SAMEDI SOIR, 18H30, 16 BOULEVARD DE LA CHAPELLE. J'ai passé tout mon après-midi en compagnie de Lumen. Je dois avouer que je ne saurais pas trop quoi penser de cette blondinette. Jolie, c'est sûr, super gentille, avec un humour décapant... Et on s'est trouvé beaucoup de points communs depuis qu'on se connaît, que ce soit dans nos relations (entre JJ, Cesar et Ella, y'a de quoi faire) ou même simplement nos goûts. Bref, je commence à bien la connaître, la blondinette. Assez pour comprendre que quelque chose ne va pas chez elle aujourd'hui. Tout naturellement, je l'invite à boire un thé à la maison, je lui fourre presque une tasse brûlante entre les doigts et je vais me caler à la fenêtre pour griller ma clope et l'observer. Les épaules raides, un léger tic au niveau de l'oeil... Elle est mal à l'aise. « Bon, Lumen, crache le morceau tu veux ? Qu'est-ce qui va pas ? » Je penche la tête sur le côté. « T'as été hyper tendue quasiment tout l'après midi. Pourquoi ? » Ouais, on ne faisait pas vraiment dans la dentelle chez les Van de Loo...

Albane m'avait appelée dans la matinée pour que nous passions la journée ensemble à faire du shopping. J'avais, dans un premier temps, voulu prétexter de la fièvre ou un mauvais rhume. L'idée de passer la journée avec elle me plaçait dans une situation bien inconfortable. Mais je ne pouvais refuser son invitation, je ne voulais pas la vexer et, outre nos connaissances, nous partagions les joies immenses de la grossesse. Dés que l'une de nous était en rade de fringues à sa taille, nous courions faire les boutiques pour trouver de quoi loger nos crevettes respectives. Mais depuis la dernière fois, j'avais vu César, et visiblement, malgré toute la bonne volonté que j'avais mise à paraitre naturelle, elle avait bien senti que quelque chose me perturbait. Elle avait allumé une cigarette et la fumait tranquillement à la fenêtre. Elle me demanda ce qui n'allait pas. Oh no ma petite, tu n'aurais pas ta réponse aussi facilement. « Rien d'important, j'ai rien fumé depuis 4 mois et j'suis sur le point d'accoucher, entre autres. J'suis à cran mais ça va passer. » Je bu une gorgée du thé brulant, priant sans espoir pour qu'elle change de sujet.

A sa réponse, je me contente d'un haussement de sourcils. Alors comme ça, tu mets ta tension sur ton manque de nicotine et sur ta grossesse approchante, hein ? Je me contente de lever les yeux au ciel, franchement pas dupe. « L'organisme humain est sevré au bout d'une semaine sans nicotine, si mes souvenirs sont bons. » Premier argument, éventé. « Et ça m'étonne que tu te mettes à stresser pour ton accouchement seulement maintenant. C'est autre chose. » J'éteins ma cigarette et viens m'installer à côté d'elle doucement, Emma me balance un petit coup pour signifier qu'elle est pas vraiment contente d'être dérangée ainsi. Je l'ignore et pose ma main sur le bras de Lumen. « Ma belle, je t'apprécie et je tiens à toi, je vois bien que ça va pas et que ce n'est pas dû à ce que tu viens de citer mais plutôt avec moi. Tu m'expliques au lieu de tourner autour du pot pendant trois plombes ? » je l'incite avec un petit sourire d'auto-dérision. « S'il te plait. »

Évidemment, elle ne lâchait pas l'affaire. C'était compréhensible. Mais en aucun cas je ne voulais lui révéler le pourquoi de mon comportement, elle était mon amie et j'avais merdé, il valait mieux que ça ne merde pas encore plus. « Mon corps peut être, mais mon esprit est loin d'être sevré, lui. » Je la regardai écraser sa cigarette et me rejoindre. Je déglutis en entendant ses paroles. Elle était bien trop amicale avec moi. Si elle savait ... Non ! Elle ne saurait pas ! Elle ne pouvait pas savoir. « S'il te plait. » J'évitais au maximum de croiser son regard, de peur qu'elle comprenne tout en un centième de seconde. « Ecoute Albane, tu sais que je tiens à toi également, que je te considère comme l'une de mes amies les plus proches, mais je ne pense pas que parler de ça soit une bonne idée. Non, en fait, je suis certaine que c'est une mauvaise idée. » J'essayais de rester calme et même de sourire. « J'ai fais une connerie, à moi de m'en débrouiller, d'accord ? »

