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« Et bonne journée »

Tim ferma la porte derrière le client qui venait de le quitter et grimaça. Il détestait être poli. Il retourna derrière son bureau (enfin, "son", c'était un grand mot) et s'étira. Il n'aimait pas vraiment ce travail. Il n'était surement pas en études de médecine pour finir généraliste. Non, il lui fallait un métier palpitant... Pas soigner des gastros et des rhumes. Pédiatre, pourquoi pas. Chirurgien aussi. Il ferma le dossier de la personne qui venait de partir. En tant qu'interne, il pouvait effectuer des remplacements dans des cabinets libéraux et avait obtenu aisément sa licence. Beaucoup avaient compris qu'il s'agissait d'un élève surdoué au potentiel énorme, et auraient validé ses semestres les yeux fermés. Dans le cas présent, ils faisaient surtout impasse sur son caractère invivable au possible... A l'hôpital, il traitait mal les infirmières, les secrétaires, qui en prenaient pour leurs grades, et les patients qui avaient parfois même aussi le droit à ses remarques. Mais pas ici, il était plutôt bien payé pour de simple remplacements, alors il essayait de garder sa place. C'était un quartier luxueux, c'était pourquoi il portait des vêtements plutôt habillés avec l'éternelle blouse blanche, ne montrant pas ses tatouages mis à part sur ses mains, et surtout prenait énormément sur lui. Il devait rassurer des vieux séniles et prescrire des somnifères à des Bourges qui ramenaient leurs chiens Kiki car elles n'avaient pas trouvé de nourrice. Totalement un autre monde que le sien en somme. Il finit par regarder son planning et haussa les sourcils. Sa prochaine patiente, Glyndwr... Ce nom était trop moche pour ne pas lui rappeler quelqu'un. Il se leva et sortit rapidement de "son" cabinet (le véritable maître des lieux avait pris quelques jours de repos aux caraïbes) sans jeter un coup d'œil dans la salle d'attente, se dirigeant directement vers le secrétariat. Il se posa devant la jeune femme à l’accueil.

« Vous pouvez me rappeler quelque chose Albane, le prénom de Glyndwr ? »

Il n'était même pas sûr d'avoir bien prononcé ce truc. Et si le nom était en effet le bon, alors il y avait toujours une chance que ce soit le père, la mère, l'oncle, un des dix autres enfants...

« Llywelyn, c'est un peu spécial je sais... Vous verrez, elle est... Différente, mais adorable, sa famille est une habituée du cabinet, recevez-la le mieux possible s'il vous plait... »

La dite Albane lui jeta un regard suppliant, il avait fait une fois une remarque à la limite du déplacé, et elle avait failli faire une crise de panique devant la fille de Monsieur Il-ne-savait-qui, sortie en furie. Si elle savait comment il était au quotidien... Il fronça des sourcils, ça, ça allait être dur... Très très dur. Mais d'un côté, il ne put ensuite s'empêcher de sourire. Enfin un moment amusant dans cette journée de merde ! Il se dirigea vers la salle d'attente et l'ouvrit d'un air sur de lui avant de survoler les sièges occupés et de tomber sur la personne qu'il souhait. Dommage que ce soit la fille, d'un côté, il aurait bien aimé voir la mère.

« Mademoiselle Glyndwr. »

Il attendit avec un air neutre (très difficile à adopter) sa réaction, qui allait sans doute être parfaite..

