Il fait nuit. La lune brille bien haut dans le ciel, la salope, totalement inaccessible. Mon dos craque quand je me redresse sur ma chaise, je pousse un soupir en posant une main sur mon ventre qui a l'air sur le point d'exploser. Je suis sur le point d'exploser. L'obstétricien a été clair, l'accouchement ne tardera plus. Je tapote machinalement la courbe de mon abdomen, Emma semble comprendre qu'il se passe quelque chose et pousse contre ma peau, assez fort pour produire une bosse qui court jusqu'à mon nombril. Je n'ai plus beaucoup de nouvelles de son père. Quelques SMS de temps en temps. Ca me fait peur. Je ferme un instant les yeux, je laisse retomber mon pinceau dans mon gobelet d'eau et je soupire de nouveau. Mon appartement est trop vide. Trop silencieux. Même la musique que dégueule mon ordinateur ne suffit pas. All is quiet on New Year's day. La voix de Bono est légèrement cassée, un peu comme mon moral. Et puis d'un seul coup la porte s'ouvre avec fracas. Je sursaute violemment, manque de tomber de ma chaise et me tourne vers l'entrée. Une haute silhouette. Couverte de tatouages. Hey... C'est Jack. Je l'observe un long moment. J'ai l'impression d'avoir une hallucination sous les yeux. « ... Ca faisait longtemps. » Depuis que Jayden m'a balancé qu'il ne voulait plus rien avoir à faire avec moi, en fait. Je déglutis un peu nerveusement, tout en me relevant avec quelques difficultés. J'ai de plus en plus de mal à me déplacer. « Qu'est-ce que tu veux ? » S'il est là, c'est bien parce qu'il a besoin de quelque chose. N'est-ce pas ?

J'ai du mal à saisir exactement ce qui se passe. La main de Jack remonte le long de ma joue pour aller s'emmêler dans mes mèches brunes, redescend pour entremêler nos doigts pendant que son visage s'approche du mien. J'voulais juste... te voir. Son souffle balaie mes joues, ses lèvres frôlent les miennes. Je recule vivement la tête mais elles reviennent à la charge, encore. Je ne peux pas me pencher plus en arrière sans me retrouver les fesses par terre alors je pose les deux mains sur son torse pour le maintenir à distance respectable. « Qu'est-ce que tu fous, bordel ? » T'es bandante pour une femme enceinte. Je lève les yeux au ciel mais je n'arrive pas à m'empêcher de rougir. Son visage se loge contre ma gorge, son souffle m'arrache un frisson malgré moi. Je ne comprends pas ce qui se passe. Il me serre contre lui à me rompre les côtes, et je n'ai pas d'autre choix que lui frotter doucement le dos, comme pour essayer de le calmer. Il est bizarre. Trop bizarre. Tu vas bien ? depuis l'temps. Je me retiens de lever de nouveau les yeux au ciel. « Là, tout de suite, j'ai l'impression que mes côtes vont finir par casser. Mais ça va. J'fais avec. » Je finis par le repousser doucement pour récupérer une position correcte, qui ne me donne pas l'impression d'avoir la colonne vertébrale pliée en deux. « Je répète, qu'est-ce que tu veux ? Pourquoi tu débarques chez moi comme ça, sans prévenir ? »

Encore une fois ses lèvres se pressent contre les miennes. J'ai l'impression de recevoir le baiser désespéré d'un condamné à mort. Il me fait passer toute sa mélancolie au travers d'une simple pression des lèvres. C'est particulièrement déstabilisant. Je suis tentée de le repousser, mais ses mains qui s'accrochent à mes épaules comme à une bouée de sauvetage m'en empêchent. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas ce qui se passe dans sa tête et je déteste ne pas comprendre. Il finit par me lâcher. Je me mordille nerveusement la lèvre en affrontant son regard trop pâle, je finis par soupirer. « Tu peux... Tu peux rester dormir ici cette nuit, si tu veux. » Je passe une main dans mes cheveux pour les ramener loin de mon visage, je finis par lui adresser un sourire un peu tremblant et, doucement, je viens caresser sa joue. Il me fait l'effet d'un enfant perdu. Un gosse abandonné par les personnes qu'il aime, incapable de retrouver sa route par lui-même. Mon coeur se serre un instant. Qu'est-ce qui a bien pu se passer ? « Je vais m'occuper de toi ce soir, d'accord ? » M'occuper des autres. C'est tout ce que je sais faire de bien.

Je suis ses mouvements du regard. Je compte bien essayer de comprendre ce qui se passe chez lui, peu importe le moyen. Je compte bien le surveiller, lui apporter un peu d'aide, même si ce n'est que le temps d'une nuit. Il disparaît dans la salle de bains avec son sac, je pousse un soupir et je vais me préparer un thé sans rien dire. Je suis inquiète pour lui. Jack est et restera mon petit prince quoi qu'il arrive. Quelqu'un dont je suis proche, quelqu'un qui a droit à une place dans mon coeur d'artichaut. Nouveau soupir pendant que je verse l'eau bouillante dans ma tasse, il est de retour, il semble d'humeur étonnamment guillerette pour quelqu'un qui semblait sur le point de sombrer dans le désespoir le plus total à peine cinq minutes auparavant. Il s'approche, pose une main sur mon ventre impressionnant à ce stade. Comment se passe ta grossesse ? ça fait combien de mois maintenant ? c'est fou c'que le temps passe vite ! Je hoche la tête, les yeux braqués sur son visage. « Huit mois et demi. Enfin, presque. Je suis sur la fin et il était temps, mon tour de taille ferait pâlir d'envie une baleine. » Je l'observe, je l'observe et je finis par lever la main pour recueillir les dernières traces de poudre blanche sous sa narine. « T'as que ça à foutre de sniffer tes merdes ? T'as pensé à ton fils ? » Je ne le comprends plus. Et ça me rend plus triste qu'autre chose.