LOOK WHO'S BACK - featuring Séphora.

J’aimais particulièrement bien l’ambiance générale qui se dégageait du jardin des Tuileries. Plus particulièrement lorsqu’il faisait très chaud comme aujourd’hui. Les jeunes femmes se dénudaient et les jeunes hommes les admiraient, ces poupées sorties de nulle part et de partout en même temps, elles se balançaient du haut de leurs talons vertigineux, riant aux éclats. Leurs paires de lunettes griffées, pour la plupart, sur leurs nez fins, aquilins ou encore en trompette. Elles étaient belles, elles l’étaient toutes. Mais les hommes étaient plus beaux selon moi. Je me promenais dans le jardin, sans réfléchir a ce que je faisais, me contentant de prendre quelques photos par-ci et par-là. L’art n’est selon moi pas la finalité d’une réflexion intense. Il ne faut pas être intelligent pour faire de l’art, il faut avoir la capacité de s’évader. De s’oublier totalement, de ne plus sentir que cet objet qui libère nos pulsions créatrices. L’appareil photo, dans mon cas. Je le portai encore une fois devant mes yeux, cherchant une cible à travers cet œil artificiel quand mon objectif rencontra cette jeune femme. Zoom. C’est bien elle, je prends une photo pour être certain, plus tard que je n’ai pas rêvé et dévie aussitôt mon objectif de la jeune femme. Si elle se sent observée, elle viendra vers moi et je n’ai plus envie qu’elle m’approche. Elle m’a abandonnée, pas seulement moi mais je me sens le plus abandonné de tous. J’avais besoin de Séphora comme les plantes ont besoin de soleil, c’était ça, exactement ça qu’elle avait longtemps été pour moi. Un soleil, rayonnant de milles feux. Elle me faisait toujours faire plein de trucs délirants, elle me sortait de ma morosité habituelle et me faisait rire aux éclats. Et puis elle est partie. Je soupire et éteins mon appareil photo, je ne pense plus à capturer tous ces visages éclatant de joie de vivre. Je suis partagé entre l’envie d’aller la voir pour réclamer des explications et entre l’envie de rentrer chez moi et de fumer clopes sur clopes avant de tomber endormis, ou d’aller dans un bar une fois la nuit tombée. J’hésite, je reste planté là de longues secondes et quand je me décide à partir son regard s’ancre au mien. Je ne peux plus rien faire, je ne peux plus partir car elle m’a vu, elle se dirige vers moi de son pas déterminé, je fais un mouvement de recul quand elle arrive face à moi. Je la dévisage longuement, elle n’a pas changé. Evidemment, pas en si peu de temps. « Pourquoi tu es revenue ? » Je demande, avant de me rendre compte que je commence à l’envers, je devrais d’abord lui demander pourquoi elle est partie, avant de lui demander pourquoi elle est revenue. « Pourquoi t’es partie ? » Ah ouais, c’est mieux comme ça. Je fourre mes mains dans mes poches, plutôt mal à l’aise face à la jeune femme, c’est écrit sur ma tronche que je lui en veux pour ce qu’elle à fait. Ou plutôt pour ce qu’elle n’a pas fait : me prévenir. Elle pouvait partir si elle le voulait, si elle en avait besoin, mais elle n’avait pas le droit de ne le dire à personne.

C’était soit rester pleurnicher au frais chez à propos de son retour et des premières disputes, soit affronter les dernières personnes à qui elle ne s’est pas excusée. Pour l’ancienne Sephora, le choix aurait été rapide. Malgré le temps et cette vague de chaleur, elle déambule dans les petites rues de la ville, traverse la Seine en évitant le pont des Arts et se retrouve au Jardin des Tuileries. Regroupement de touristes à coup sur, elle est quasi certaine de le croiser ici. Noah. Elle ne peut pas dire qu’ils étaient inséparables avant son départ, mais qu’on se le dise avec son caractère… particulier, il doit être de ceux qui lui ferait l’accueil le moins chaleureux. Pire qu’Albane. Pire qu’Aaron. Pire que Melrose. Peut être bien pire que les trois réunis. Après réflexion, la jeune femme craint avoir fait le voyage pour rien. Il y a trop de monde. Des touristes qui cherchent un soleil qui se fait rare ces derniers temps, pour beaucoup. S’il était là, elle le ratera à tous les coups. Pourtant lui, il l’a remarquée et elle ne se sent pas observée. Comme quoi se retrouver là finira presque par la rendre malade. Pas un sourire, la rouquine affiche un air plutôt anxieux en réalité. Même le moins angoissé des résidents de cette ville ne parviendrait pas à s’imprégner de l’ambiance. Elle ne sent plus chez elle. Quelle connerie de s’être enfuie. Quelle connerie d’être revenue. Elle tourne une dernière fois sur elle au cas où il lui ait échappé.
À défaut d’avoir un sixième sens, Sephora s’avère ne pas avoir oublié certaines habitudes de ses proches. Elle se revoit encore l’avoir traîné ici en disant que vide de tout ce peuple, elle adorait l’endroit. Elle déglutit et ses traits se tirent.