Llywelyn et l'été. Une histoire d'amour pas si idyllique que ça puisqu'à l'approche des beaux jours, la blonde était secouée d'éternuements. Et autant dire qu'après avoir lutté plusieurs jours contre l'envie de prendre son dernier cachet d'Aerius, l'avait prit et était allée voir son médecin. Du moins, avait espéré le voir. Elle avait donc prit un rendez-vous aux alentours de seize heures et s'était rendue au cabinet : mouchoir à la main, nez rouge, yeux rouges. C'est ainsi qu'elle pénétra dans le cabinet, elle passa voir la secrétaire, parla quelques minutes avec celle-ci. Lorsqu'elle commença à essuyer une quinte d'éternuements, la blonde la laissa et entra dans la salle d'attente en fermant la porte derrière elle. Dans la salle, un enfant accompagné de sa mère, une veille dame en tenue de nonne... La blonde sourit à la vieille femme et s'approcha d'elle. Elle la connaissait, lui avait déjà parlé plusieurs fois et autant dire que son amour et son admiration pour elle n'avait aucune limite. Entre plusieurs éternuements, elles réussirent à parler de la Bible, des Saints et des conditions de vie de la nonne jusqu'à ce que la vieille dame fut appelée par son médecin. La jeune fille se leva, aida la Mère supérieure (et oui, elle était mère supérieure !) à se lever et l'accompagna jusque dans le bureau du médecin. Elle resta près d'elle pendant qu'elle se faisait examiner et que le médecin lui demandait de soigner ses rhumatismes, il lui conseilla une ville dans les Pyrénées où elle pourrait faire une cure et laissa partir les deux femmes. Une fois de nouveau dans la salle d'attente, Lly ne pu s'empêcher d'accompagner la vieille jusqu'à la porte du bâtiment pour s'assurer qu'une voiture venait bien la chercher puis regagna en silence la salle d'attente où elle s'assit sans même regarder autour d'elle. La Galloise attrapa un magasine et commença à le feuilleter tout en attendant son tour. Soit son médecin avait un retard faramineux, soit celui-ci l'avait appelé pendant qu'elle était entrain d'assister à la consultation de la nonne ou pendant qu'elle la ramenait jusqu'à la porte d'entrée. Enfin, elle n’eut pas le temps de réfléchir plus longtemps, elle entendait déjà une voix familière l'appeler par son nom. Ca n'était pas la voix de son médecin, mais bien celle de Tim. Lly leva la tête, entre-ouvrit la bouche en le voyant dans une blouse blanche, un air sérieux sur le visage. Elle se pinça discrètement le bras, ce qui confirma ce qu'elle savait déjà : elle ne rêvait pas. Tim se tenait bien là, avait bien le bureau de son médecin de famille et allait bien s'occuper d'elle... Mon dieu. Elle leva la tête vers la ciel comme pour regarder Dieu et se demanda ce qu'elle avait fait pour mériter ce châtiment. Elle finit quand même par se lever, passa devant Tim en balançant un « bonjour » qui n'était pas des plus amical, éternua et entra dans le bureau avant de s’asseoir sur la chaise qu'elle occupait d'habitude. « Puis-je savoir pourquoi mon médecin est absent ? » demanda-t-elle le plus poliment possible.

Petit regard au ciel du genre : « non, Dieu, pas encore, ayez pitié de mon âme de pauvre pêcheuse ». Ce n'était pas faramineux mais c'était déjà beaucoup. S'il continuait à la persécuter, elle remarquerait peut-être que son Dieu n'existait pas, sans quoi Tim se serait déjà fait écraser par une voiture... Au fond, ça l'étonnait de la voir ici. Il pensait qu'elle aurait plus été pour les plantes, la médecine douce et ces choses de bonne femme. Pour lui, rien ne vaut un bon Doliprane, ou une piqure de Morphine dans le bras. Il eut le droit à un bonjour, et hocha la tête d'un air professionnel. Il pourrait très bien faire des réflexions à l'extérieur du cabinet, mais surement pas ici, tout près d'Albane qui le guettait d'un œil à chaque fois qu'il allait chercher un client. La brune devait sentir, sans doute à cause de la rose sur sa main et des autres différentes tatouages, que le rôle de garçon rangé qu'il se donnait n'était pas vraiment son caractère. Il laissa entrer Llywelyn dans la pièce puis ferma la porte derrière lui, avant de contourner son bureau et de s'assoir dans le fauteuil en cuir. Du grand luxe, d'ailleurs.

« Puis-je savoir pourquoi mon médecin est absent ? »

Tiens, il l'avait connu avec des phrases moins soutenues. Quoi qu'elle avait toujours parlé d'un air distingué, mais là, c'était clairement comme s'il ne la connaissait pas. C'était l'effet blouse blanche ? Il se mordit la lèvre alors qu'il allait sortir quelque chose comme : « s'tu veux je ressortirais la blouse à l'occasion, je sens que ça te fait délirer ». Il soupira et s'adossa dans son fauteuil.

