcher de débarquer comme ça dans ton quotidien. « Je suppose que toutes les filles craquent face à votre perspicacité, ou tout du moins ce que vous en montrez. Et puis l'air « Je m'amuse de tout » est particulièrement agaçant. » C'est la deuxième fois que tu fais référence à mon charme auprès de la gente féminine, Elizabeth. Cela signifierait-il que tu n'es pas également insensible à moi ? Haha. « Si j'ai l'air, je m'amuse de tout, comme vous l'appelez, c'est parce que la situation est propice à ça. Excusez moi s'il vous est agaçant, mais je me permets de vous dire que vous devriez prendre exemple. » Je laissai deux secondes s'écouler. « Ôtez ce masque de sévérité et remplacez le par ne serait-ce qu'un sourire, une femme qui sourit est bien plus agréable à regarder. Il ne manque qu'une touche de gaieté dans votre allure, avec un rire et un sourire vous pourriez facilement vous la jouer femme fatale. » J'accompagne mes derniers mots d'un sourire et d'un rire comme je t'en ai donné conseil. Vas-y, prends exemple ma belle. C'est vraiment malheureux que tu ne te détendes pas plus, vais-je arriver à te soutirer un éclat de rire ? « Pourquoi ne pas avoir changé de table ? » Manifestement ma compagnie ne te plait pas. Tant pis pour toi, tu n'avais qu'à, toi, changer de table lorsqu'il en était encore temps. « Pourquoi ? Eh bien parce que j'étais là le premier. Premier arrivé, premier servi non ? Et l'ancienneté ne compte pas. » dis-je à demi-sérieux, à demi-moqueur. Mon côté grand gamin revient à la charge, alors Elizabeth, maintenant, c'est tout bon ou tout mauvais. Soit tu joues le jeu et tu ne me prends pas au sérieux, soit tu t'énerves parce que tu remarques que je me fous à moitié de toi. Que vas-tu choisir ? J'ai presque mon idée, mais tu m'étonnes de plus en plus, alors j'hésite.

Ce garçon ne semblait même pas intimidé par mes phrases. En général, les hommes partaient la queue entre les jambes dès que je leur avais parlé. Celui-ci ne semblait pas du tout prendre en compte ce que je lui disais et continuait son petit jeu comme si de rien n'était. C'était profondément agaçant. Alors, je ne faisais que garder un visage froid et dépourvu d'émotions comme je savais si bien le faire. Il ne semblait pas être d'avis que je reste comme ça, comme il me le laissa entendre par la suite. « Si j'ai l'air, je m'amuse de tout, comme vous l'appelez, c'est parce que la situation est propice à ça. Excusez moi s'il vous est agaçant, mais je me permets de vous dire que vous devriez prendre exemple. » Prendre exemple, sur ce malotru ? Je retins un petit rire sarcastique. Il s'attendait vraiment à ce que je le pense tellement supérieur à moi que je puisse vouloir une quelconque ressemblance avec lui ? Quelle absurdité ! La situation était bien comique. « Ôtez ce masque de sévérité et remplacez le par ne serait-ce qu'un sourire, une femme qui sourit est bien plus agréable à regarder. Il ne manque qu'une touche de gaieté dans votre allure, avec un rire et un sourire vous pourriez facilement vous la jouer femme fatale. » La jouer femme fatale. Comme si c'était un but que j'avais, dans mon existence. Les hommes ne m'intéressaient pas : ils étaient tous les mêmes. A chercher un corps de femme avant un esprit. Il sourit, il rit, et je restais délibérément aussi froide qu'auparavant. Aussi .. interdite. Il semblait que rien ne pouvait bouger ce visage de plomb que j'affichais avec fierté. Je trouvais une certaine honte à exprimer des sentiments, à les montrer aux autres. Cela me rendrait faible, d'agir ainsi. « Pourquoi ? Eh bien parce que j'étais là le premier. Premier arrivé, premier servi non ? Et l'ancienneté ne compte pas.» Je haussais les sourcils, peu sure de comment répondre à ça. A vrai dire, je n'avais plus envie de jouer à la chaise musicale et décidais de laisser le sujet sur le côté.  « Est-ce aussi facile que ça ? S'en sortir avec un sourire et tout est heureux, tout est drôle ? » j'étais sincèrement intéressée par son mode de fonctionnement. Bizarrement, j'avais envie d'essayer moi aussi. Alors, je prenais une gorgée de café et laissais la tasse sur la table avant de m'essayer à sourire. Les commissures de mes lèvres s'agrandirent et je montrais mes dents blanches. Mais j'avais l'air de faire une grimace : ce n'était pas naturel chez moi. Finalement, vu la figure qu'affichait l'inconnu, je laissais retomber les coins de mes lèvres et revenais en mode neutre. « Je ne sais pas sourire. » Un soupir s'échappa de ma bouche. Ce n'était pas habituel pour moi, de faire autant d'efforts pour un inconnu. Dont je ne connaissais d'ailleurs même pas le nom. « En fait, quel est votre nom ? » Je n'allais certainement pas donner le mien en premier.