Sa réaction ne se fait pas attendre. « Pourquoi tu es revenue ? » Pas un bonjour. Pas un sourire. La réaction la plus chaleureuse au monde. À croire qu’elle aurait mieux fait de rester de l’autre côté de la Manche. À croire que chacun de ses amis avait finit par s’accommoder à son absence. Elle non. Elle manque de tourner les talons et rentrer chez elle silencieuse et puis la seconde question, plus sensée, ne tarde pas. « Pourquoi t’es partie ? » À croire qu’ils ne peuvent pas comprendre à quel point sa dernière relation la détruite. Elle y croyait comme jamais. À croire aussi qu’elle pouvait également douter de leur soutien. Trop égoïste. Son comportement révélait à quel point elle pouvait être égoïste. Égoïste. Le mot résonne un moment dans sa tête. Elle manque d’oublier Noah et se mord la lèvre en constatant qu’il attend toujours des explications. Comme les autres. Ils ont attendu deux mois et ils attendent encore aujourd’hui. Elle commence à se sentir lassée à l’idée de toujours expliquer la même chose. Elle ne peut pas leur dire que tout va bien, son absence ne serait plus crédible. « Je pouvais pas rester. » Visage baissée, incapable d’affronter son regard et mal à l’aise, elle sent une boule se former dans son ventre et c’est loin d’être du cinéma de gamine capricieuse qui fait tout pour qu’on la pardonne. Et si je suis revenue, c’est parce que je ne pouvais pas rester là bas, non plus. « Après… le départ de Gaël, je pouvais pas. Faire comme si de rien n’était ou m’effondrer devant vous. » Surtout lui. Autant Albane et Aaron l’ont ramassée à la petite cuillère après chaque histoire, autant Noah connaissait surtout la fille toujours pleine de vie. Et si Noah se sent abandonné comme un petit animal sur le bord de la route, Sephora se sent comme une véritable sans domicile fixe. Sans repère. Ils font bien la paire pour le coup.

Séphora parait prête à partir quand je pose ma question, tranchante comme un coup de guillotine en pleine nuque. Mais rapidement je me ravise, si bien qu’elle reste. Il faut que je lui pose la vraie question, celle dont je connais déjà la réponse mais que je dois pourtant poser. Pourquoi est-elle partie. Elle n’avait pas à le faire, elle avait ses proches ici, elle pouvait rester avec nous. J’aurais pu inverser les rôles et prendre soin d’elle à mon tour. Ca aurait probablement été difficile au début mais avec de la volonté et surtout en sachant qu’on avait besoin de moi, j’aurais pu y arriver. On aurait pu la remettre à flots assez vite, en fait… On aurait pu. Elle se mord la lèvre, ma question la dérange. J’imagine. « Je pouvais pas rester. » Fait-elle, le visage tourné vers le sol, son regard évitant donc soigneusement de croiser le sien mais min regard, lui, se pose sur la jeune femme comme un poids accusateur. « Si, tu pouvais ! » Je proteste, doucement cependant car je n’ai pas un tempérament de type qui s’énerve vite et devient ridiculement rouge. Elle pouvait rester pour toutes ces raisons évoquées plus haut. Elle avait en tout cas le droit, voire le devoir, de prévenir un minimum de gens. Aussi bien de son départ que de son retour car je ne savais pas plus qu’elle était partie, qu’elle était revenue. « Après… le départ de Gaël, je pouvais pas. Faire comme si de rien n’était ou m’effondrer devant vous. » Je fais un pas en arrière, léger, comme pour encaisser le choc. Elle pouvait si, elle pouvait s’effondrer c’était son droit mais peut être étais-je trop faible, selon elle, pour prendre soin d’elle. Trop faible mentalement parlant, peut être qu’elle pense que je l’aurais doucement entrainée vers les abîmes de la dépression. Mais je ne suis pas en dépression, je suis en plein questionnement. Je ne trouve pas ma vie triste, elle ne l’est pas, je la trouve inutile. Nuance. « Si, tu pouvais. » Je répète, plus ferme, plus convainquant. « Et donc. Pourquoi tu es revenue ? Tu pensais que nous allions t’accueillir à bras ouverts ? Ca aurait probablement été le cas si tu nous avais prévenus. » Je passe mes dents sur ma lèvre inférieur, je m’en veux de lui parler comme ça alors qu’elle a longtemps été mon amie mais a partir du moment où elle a considérer que je n’étais pas assez important dans sa vie pour ne pas me prévenir, j’ai considérer qu’elle n’était pas mon amie et que, au fond, elle ne l’avait probablement jamais été.