« Le Docteur Martin a pris des jours de congés. Vous venez pour un problème en particulier ? »

Ça lui écorchait la bouche de la vouvoyer, vraiment. Il se faisait une nouvelle fois violence, pour ne pas ajouter des « renouvellement de pilule ? Ah bah non, t'en as pas besoin, t'es vierge comme un chameau Indien ! ». Ne cherchez pas le rapport, il n'y en a pas. Ça lui rappelait presque sa condition d'intense frustration dans le confessionnel, quand il luttait pour ne pas révéler sa mascarade. Sauf qu'il était caché, qu'elle ne le voyait pas. Là elle était à un mètre de lui avec le nez qui coulait. Sympathique. Il poussa la boîte de mouchoir sur son bureau vers elle.

« Mouchez-vous, ça permet d'évacuer les débris de la muqueuse, le virus en soit. »

Histoire qu'elle sache qu'il n'était pas là par usurpation d'identité...

Elle le fixait, pas vraiment rassurée d'avoir ce mec comme médecin. Pas rassurée du tout parce qu'elle le connaissait pervers, malsain et terriblement chiant. Au moins, son médecin était quelqu'un de respectable, vraiment gentil et prévenant, pas le genre à la tripoter pendant qu'il l’auscultait. Et ça, c'était beaucoup moins évident à retrouver dans le personnage de Tim. Avoir confiance n'était pas chose aisée. « Le Docteur Martin a pris des jours de congés. Vous venez pour un problème en particulier ? » répondit-il, après s'être enfoncé dans son fauteuil et avoir soupiré. Lly fronça les sourcils. A quoi il jouait ? Pas de remarque déplacée ? Pas de « Marie » ? Il la vouvoyait maintenant ? Tout ceci était nouveau pour Lly, mais elle n'eut pas le temps de répondre qu'elle éternuait déjà et que Tim glissa un léger : « Mouchez-vous, ça permet d'évacuer les débris de la muqueuse, le virus en soit. » Ca c'est de la grande médecine ! Surtout qu'elle n'avait pas de virus à proprement parlé, c'était une allergie au pollen. Elle leva un sourcil, prit un mouchoir, se moucha et garda le mouchoir à la main. « J'ai plus d'Aerius... Pour mon allergie. C'est pour ça que je suis ici. Si vous pouviez m'en prescrire... » Ouais, Tim en médecin ne l'inspirait pas du tout. Pas du touuuuut ! Surtout avec ses phrases bidons, elle avait juste l'impression qu'il tentait de se la jouait Dr. House, les erreurs monumentales avec. Il allait bientôt lui apprendre qu'elle avait la tuberculose alors qu'il n'en était rien. Abruti. Enfin, plus vite elle serait sortie de ce bureau, mieux ça irait pour elle. La jeune femme fronça de nouveau les sourcils et demanda : « Et sinon, pourquoi on se vouvoie ? Auriez-vous peur qu'Albane vous entende ? »

« J'ai plus d'Aerius... Pour mon allergie. C'est pour ça que je suis ici. Si vous pouviez m'en prescrire... »

Les gens qui prenaient des rendez-vous juste pour avoir une ordonnance, c'était sans doute les pires. Il n'aurait pas pensé que Llywelyn occuperait un horaire, au détriment d'enfants malades ou de femmes enceintes, juste pour demander des médicaments. Mais bon, il ne pouvait non plus la connaître par cœur, quoi que savoir qu'elle était une croyante éperdue, c'était déjà connaître presque tout à son avis. Il attrapa la souris sans fil de son Mac et ouvrit le dossier de la blonde.

«  Et sinon, pourquoi on se vouvoie ? Auriez-vous peur qu'Albane vous entende ? »

Tim lui jeta un regard. Bingo. Après, elle pouvait toujours pensé qu'il était fou amoureux d'elle, il ne lui dirait surement pas que c'était pour conserver son poste, parce qu'il avait définitivement trop besoin de cet argent en ce moment.

« Peut-être. » répondit-il dans un sourire qui se voulait surtout poli plutôt que moqueur.

Il prenait énormément sur lui, et il ne pouvait pas dire qu'il n'était pas fier. Pas de répliques cinglantes au programme, il espérait juste qu'elle serait déçue, pour la satisfaction personnelle de Tim. Et que ça se verrait, de préférence.

