J’ignore pourquoi ma mère a tant tenu à m’appeler Anne. C’est vrai, je ne porte pas trop d’affection à ce prénom qui est signe de malédiction. Je pense que je dois avoir la même destinée tragique d’Anne Boleyn. Après tout, mon existence funeste a commencé pareille. J’étais insouciante et je pense que je dois toujours avoir cette part de danger en moi. Beaucoup de choses m’ont changé mais pour tout comprendre, il faut que je reprenne l’histoire depuis le commencement. Pas depuis ma naissance, non. Depuis mon arrivée au lycée…

❝ She's a Party Girl ❞

Je viens d’un petit village dans le fin fond des Ardennes qui s’appelle St Laurent, connu pour avoir une école alimentaire juste à côté. Ma famille était sans histoire. Le genre de famille ardennaise normale. Mon père travaillait à l’usine tandis que ma mère était mère au foyer pour s’occuper de ses enfants. Nous n’étions pas nombreux. Nous ne le sommes pas d’ailleurs puisque personne n’est décédé. Sauf peut-être moi pendant deux minutes. Marie ma sœur aînée a quitté le domicile quand j’ai eu dix ans et nous avons de ses nouvelles deux trois fois par an puisqu’elle habite avec son mari en Angleterre et mon frère, Georges – à croire que c’est fait exprès n’est-ce pas ? – était plus jeune que nous. De moi, je veux dire, d’un an. Personne n’a fait le rapprochement avec nos prénoms. Nous étions les trois enfants Chevalier. Issus d’une mère anglaise revêche qui se trouvait trop bien pour le village et d’un père usé jusqu’à la moelle. On se demande souvent comment se sont rencontrés mes parents. Je me la suis moi-même posée un million de fois mais n’ayant pas un attrait particulier pour les histoires, je ne leur ai jamais posé la question. Et comme à ce jour, je n’ai plus de contact qu’avec Georges et Anne mais plus avec mes parents, je dirai que les carottes sont cuites.

Je n’ai jamais fait d’étincelles durant ma jeunesse. Toujours droite, toujours polie, rien ne me prédestinait à avoir une destinée comme la mienne. Destinée est un bien grand mot. J’ai vingt-deux ans et je suis déjà meurtrie parce qu’on appelle la vie. Je ne suis pas une martyre mais disons que quand j’ai mis les pieds au lycée Sévigné, je ne pensais pas m’en tirer aussi meurtrie par la vie. Je ne pensais pas tomber amoureuse en somme.

❝ I could fallen in love ❞

Il s’appelait Dimitri et avait vingt ans de plus que moi. Presque tout rond quand on y pense. Quand je suis arrivée, j’avais quinze ans vu que je suis de la fin de l’année (Décembre) et je ne pensais pas tomber sous son charme. A vrai dire pendant toute mon année de seconde, je ne l’ai pas regardé, je venais, je subissais et je repartais. Je n’ai jamais porté une affection particulière à la musique. Bien au contraire. J’ai toujours préféré le cinéma et avec une vocation toute particulière, je me suis rendue dans ses cours. La fin de l’année a été une sorte de délivrance pour moi et quand je l’ai recroisé en ville l’année de mes seize ans, je ne pensais pas qu’il m’avait remise. Sauf que si. « Un verre, ça vous tente, m’a-t-il proposé. » J’ai été si naïve et si aveuglée par son magnétisme et sa prestance que je l’ai suivi pour discuter avec lui de tout et de rien pendant deux heures. Ma mère m’a tué ce jour-là. Mais je m’en fichai j’avais passé une bonne après-midi.

Vous savez, il est très facile de tomber amoureuse à l’âge de seize ans. Nous avons fait le cabaret Vert ensemble et c’est là que je l’ai embrassé pour la première fois. J’ai même couché le soir-même mais je n’avais pas la réputation d’être la Sainte Vierge. Il n’a jamais été mon premier. Il savait que j’étais autant attirée par les femmes que par les hommes mais cela ne le dérangeait pas. Je me perdais en déclaration d’amour, acceptant qu’il ait une femme, qu’elle tombe enceinte de lui (ce qui signifiait clairement qu’il continuait de coucher avec elle) mais pas une seconde je n’ai cru qu’il se servait de moi. Ma meilleure amie était dans la confidence. Elle m’avait dit cent fois de le quitter mais je n’ai pas pu. J’ai gâché les plus belles années de ma vie pour cet homme. Quatre années de ma vie. C’est énorme quand on a vingt-deux ans mais ce n’est rien quand on en a quarante-deux. Un jour, alors que j’avais enfin quitté le lycée, que je restais dans les Ardennes pour lui alors que j’avais eu une bourse pour faire une école d’Audiovisuel à Paris, le scandale a éclaté. Ils ont parlé. Les preuves ont été montrées. Il n’a pas nié, moi non plus. Et j’ai tout perdu.

En effet, quelques jours auparavant, j’avais appris que j’étais enceinte de lui… Une tragédie.

