Ma mère ne m'en voulait pas d'être né en ce beau jour d'été, ce jour où était célébré la fête de la musique, mais presque. La musique dans la famille a toujours été une institution. Avant même de naître, Aaron était bercé par les grands classiques de l'art musical, passant par les Rolling Stone, les Beatles, Michael Jackson et compagnie.

Papi, t'as appris où à jouer de la guitareee ? Mon premier réel contact avec un instrument de musique c'était fait le jour même de mes 6 ans. C'est mon propre grand père qui m'a appris, j'avais alors ton âge. Tu aimerais apprendre toi aussi à en jouer ? La question ne se posait même pas. Des étoiles s'illuminaient dans mes yeux et tremblaient d'admiration et d'envie face à mon grand-père jouant quelques accords devant moi. Il me tendit sa guitare sèche, et je la pris sachant déjà comment la positionner : J'avais tellement de fois observé mon grand-père faire que ses gestes étaient imprégnés dans ma tête. J'appris mes premiers accords en ce jour et je revenais de temps en temps voir mon grand-père afin qu'il relate mes progrès et m'aide à progresser. Entre temps j'avais commencer à apprendre à jouer du piano et à chanter. Ce simple passe-temps avait finit par devenir un réel échappatoire.

Mes 14 ans. Je dormais encore, plongé dans mes rêves les plus fous - j'ai toujours eu l'imagination fertile - , lorsque le téléphone sonna. Je grogna : Je détestais qu'on me réveille, d'autant plus que j'avais fait la fête chez des amis lors de la nuit dernière alors autant dire que j'étais complètement KO. J'enfilai mes chaussons, traversa le couloir et déboucha sur le salon. J'émergeais, me frottais les yeux, et observais ma mère au téléphone. Des larmes se mirent à couler de ses joues. J'attendis qu'elle raccroche, inquiet, et m'approcha d'elle pour la serrer dans mes bras. Papa n'était pas là, n'était plus là pour la réconforter, et j'étais donc le dernier homme responsable de la maison. Je devais veiller sur ma mère, sur ma petite sœur et mon frère. Je la regarda et lui dit : Maman, qu'est-ce qu'il se passe ? Elle me regarda à son tour, les lèvres tremblantes, n'arrivant pas à stopper ses larmes. C'est ton grand-père. Je me détacha d'elle et la regarda d'un air extrêmement inquiet. Je savais au fond, je m'en doutais, mais je ne voulais pas l'imaginer, je ne voulais tout simplement pas. Il est décédé. 3 mots, l'effet d'une bombe. Je me mordis la lèvre, et retourna en courant dans ma chambre. Ma porte claqua en même temps que mes larmes tombèrent. Je la verrouilla et me laissa glisser contre elle en fixant la guitare qui gisait au bout de la pièce. L'homme le plus important de ma vie venait de disparaître, je n'étais pas prêt de m'en remettre. Peut-être même qu'au fond je ne le serais jamais.

Ce fut moi qui fit le discours à l'enterrement de mon grand-père. Je n'avais jamais été plus ému de ma vie qu'en ce jour. Je parlais, la voix tremblante, et m'arrêtais lorsque je sentais les larmes me submerger. La mélodie habituelle et morbide des enterrements ne fut pas joué, ce fut moi qui joua la mélodie. C'était la chanson préférée de papi, je le savais, et je l'avais apprise seul. J'espérais qu'il serait fier de moi. Cette chanson fut spéciale, c'était la première fois que je la jouais avec SA guitare, sa guitare que j'avais tant admiré, celle que je lui avais jalousé intérieurement, celle qu'il tenait dans les mains, celle avec qui il jouait. Il me l'avait léguée dans son testament, et j'en étais terriblement fier et pourtant ne m'en sentais pas digne.
Le deuil de mon grand-père fut lourd à porter, et sa mort dure à accepter. En grandissant, la peine en y repensant ne maigrissait pas, mais j'essayais de ne plus y penser. Et mes efforts persistants portaient peu à peu leurs fruits.

Depuis tout petit, deux rêves s'étaient battis dans mon esprit. Le premier étant d'être médecin. J'avais toujours trouvé ce métier passionnant, dès le plus jeune âge, et j'étais déterminé à aller jusqu'au bout de ma carrière de rêve. J'avais des résultats corrects mais pas exceptionnels, et il faut dire que ma famille ne me croyait pas capable d'un tel exploit. A la fin de mon lycée, où j’obtins contre toute attente une mention bien à mon bac, je m'inscrivis à la fac de médecine et acheta un appartement avec une part de mon compte en banque. Cash. Il faut le dire, j'avais et j'ai toujours un bon compte en banque, ma famille étant assez riche. Quand j'étais gosse, je voulais devenir chanteur. Mon grand-père m'avait entraîné dans cette voie, mais en grandissant je sentais que ce n'était pas fait pour moi. La seule chose à laquelle j'aspirais était une vie sereine, des enfants, et un mari ou une femme. Une vie simplement heureuse.

Ce bonheur, j'ai cru l'avoir trouvé le temps d'un été. Je l'avais trouvé pour bien dire, de manière temporaire. J'avais fait connaissance avec ce type, Cheshire, et j'avais peu à peu baissé ma garde. Il avait fait ressortir en moi un tas de sentiments, du courage. C'était une réelle idylle, un moment presque parfait malgré quelques turbulences, mais le rêve s'effondra du jour au lendemain. Il m'avait prévenu que ce jour pourrait arriver, et il avait raison, mais je n'arrivais pas à l'admettre. Cheshire m'avait lâché, je me sentais complètement abandonné. Ella, ma meilleure amie, était là, mais j'avais l'impression d'être plongé dans une spirale cauchemardesque. Il disparu, longtemps, aussi longtemps que le temps me paraissait interminable. J'étais détruit, en surface comme au plus profond de mon être. L'espoir de le voir revenir, comme promis, s'amenuisait, et je n'en pouvais plus. Un soir, mon désespoir fut si haut que ma lame de rasoir traça une ligne au creux de mon poignet droit. Je n'en pouvais plus. On m'a ramené à la vie à temps, c'était Yannie. Et quand Cheshire est revenu, c'était comme s'il ne s'était rien passé pour lui. C'était fini, c'était clair et net. Il avait si facilement tourné la page que cela me déchirait le coeur, car ce n'était pas le cas pour moi. Je le voyais traîner de droite à gauche, sauter le premier venu, et je restais à l'écart de tout ça, un énorme pincement au coeur et la tête submergée de jalousie. Je ne sais pas encore si j'ai réellement tourné la page, je sais qu'il le faut, mais je n'arrive pas à la brûler, je ne crois pas. Ma vie est désormais plongée dans un monde rempli de routine, routine que je déteste plus que tout, routine que j'aimerais exterminer. Finalement, je crois que c'est ce qui me manque le plus chez Cheshire : l'aventure qu'il me faisait vivre au quotidien.