« Voyons voir... Allergie au pollen, ordonnance de Smecta il y a deux semaines, prise de note sur votre poids vraiment trop léger, et... Ah oui, j'avais oublié que le Docteur Martin faisait gynécologue. »

Il n'avait pas pu s'empêcher. Ça n'était pas vulgaire, hein ? Il n'avait pas placé le mot vierge, vagin et Marie, alors ça allait. Il en était convaincu. Elle n'allait pas sortir en pleurant et Albane ne viendrait pas, en pleurant elle aussi, lui jeter un « Le Docteur Martin va me tuer, Timcanpy ne remettez plus les pieds ici, on trouvera un autre interne ! ». Il tenait trop à ce boulot, ce bureau high-teck, le café sorti de la machine Nespresso avec les macarons Ladurée, et Albane qui n'était pas des plus dégueulasses... Non, décidément, ça ne serait pas Marie qui lui ferait perdre le paradis qu'il avait trouvé.

« Peut-être. » Ok, il faudrait qu'elle parle à Albane avant de sortir de ce cabinet... Pour le bien de la brune, pour le plus grand malheur de Tim sans doute, mais il fallait qu'elle lui parle de Tim, c'était une nécessité évidente. Elle se retourna légèrement, regarda la porte vitrée mais ''brouillée'' par laquelle on ne pouvait distinguer que de confuses silhouettes. Non, elle n'écoutait pas à la porte et non, il n'avait rien à craindre. Alors elle ne comprenait pas son petit jeu. Quoi qu'elle était pas mal non plus, elle préférait presque le vouvoyer, ça lui donnait un certain recul, une distance entre elle et Tim qui n'était pas désagréable. Voyons voir... Allergie au pollen, ordonnance de Smecta il y a deux semaines, prise de note sur votre poids vraiment trop léger, et... Ah oui, j'avais oublié que le Docteur Martin faisait gynécologue. » Lly eu envie de lui balancer son mac sur la tronche. C'était quoi cette remarque sur la fin ? Elle n'avait jamais consulté son médecin pour ça et elle ne comptait pas le faire avant d'être mariée. Elle garda son calme en sachant qu'il lui inventait un morceau de dossier et fit en sorte de ne pas paraître trop gênée. Tout simplement parce que ça lui ferait beaucoup trop plaisir ! Et puis sa petite remarque sur son poids, ça commençait à légèrement la saouler ça aussi. Il ne pouvait pas s'occuper de son propre poids ? Elle n'était pas squelettique non plus, elle arrivait à faire du sport sans tomber dans les pommes et était parfaitement apte à travailler. Au final, elle n'était pas anorexique comme il n'arrêtait pas de le sous entendre, merde ! « Et mon ordonnance ? J'ai pas mal de choses à faire, j'aimerai pouvoir sortir vite d'ici. » dit-elle, comme si c'était vrai. La ruse et le mensonge ne faisait pas trop partie de ses attributions, mais c'était pas mal fait là ! Elle était plutôt fière d'elle et elle aurait quelque chose à confesser le mercredi suivant...

« Et mon ordonnance ? J'ai pas mal de choses à faire, j'aimerai pouvoir sortir vite d'ici. »

Rho, elle l'avait l'avoir, son ordonnance. Il ferma le dossier, n'ayant rien d'autres à regarder. Si les places avaient été inversées, la blonde aurait tout de suite vu son opération. Il se demandait juste si elle l'aurait formulé à voix haute ou n'aurait rien dit. Au pire, il s'en foutait, c'était bien lui de ce côté du bureau. Il tapa rapidement sur son clavier, appuya sur l'onglet imprimante et lança l'impression. L'ordonnance sortit, il la prit et la signa d'un geste habitué. Il lui la tendit et prit sa carte vitale. Après quoi il se leva et Llywelyn fit de même, si elle était pressée hein. Il alla ouvrir la porte, la re-laissa sortir et ne regarda pas si elle trouvait la sortie elle devait connaître l'endroit par cœur. Et puis, au pire, elle était juste à quelques mètres. Alors qu'il allait ouvrir la porte de la salle d'attente pour appeler l'autre patient, il se dit qu'il pouvait toujours faire bonne impression devant Albane, histoire de le rapporter au fameux Martin. Ça pourrait peut-être lui garantir des boulots d'été, ou truc du genre.