❝ Looking for misery
But she found me ❞

Les choses se sont succédé si rapidement que tout s’est embrouillé dans ma tête. Sa femme est partie, le quittant en apprenant son infidélité et moi si naïve, mais j’étais jeune, j’ai cru que nous pourrions être ensemble. « Je suis enceinte Dimitri, lui avais-je alors dit sans contenir ma joie. » Son regard m’a glacé le sang. « Venant d’une salope comme toi, cela ne m’étonne pas. Toutes mes félicitations au père. » S’en ai suivi la dispute la plus violente que je n’ai jamais eu. Je l’implorai de me croire mais il m’a empoigné le bras pour me jeter dehors. Je me suis coupée les mains avec le gravier, pleurant longuement. « Va-t’en donc faire le tapin, sale traînée. » Ses paroles me hantent encore. Je n’en dors plus la nuit. Je revois par brides la conversation. J’ai couru à en perdre haleine et c’est elle qui m’a retrouvé sous la pluie morte de froid. Nous avons beaucoup bu ce soir-là. Enormément. Et un accident est si vite arrivé. La voiture a dérapé, l‘arbre puis le trou noir.

Quand je me suis réveillée, j’étais à l’hôpital avec une mémoire embrumée. Je ne me souvenais pas de tout. J’avais oublié une majeure partie de mes années scolaires, de ce qui avait pu me conduire ici. Mais quand on m’a annoncé le mort de Jennifer, j’ai hurlé. Je ne me suis jamais sentie aussi seule de toute ma vie. Georges était à mon chevet et me parlait doucement, essayant de me faire comprendre qu’il sera toujours là pour moi mais c’est comme si je m’étais enfermée dans une bulle. J’ai refusé de voir mes parents et en lisant les journaux, j’ai vu que je pouvais passer pour morte aux yeux de tous. Peu de personnes savent qui a réellement péri dans cet accident. « Je vais m’en aller, avais-je dit à mes parents. » Ma mère n’avait pas trouvé la force de me retenir. J’avais tout perdu. Ma réputation, l’homme que j’aimais, ma meilleure amie et mon enfant. On m’a appris que j’aurai peu de chances d’en ravoir un. Je lui en veux tellement. J’ai maintes fois rêvée de le tuer. Il a gâché ma vie.

❝ Bury me bury me ❞

Deux ans presque trois pour me reconstruire. Je suis partie pendant les vacances scolaires chez ma sœur à Londres et je n’ai plus jamais remis les pieds dans les Ardennes. Mes études se passent bien, je n’ai eu personne depuis Dimitri, je suis trop dégoutée, meurtrie à cause de l’amour. Du coup, je me concentre sur mon travail de projectionniste au cinéma, sur mon école et mes nouveaux amis. Mais c’était sans compter sur la nouvelle qui allait encore chambouler ma vie. « Mais si Penny viens, on va à un concert, le groupe est génial. » Je déteste la musique. Je la hais. Cette musique qui m’a amené jusqu’à lui, qui m’a fait me perdre mais lui faire plaisir, je l’accompagne tout de même. La soirée d’avant le concert à camper devant la salle, raconter des histoires toutes aussi farfelues les unes que les autres était sympa. Mes amies ne connaissent rien de mon passé, je ne vois pas l’intérêt d’en parler à quelqu’un. Puis, il y a bien fallu qu’on rentre dans la salle. J’ai suivi dans le monde en riant, en plaisantant avant de m’accouder à la grille pour voir le chanteur arriver.

Avec mes trous de mémoire et les années qui se sont écoulées, j’aurai pu oublier son visage mais quand il est monté sur scène pour saluer tout le monde et se mettre à la batterie, je n’ai pas pu détacher mes yeux de lui. Les autres s’excitaient autour de moi mais je ne bougeais pas d’un cil. J’espérais au fond qu’il ne me voit pas. La salle était bondée mais il a fini par venir jouer une chanson à la guitare si près de moi que j’ai commencé à reculer. « Mais Penny, où vas-tu, m’as alors demandé mon amie. Ce n’est pas fini. » Loin, très loin de mon passé qui me rattrape. Trop tard, je sens son regard noir d’encre sur moi et je me retourne donc pour vérifier. C’est trop tard. Mes sentiments enfouis au fond de moi m’hypnotisent et je suis incapable de bouger. Ce n’est que quand les dernières notes retentissent que je prends la fuite poussant tout le monde pour atterrir de nouveau par terre, me refaire les mêmes marques. Le fantôme de Jenny me hante, me suit dans les ruelles de Paris et je me terre dans mon appartement pendant quelques jours, incapable de faire quoi que ce soit. J’ignorai alors que le pire était encore à venir. J’ignorai qu’il vivait désormais ici… Et ainsi donc que l’Enfer que j’avais fui venait de me rattraper.

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Grayson, Yannie, Ella, Lumen, Cheshire, Glagla, Jayden & Albane