Tu as décidé d'ignorer ma réponse, j'aurais pensé que tu rentrerais dans mon jeu et manifestement je me suis trompé. « Est-ce aussi facile que ça ? S'en sortir avec un sourire et tout est heureux, tout est drôle ? » Je prends le temps de réfléchir à la question. Non ce n'est pas facile tous les jours. Certes, on ne peut pas rire de tout et de rien, mais comme dans ton cas Elizabeth, on ne peut pas non plus ne jamais sourire. Il faut savoir s'amuser parce que je pense que c'est la clef du bonheur. Avec le temps j'ai appris à avoir un certain détachement vis à vis de la vie, par exemple je me fous absolument de l'avis des autres sur ma personne. Ça ne me dérange guère qu'on me déteste, et je n'ai pas peur de le clamer. Je vis simplement dans mon monde, je suis l'acteur principal de ma vie et parfois de celles des autres. Oui, c'est ça, je me fous de tout ce qui m'entoure, tant que je fais ce qui me plaît. Certaines personnes diront que ça cache quelque chose, tenteront d'analyser ma façon de penser ; oui c'est peut-être une carapace que je me suis forgée, comme si plus rien ne m'atteignait. Je suis né également avec un naturel optimiste, je vois d'abord le bon côté des choses, ce qui aide fortement je l'avoue. Je te regarde essayer de sourire, un sourire qui se transforme plus en grimace car il n'est pas naturel. C'est bien d'essayer Elizabeth, mais sourire ça ne se fait pas comme ça. « Je ne sais pas sourire. » Tu as tenté l'effort, alors je vais te répondre. « Vous ne pouvez pas sourire comme ça, si le contexte ne vous en donne pas l'occasion. Pensez à un moment heureux, drôle, si vous voulez sourire toute seule. Cela devrait vous venir naturellement, vous verrez. » Je n'ai jamais rencontré de personnes aussi... coincée ? rigide ? que toi. Tout le monde sait sourire. En principe. C'était ce que je pensais avant de t'avoir rencontrée. Mais ne t'inquiète pas, tu ne disparaîtras pas de la planète avant que tu saches sourire à pleines dents. Je te le promets. « En fait, quel est votre nom ? » Aïe. Tu n'es pas censé en savoir trop sur moi, et j'estime que ce n'est pas encore le moment pour te dévoiler mon identité. Peut-être une prochaine fois. Alors mauvaise question égale pas de réponse. Je fais mine de consulter ma montre, l'heure tourne. « Je suis en retard, je dois filer. Bonne journée, Elizabeth. » Son prénom m'a échappé de la bouche avant que je puisse le retenir. Voilà Jace, gaffe numéro un. Je concentre toute mon attention pour ne pas laisser voir mon trouble et mon mécontentement, que vais-je bien trouver comme excuse ? Comment suis-je censé savoir son prénom ? Avant qu'elle ne puisse me répondre ou réagir je lui fais un signe de la main après avoir jeté quelques pièces sur la table. Et comme un courant d'air, je disparais du bistrot et me fond dans la foule de passants. On se reverra t'en fais pas ma belle.