« Et bonne journée Llywelyn. »

Peut-être que c'était la première fois qu'il prononçait son prénom... Et il se promit intérieurement de la rappeler Marie dès le lendemain, ce nom était vraiment trop étrange pour lui.

Elle entendit les doigts de Tim taper frénétiquement sur le clavier de l'ordinateur estampillé ''Apple'' et l'ordonnance qu'elle attendait tant fut bien vite imprimée. Il prit un stylo, signa rapidement et la tendit à Lly tout en prenant sa carte vitale. Il la lui rendit environ une minute plus tard et se leva, suivit de Lly qui rangeait l'ordonnance dans son sac à main et rangeait sa carte vitale. Elle sortit son chéquier et se dirigea, accompagnée de son médecin d'un jour, vers la porte. La blonde sourit tout en faisant face à Albane et lui fit un chèque d'une trentaine d'euros qu'elle lui donna rapidement. « Bon courage et bonne fin de journée. » lui lança-t-elle pendant qu'elle se retournait pour partir. « Et bonne journée Llywelyn. » dit Tim. Lly resta choquée quelques instants. Elle s'arrêta dans sa course vers la porte de la salle d'attente et se retourna vers Tim. Les sourcils froncés, le regard fixant le sien, la blonde resta muette quelques instants tandis qu'elle analysait ce qu'il venait de dire. Une voix qui lui rappelait celle du prêtre qui lui avait donné comme punition d'être au service de Tim pendant un certain temps... De plus, Tim l'avait toujours appelée ''Marie'' et jamais par son prénom, il lui avait également dit qu'il ne connaissait pas son véritable prénom. Or, le prêtre avait utilisé son prénom au début de leur entrevue alors qu'il était censé être nouveau et Tim venait, avec une voix similaire, de dire son prénom de la même façon que le prêtre (mal). Elle ouvrit la bouche, l'idée de lui mettre une claque pour commencer lui traversa l'esprit. « T'as pas fait ça.. » dit-elle tout en penchant légèrement la tête vers la droite. « T'es pas entré dans une église, tu t'es pas fait passer pour un prêtre... »

Il avait vu du coin de l'œil Llywelyn remplir son chèque et il posait déjà la main sur la poignée de la porte de la salle d'attente. Il la poussa, se rappelant que sa prochaine cliente était une vieille dame paranoïaque qui venait pour la troisième fois, afin de se réapprovisionner en somnifères. Il inspira un grand coup pour reprendre du courage, ces journées n'en finissaient pas, quand derrière son dos il entendit de nouveau la voix de la blonde.

« T'as pas fait ça.. »

Tim haussa un sourcil. Quoi, lui prescrire son médicament ? Si, il l'avait fait, et elle pouvait s'estimer heureuse !

« T'es pas entré dans une église, tu t'es pas fait passer pour un prêtre... »

Ah... Il devait faire quoi là, se retourner ? Comment avait-elle deviner ? D'un coup, comme ça, pendant qu'elle parlait avec la secrétaire ? Il y avait un beug... Mais il ne pouvait décidément pas la laisser faire une crise dans cet endroit. Il choisit donc la solution de la facilité : le mensonge. Il se retourna avec un air faussement incrédule, les sourcils haussés.

« Je vous demande pardon ? »

Elle s'était mise à le tutoyer, elle avait clairement lâché leur improvisation du "on est polis, on est dans un cadre professionnel". Albane jetait un regard, de l'un à l'autre, priant sans doute pour ne pas voir éclater une crise dans son cher accueil de cabinet réputé. Et Tim allait totalement dans son avis, il n'avait vraiment pas envie que Llywelyn commence à dire qu'il s'était fait passer pour un prêtre et qu'il avait fait la confession du jour... Là, il serait fichu.