Ne pas fondre en larmes. Ne pas fondre en larmes. Ce serait le dernier truc à faire. Passer pour la pleurnicharde de service, elle l’a fait toute l’année précédente, toujours pour les mêmes raisons et au cours de ses deux mois en Angleterre, elle s’est jurée de se reprendre un minimum. C’était bien là le réel but de son absence. S’aérer les idées, prendre du recul. À la base, la jeune femme comptait s’installer définitivement là-bas, mais vous savez, les choses ne se passent jamais comme prévues. Ce serait bien trop facile, sinon. « Si, tu pouvais. » Lui demander de rester pour affronter la situation, ça aurait été mal la connaître. En plus d’avoir été idiote et égoïste, Sephora s’est révélée être une lâche. Elle n’a pas pris le temps de réfléchir quelques secondes, comme l’éventualité qu’ils auraient pu l’aider. La fuite, c’est comme une seconde nature chez elle. Instinctif. Elle n’a donc pas de mot pour expliquer ce qu’il lui est passé par la tête. « Et donc. Pourquoi tu es revenue ? Tu pensais que nous allions t’accueillir à bras ouverts ? Ça aurait probablement été le cas si tu nous avais prévenus. » C’est dingue ce que la réalité peut être douloureuse. Il paraît que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, ou à entendre. Peu importe. Ce que vient de lui dire Noah, c’est le genre de chose qui vous fait réagir de la même façon qu’une gifle. En revenant à Paris, Sephora ne s’est pas projetée dans le moindre scenario. Ça lui est venu comme ça, un beau matin. Une énième décision prise sur un coup de tête. Effectivement, elle ne s’attendait à ce qu’ils l’accueillent à bras ouverts. « Non. Enfin… Je m’attendais à me faire rejeter pour autant. » Nouveau clignement de yeux. Pourquoi est-ce qu’il s’éloigne ? Elle saisit pas ce geste et hausse les épaules, attristée de voir une réaction sensée. Enfin. La rouquine relève ses yeux « Parce que… Parce que, vous me… ouais, vous me manquiez. Tous. Chacun de vous, toi compris tu sais, mais je doute que ça te fasse quelque chose maintenant. » Oui, parce qu’on est jamais trop prudent. Une nouvelle fois, il pourrait se sentir exclu et si c’est particulièrement tendu entre eux, quitte à ce que leur amitié soit perdue pour toujours, autant se montrer le plus précise possible.

Le rejet de ses proches. Le sentiment d’être détestée. Elle ne sait pas les gérer. Elle ne demande pas à être aimée de tout le monde pour autant. Nuance. Elle est loin d’être compliquée vous savez, mais sa logique lui est peut être propre, unique. Et si Noah a préféré mettre une distance physique entre eux, la jeune femme ne peut s’empêcher de la franchir, de se réfugier contre lui. Sephora pourrait être un véritable et adorable petit animal de compagnie, chat ou chien, à vous de voir. Tu la jettes, elle revient avec espoir. Un jour, elle finira par gindre quand elle sera triste et japper quand elle sera heureuse. « Sinon, tu peux aussi me dire ‘bon retour’ et ‘je ne veux plus de toi dans ma vie’. » Sephora ne peut s’empêcher de grimacer en l’imaginant dire une chose similaire. Et si à ses yeux l’amitié est une sorte d’engagement tacite, elle est la première à l’avoir rompu, alors non, elle ne lui en voudra pas. Il lui manquera c’est certain. Noah, c’est pas le gars le plus bavard ou le plus souriant au monde, mais il faut l’avouer qu’elle gardera d’excellents souvenirs des moments passés avec lui.