Lâcher l'affaire ? Certainement pas ! J'étais d'une curiosité presque maladive, ma mère disait parfois qu'elle m'attirerait plus de malheurs que de bonheurs, mais jusque là je ne l'avais jamais écoutée. Peut-être que si j'avais su ce qui m'attendait... Enfin bref. Je me cale confortablement au fond du canapé en écoutant la voix de Lumen, le nez légèrement froncé. « Si c'est une si mauvaise idée, c'est que ça me concerne, même indirectement. Et que je risque de mal le prendre. Voire même que c'est certain que je vais mal le prendre. Je me trompe ? » J'ai un petit soupir, je trempe à peine mes lèvres dans mon thé au citron que la dernière phrase de la blonde trouve un drôle d'écho en moi. Connerie. Mauvaise idée de m'en parler. Son mal-être évident en ma présence. Je ne suis pas idiote, je le sais, et il ne me faut pas très longtemps pour faire le lien avec ce que je connais de Lumen. On partage beaucoup de choses en commun, oui... Une histoire d'amour avec Cesar comprise. Un instant, je m'émerveille devant la façon froide et méthodique dont je suis arrivée à une conclusion très simple. Ne te leurre pas, ma vieille, ils ont couché ensemble y'a pas longtemps. Il y a un instant de silence, irréel, puis ma tasse s'écrase au sol sans que je ne le remarque. J'ai les yeux fixés sur Lumen. Des yeux craintifs, remplis d'un doute immense, mais aussi d'une étincelle d'espoir. « Tu... Vous... Cesar et toi... Vous avez pas fait ça, hein ? » Sourire nerveux. « Vous avez pas... couché ensemble quand même ? » J'ai les mains qui tremblent.

Bien sûr que tu vas mal le prendre si je t'annonce que j'me suis fait ton mec ! Mes doigts se crispent sur ma tasse de thé alors qu'elle se rapproche doucement de la vérité. Je m'enfonce dans son canapé et tente de prier. Si bon dieu il y a, il est temps pour lui de se manifester, et rapidement si possible. Trop tard. Je sens soudain son regard sur moi. ça y est, elle a compris. Je ferme les yeux, essayant tant bien que mal de me réveiller. La seule chose que j'entendis ensuite fut sa tasse se brisant sur le carrelage du salon puis sa voix, tremblante, révélant ce que je lui cachais. Putain Lumen t'es dans la merde. Je m'accroche à cette tasse comme si elle était la seule chose qui me restait, le seul objet qui ne pouvait faire que tout s'écroule. Je rouvre les yeux, sentant des larmes monter en moi. Mais je les ravale, tentant malgré tout de rester calme. « Je t'avais dis que c'était une mauvaise idée d'en parler ... » Je tourne la tête vers elle, d'un regard grave et désolé, parce que c'est ce que je suis, désolée. « Je m'excuse Albane ... J'ai ... j'ai merdé, pire que ça même .. Je suis ignoble, je le sais. » Je me lève, pose ma tasse sur la table basse et rejoint la fenêtre. Bordel ça fait plus mal que prévu.

J'ai la désagréable impression que tout est en train de s'effondrer autour de moi. Je reste immobile, le dos très droit et raide, les mains posées sur mes cuisses et le regard fixé droit devant moi, sur un cadre quelconque posé sur la commode près de l'entrée. J'ai la gorge sèche, douloureuse, une migraine commence doucement à me tarauder les tempes mais je retiens mes larmes, tant bien que mal. La voix de Lumen siffle presque dans mes oreilles. « La ferme. » C'est sorti tout seul. Je déglutis difficilement et je me prends un instant la tête entre les mains. J'ai l'impression qu'on est en train de brûler mon cerveau à l'acide. Idem pour mon coeur. J'ai envie de vomir. « Tais-toi et sors de chez moi, s'il te plaît. » Je veux être seule. J'ai besoin d'être seule. Un peu de solitude et de silence pour réaliser pleinement ce qui se passe et pouvoir pleurer tranquille. Il t'a trompée il t'a trompée il t'a trompée il t'a trompée il t'a trompée. Je me mords la lèvre jusqu'au sang et ferme les yeux sous mes paumes. Mais putain, qu'elle sorte de chez moi !

Et le monde s'effondre. Ou si ce n'est pas le monde, c'est au moins cette pièce. C'est au moins moi. Qu'est ce que je croyais ? Qu'elle ne le saurait jamais ? Que notre connerie serait à jamais cachée ? Je me haïssais d'être aussi faible, de ne pas avoir été capable de cacher ma culpabilité. Elle me demanda de me taire et, regardant les toits parisiens par la fenêtre, je sentis une larme couler le long de ma joue. Je m'empressais de la faire disparaitre du revers de ma main et retournai m'assoir près d'elle. « Je peux sortir, je peux ne plus revenir, ne plus voir César non plus mais tu ne dois pas lui en vouloir. Disons que tout est entièrement de ma faute, que je suis la dernière des salopes, mais ne lui en veux pas, s'il te plait, pas avec le bébé qui arrive ... » Ce n'était pas tout à fait vrai, je ne me considérais pas ainsi, j'étais désolée, horriblement désolée, mais je ne pouvais arrêter de penser que je n'étais pas seule là dedans. Nous avions fait une connerie à deux, une connerie qui me briserait le cœur si elle venait à avoir des répercutions sur la vie d'un enfant avant même qu'il ne vienne au monde. Les larmes envahissais à présent mes yeux, je me levais pour aller chercher mon manteau et mon sac.