Là, elle était sur le cul. C'était quelque chose qu'elle ne pensait pas possible, que Tim ai été la personne à qui elle s'était confiée dans le confessionnal ne lui avait pas traversé l'esprit sur le coup, mais avec le recul, elle avait cette impression qui était fondée par plusieurs arguments. Seulement, c'était sa parole contre la sienne et il était difficile pour elle de s'imaginer autrement que vaincue dans le débat qui n'allait sûrement pas tarder à s'engager. Et il prit la parole tout en faisant comme s'il était encore le parfait médecin, comme s'il était innocent alors qu'elle, elle savait qu'il était tout sauf un médecin parfait et tout sauf quelqu'un d'innocent dans cette affaire ! « Je vous demande pardon ? » Et il n'en fallait pas plus pour mettre en colère Lly, pour la dégoûter, pour lui faire perdre foi en l'être humain et surtout, foi en la possibilité de rachat de l'âme de Tim. Sans qu'elle contrôle le moindre de ses sentiments, la moindre parole, le moindre geste, deux larmes vinrent s'échouer sur ses joues. Elle renifla et d'une voix cassée et désespérée, elle commença à déblatérer. « Ta voix.. La voix que t'as prise là, le prêtre avait la même... T'es pas censé connaître mon prénom, t'es pas censé le dire exactement de la même manière que lui parce que tout le monde le prononce de façon différente... T'es un putain d'emmerdeur ! Un putain d'emmerdeur ! » Elle s'assit sur l'une des chaises qui se trouvaient près de l'accueil, enfouit ça tête entre ses mains et pria le ciel de la pardonner pour les derniers mots de sa tirade. « J'en étais sûre... Que c'était pas possible... Et j'y ai cru... » dit-elle à voix plus basse, difficilement. Elle leva la tête vers Albane et lui demanda : « Est-ce que tu peux me trouver un verre d'eau, s'il te plait... ? »

« Ta voix.. La voix que t'as prise là, le prêtre avait la même... T'es pas censé connaître mon prénom, t'es pas censé le dire exactement de la même manière que lui parce que tout le monde le prononce de façon différente... T'es un putain d'emmerdeur ! Un putain d'emmerdeur ! »

Ok, il était dans la merde. En plus, deux mots grossiers dans la même phrase, c'était pas vraiment son genre... Elle devait être au bout du rouleau. D'un côté... Non, en fait, il ne se trouvait pas d'excuse pour avoir fait ça. Il avait juste trouvé ça marrant. Ça l'avait été, non ? Sur le coup ouais, mais c'était clair que vu de cette façon... Elle était partie s'assoir, la tête entre les mains. Il avait longtemps cherché la limite avec Llywelyn, apparemment c'était de se faire passer pour un prêtre dans un confessionnal.

« J'en étais sûre... Que c'était pas possible... Et j'y ai cru... »

Cru, à quoi ? Au fait qu'il puisse devenir "gentil" avec elle ? Même sa mère avait arrêté d'y croire et l'avait foutu à la porte, sa propre mère en avait eu assez de son fils, alors comme si la blonde, elle, aurait pu "y croire " comme elle le disait. Mais sur le coup, il se sentit mal. Elle demanda un verre d'eau à Albane. En fait, il se sentait plus mal pour le fait que la croyante avait l'air de vraiment lui en vouloir cette fois-ci, plutôt que le fait qu'il puisse se faire virer de son emploi idyllique. Alors qu'Albane contournait son secrétariat pour aller chercher un verre d'eau, il lui attrapa le bras pour lui murmurer un

« Elle est enceinte, c'est les hormones. »

Albane haussa un sourcil. Pas sûr que ça passe, mais il essayait tout de même de tranquilliser ses arrières. Il se rapprocha ensuite de Llywelyn, lentement, parce qu'il avait peur qu'elle trouve un truc et le lui balance dans la tête. Il allait s'assoir sur une des chaises près de la sienne, pas celle à côté, distance de sécurité. De près, il remarqua même qu'elle s'était mise à pleurer, et il se sentait vraiment con pour le coup.

« Ok... Je suis désolé..? »

C'était un peu facile, mais pour une fois il le pensait. Il sortit un paquet de mouchoirs de sa poche et le posa pas très loin d'elle, sur la chaise vide qui les séparait.

« T'es plus jolie quand tu pleures pas tu sais. »

D'accord, ça sortait de nul part, mais à la limite tant pis.

