« Alexie ». J'ai toujours cru que le choix de ce prénom me rendait spéciale, unique. Bien sûr, tout le monde est unique, mais certaines personnes sont moins originales que d'autre, il faut se le dire. Ce prénom masculin féminisé, bien que ce soit ma mère qui en ai eu l'idée, je l'ai toujours adoré. Mon deuxième prénom, Katerina, me vient des origines russes de mon père. Toute petite, je vivais avec mon père et ma mère, dans un tout petit village du sud de la France, dans la Drôme Provençale, par là-bas. On avait une jolie maison de campagne, vraiment sympa! Mais c'est tout juste si je m'en rappelle. Je n'ai pas pu en profiter bien longtemps, mes parents se sont séparés alors que je n'avais que 6 ans. Ca chauffait entre eux depuis quelques temps déjà. L'ambiance était tendue en permanence, ils n'arrêtaient pas de se disputer. Lorsque le divorce a été prononcé, je me rappelle que mon père était déchiré, il savait qu'il fallait qu'ils se séparent, mais au fond il n'en avait pas envie. Il ne savait pas trop où aller, mais après quelques hésitations, il est reparti dans sa terre natale qu'est la Russie, et je ne l'ai plus revue souvent ensuite. J'étais horriblement triste, je trouvais ça injuste. Mon père était affreusement désolé, mais qu'il n'y avait plus rien qui le rattachait ici, à part moi bien sûr. Quelques temps après, on a déménagé pour Paris avec ma mère ; elle était plutôt bien placée dans son boulot, et avait le salaire qui allait avec. Et puis, « la pension alimentaire que ton père paie servira à te faire vivre » m'avait dit ma mère. En effet, elle n'a jamais dépensé plus que le chèque qu'envoyait mon père pour moi. Elle m'a inscrite dans une école huppée, une « école de riche », mais uniquement pour la fierté. Je voyais bien que mes amies étaient mieux habillées je ne l'étais, mais je le gardais pour moi même si je les enviais secrètement. Néanmoins, j'ai toujours eu un goût pour les habits chics et classes, et mes économies y sont passées pour assouvir mes désirs de bourge.
Peu de temps après notre arrivée dans la capitale, ma mère a trouvé un compagnon. Je me demande si elle n'était pas avec lui depuis plus longtemps, parce qu'ils avaient l'air de se connaître par cœur. En tout cas, je ne l'aimais pas. Déjà que ma mère ne s'occupait pas vraiment de moi, là ce fut encore pire. Cet homme accaparait ma mère, je ne la voyais jamais. Je ne pouvais rien faire avec elles ; les devoirs, le shopping, rien de tout ça. Ce qui m'a le plus brisée c'est que ma mère s'en foutait éperdument. Je voyais à son regard qu'elle n'en avait rien à faire de moi. Au début, quand cet homme n'était pas encore là, j'avais cru qu'elle était juste blasée de la ville, peut-être un peu triste de sa séparation d'avec mon père. Mais j'ai vite compris que non, que c'était juste qu'elle en avait ras le bol de moi. Dans sa petite idylle amoureuse, j'étais la cinquième roue du carrosse, la fille qui n'avait pas sa place. Je jalousais mes amies qui se baladait main dans la main avec leur mère et qui leur demandait une glace sans redouter de se faire hurler dessus. J'en voulais terriblement à ma mère que mon père soit si loin de moi, j'étais persuadée que lui il me comprendrait. Je lui en voulais qu'elle m'efface pour cet autre homme, que je ne connaissais même pas, mais elle ne m'écoutais pas et passais son temps avec lui. Elle me grondait même, me disant que j'étais une fille indigne qui ne respectait pas les autres.
Je suis rapidement devenue autonome. Financièrement, physiquement, mentalement, tout. Et je vous jure qu'à 10 ans c'est pas facile. Je portais les sacs des petites mamies, faisait du ménage, du repassage, distribuait des tracts, faisait du bricolage, vendait mes anciens jouets au pucier. Je me faisais toute seule à manger, m'achetais moi-même la nourriture, mes habits aussi. Faire le genre de choses que l'on fait adulte, à seulement 10 ans, je peux vous dire que ça vous forge une personne. Néanmoins, j'essayais de profiter de ma jeunesse au maximum, ma mère m'autorisait à aller à tous les goûters d'anniversaire que je voulais – tant que j'étais loin d'elle, c'était parfait ! Alors je ne me suis pas fait prier. J'ai mis toutes les chances de mon côté pour réussir à l'école, et partir de chez moi le plus tôt possible. Heureusement j'avais des facilités, et je me suis vite retrouvée dans les meilleures de l'école. Mon père n'était pas au courant de l'enfer que je vivais ici, mais je ne voulais pas l'inquiéter, je lui avais simplement demandé de m'envoyer l'argent en « cash », parce que je soupçonnais ma mère de ne pas me donner tout l'argent que je devais avoir. J'interceptais donc la lettre en provenance de Russie, et gardais les billets au chaud dans ma chambre.
Lorsque j'ai eu 16 ans, j'ai demandé à ma mère d'être émancipée. Elle n'a pas refusée, elle était même aux anges : sa fille-déchet ne serait plus dans ses pattes. Je ne l'ai plus revue depuis. Mais émancipée voulait dire « je me débrouille entièrement seule ». J'ai fait appel à mon père, qui m'a généreusement financé l'internat, mais je savais qu'il n'avait pas les moyens et qu'il se sacrifiait pour moi. Plus tard, je suis entrée dans une école publique de journalisme, et j'enchaînais les petits boulots pour financer mon logement, ma nourriture, et mes habits. Je ne faisais plus appel à mon père, et me débrouillais donc seule. J'avais trouvé une petite maison, un petit studio disons, dans le IIème arrondissement de la capitale – vous vous demanderez peut-être comment je ne pouvais pas détester cette ville, après l'enfance que j'y avais passée.. mais Paris m'avait toujours plu, je m'y sentais vraiment bien : ma mère n'était qu'une tâche parmi la beauté de cette ville –, coincé entre deux maisons plus grosse. Je le louais à une petite grand-mère adorable et vraiment généreuse : le salaire était bien en dessous de ce que cet appartement valait, et je la remerciais grandement. Déterminée, j'ai réussis mes études avec succès, et ai réussi à trouver un boulot rapidement, tout d'abord comme secrétaire chez France Télévision, et puis, lorsqu'ils ont été certains de ma motivation et de mes qualités, ils m'ont engagés en tant que journaliste. Je crois qu'ils ne sont pas mécontents de mon travail.