Il avait osé s'attaquer au confessionnal, à la religion de Llywelyn, l'une des seules choses qui lui tenait à cœur dans ce monde. Il avait pénétré dans son intimité la plus profonde, l'avait écouté se confesser, dire des choses sur lui plus affreuses les unes que les autres. C'était un mélange de déception, de dégoût, de colère, d'indignation, de honte et de tristesse qui faisait pleurer Lly dans cette salle. Il avait atteint le point de non-retour, la limite fixée par Lly et encore, elle n'aurait jamais imaginé qu'il irait jusque là pour la mettre à bout. Mais finalement, il avait réussi et elle avait simplement envie de le tuer et de s'enterrer le plus profondément possible dans son jardin et de mourir comme ça, atrocement. Elle avait vraiment cru qu'un prêtre lui avait peut-être donné comme punition de veiller à ce que Tim aille bien, à s'intéresser à lui. Mais maintenant, elle savait que c'était impossible et que tout ce qui avait été dit dans ce confessionnal par ce prêtre était totalement factice, ce qui avait le don de la rendre malade. Pleurer n'arrangeait pas du tout les choses, ça ne les aggravaient pas non plus, seulement la honte pesait encore un peu plus sur ses épaules. Elle tentait de cacher tant bien que mal ses larmes, seulement l'une d'elle parcourut la moitié de sa joue avant de s'écraser négligemment sur le pantalon de la jeune femme. Et puis la voix de Tim s'éleva dans la salle alors qu'Albane était déjà partie en quête du verre d'eau de Llywelyn. « Ok... Je suis désolé..? » Lly resta muette, cette phrase n'avait eu pour effet qu'augmenter le nombre de larmes qui coulaient de ses yeux. Il n'était pas vraiment désolé, elle le savait et le fait qu'il mente une nouvelle fois la foutait en rogne. Elle entendit le bruit du plastique des paquets de mouchoirs et elle tourna légèrement la tête afin d'apercevoir le paquet de mouchoirs qui se trouvait sur la chaise à côté d'elle. Elle renifla avant d'enlever ses mains de leur emplacement de déplier l'un des mouchoirs afin ''d'évacuer les débris de la muqueuse, le virus en soit''. « T'es plus jolie quand tu pleures pas tu sais. » cette phrase la coupa nette pendant qu'elle se mouchait sans chercher à retenir les larmes qui continuaient à couler le long de ses joues. Elle jeta un regard à Tim, interloquée par ce qu'il venait de lui dire. Elle ne savait même plus quoi répondre. La blonde resta encore quelques instants abasourdie avant d'enfin finir par demander : « … C'est de l'ironie déguisée ? Parce que..., elle renifla doucement et passa ses doigts sous ses yeux, ça y ressemble. »

« … C'est de l'ironie déguisée ? Parce que... ça y ressemble. »

Ben voyons. Pour une fois que quelque chose de « gentil » sortait naturellement en plus. Il commençait à s'en vouloir, et la seule chose qu'elle lui répondait c'était qu'il continuait à se foutre de sa gueule. Il n'était pas si méchant que ça, quand même ! C'était une vraie perle, un bisounours, et personne ne semblait le voir... Il n'arriverait jamais à comprendre ça.

« J'sais pas, à toi de voir »

Il aimait bien trouver les limites des gens, mais après, il se sentait toujours un peu mal. Quand sa mère l'avait mis à la porte, il avait pris l'habitude de souvent appeler chez eux. Et dès qu'elle décrochait avec un « allo ? », il coupait la ligne. Elle devait bien se douter que c'était lui, mais ils n'en avaient jamais parlé. Même un jour, quand il avait fait pleurer sa professeur d'anglais en CM2, il s'était senti con. Ou sa sœur, une fois, qui s'était enfermée en pleurant toutes les larmes de son corps, après une réplique mal placée sur son ex-petit copain qui l'aurait abandonné. Il restait ensuite généralement assis devant la porte de sa chambre à lui dire que de toute façon, son ex était un con, le temps qu'elle se calme. Albane revint rapidement avec un verre d'eau, et avait aussi pris la précaution de ramener une petite bouteille pour que la blonde puisse se resservir. Elle lui jeta un regard compatissant, qui se durcit quand il se posa sur Tim.

« Timcanpy, il faudra qu'on parle ! »

Chuchotta-t-elle comme si Llywelyn à quelques centimètres ne pouvait pas l'entendre. Il fit la moue et enfonça ses mains dans ses poches, pendant qu'Albane s'éloignait. Adieu job parfait de ses rêves les plus fous. Il savait que ce n'était pas la peine de discuter avec la blonde, il s'en était pris à sa religion adorée, et il lui fallait le temps de le digérer. Certes, il trouvait ça débile d'être autant attaché à quelque chose d'imaginaire, mais il comprenait néanmoins qu'elle puisse se sentir mal. En plus, la petite vieille s'était levée dans la salle d'attente et s'était postée à l'entrée de son cabinet, pour lui montrer qu'elle attendait depuis trop longtemps. De toute façon, il paraît que Dieu est bon, donc Llywelyn ne pourrait que lui pardonner. Et puis il était trop génial pour qu'on puisse lui faire la gueule. Même si dans leurs cas, vu qu'ils n'étaient pas vraiment amis, on ne pourrait pas trop appeler ça « faire la gueule »...

«Une vieille femme folle attend mon corps, donc... Sache juste que si je pouvais le refaire, j'le ferais sans doute pas. Et garde les mouchoirs, cadeau divin ! »

Dit-il tout en se levant de sa chaise. Une phrase débile, une phrase sérieuse, une phrase débile. C'était un bon quota, il était assez fier de lui.

« J'sais pas, à toi de voir. » C'est bien ce qu'elle pensait, il disait ça pour faire genre. Elle soupire, parce que c'est toujours comme ça de toute façon. Il ne pourra jamais être ne serait-ce qu'agréable avec elle, vraiment agréable. Espérer tout ça, c'est tellement con de la part de Lly, elle devrait savoir qu'il ne ferait jamais d'efforts, qu'elle n'avait aucune valeur à ses yeux et qu'elle ferait mieux de se faire nonne pour arrêter de le voir. Quoi qu'il viendrait peut-être déguisé en mère supérieure afin de se foutre de sa gueule. Ca c'était bien possible, totalement possible. Albane revint rapidement vers Lly avec un verre d'eau et une bouteille d'eau. Llywelyn la remercia d'un signe de tête et d'un « merci » étouffé, elle avait une boule dans la gorge, dans le ventre, l'envie de recommencer à pleurer à la moindre seconde. Après avoir adressé un sourire à Lly, le regard de la brune se posa sur Tim et elle dit à voix basse : « Timcanpy, il faudra qu'on parle ! » Ouh, Timcanpy ! Ca allait chauffé... Dans un sens, Lly était contente que quelqu'un le fasse enfin se sentir un peu inférieur, mais d'un autre côté... Lly se moucha, décida de faire comme si elle n'avait rien entendu devant Tim et but quelques gorgées d'eau. Elle laissa une nouvelle larme couler sur sa joue avant d'enfin arrêter. Elle avait mal à la gorgée et en avait marre de se moucher. « Une vieille femme folle attend mon corps, donc... Sache juste que si je pouvais le refaire, j'le ferais sans doute pas. Et garde les mouchoirs, cadeau divin ! » Lly secoua la tête doucement de gauche à droite et resta serra le paquet de mouchoir dans sa main. Elle était tentée de croire la deuxième partie de sa phrase, mais resta tout de même dans l'idée que c'était Tim. Et Tim aurait sans doute recommencé, même si les plaisanteries les plus courtes étaient probablement les meilleures. Et puis, la troisième partie de sa phrase... Disons que s'il lui avait demandé de les lui rendre, elle l'aurait sans doute fait à contre cœur. Partir en courant aurait été une solution, mais le vol dans certains pays, surtout d'un paquet de mouchoir, était très sévèrement puni et elle ne voulait pas non plus de la colère divine sur elle. Mais bref, pendant que Tim s'enfermait avec la vieille dans son bureau, la blonde demanda à Albane de venir s'asseoir près d'elle. « Ecoute... J'ai entendu ce que tu lui as dit tout à l'heure et... C'est un événement isolé. Ca ne remet pas en cause ses qualités de médecin et il a été très correct jusqu'à ce moment là. Même après d'ailleurs... presque... Bref, faut pas en faire de cas. Ce serait dommage de renvoyer quelqu'un qui a les capacités simplement à cause d'une histoire qui n'a rien à voir. » Bonne action de la journée, accomplie.