« MAAAAAAAMAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN !»
Réveillée par un cauchemar. C'était devenu une habitude du jeudi matin à 6h : Tarissa, hurlant à la mort après un sommeil agité. J'allais aussitôt la chercher dans son lit, redoutant mon voisins grincheux du dessous et ses coups de balais au plafond. Elle était assise, entourée d'une demie-douzaine de peluches en tous genres, ses yeux bleus emplis de larmes et les joues en feu. Je la pris dans mes bras et la serrais contre moi. La voir dans cet état me laissait toujours un pincement au cœur. Elle faisait partie de moi, si elle était mal, je l'étais aussi. Je ne pouvais que la prendre à mon cou, en la berçant doucement, rien de plus, et cela me frustrait. Je me sentais inutile face à cette petite tête blonde pleurant toutes les larmes de son corps. Je m'asseyais sur le vieux rocking-chair et me balançais, chantant une berceuse slovène que ma mère avait l'habitude de me murmurer le soir pour que je m'endorme. Après une dizaine de minutes, la chansonnette avait eu l'effet escompté, la petite, pouce dans la bouche, avait fermé les yeux et dormait paisiblement. Je la contemplais ainsi, pendant un long moment, profitant de cet instant si précieux, si unique avec ma fille, la chair de ma chair, qui grandissait bien trop vite à mon goût.
Je dû m'assoupir à mon tour car la seule chose dont je me souviens ensuite, c'est d'avoir ouvert les yeux pour trouver sur mes genoux la petite Tarissa, affairée à mordre la manche de mon pyjama. Déjà 8h30. J'allais être en retard. Je déposais rapidement la petite au jardin d'enfants et m'empressais de rejoindre le 1er arrondissement où une nouvelle journée de travail m'attendait : Des dizaines de touristes bruyants et indisciplinés qui se ruaient sur les tableaux sois-disant plus intéressants sous prétexte qu'ils se trouvaient dans leurs livres d'histoire étant plus jeunes. Pure connerie. Ils se fichaient juste comme de leur première chemise de l'histoire passionnante du Radeau de la Méduse ou de la légende de la Joconde, à peine leur photo prise, qu'ils me tannaient déjà pour passer à l'œuvre suivante. Incapables de comprendre ou d'aligner deux mots en français ou en anglais, il me rendaient malade. Cela faisait presque quatre ans que, jours après jours, j'affichais un joli sourire de bienvenue à ces touristes. J'étais supposée représenter la France, et, politesse oblige, je me devais d'avoir l'air heureuse en toutes circonstances. Imaginez seulement ma joie lorsque l'un d'eux se trouvait être réellement intéresse par l'art ! je le bénissais et me détendais enfin pendant quelques instants. Si j'avais eu le choix, le musée se serait placé dernier sur la liste des lieux où je souhaitais travailler, le premier étant l'université de la Sorbonne. Depuis mon premier jour de cours là bas, neuf ans auparavant, je rêvais d'y enseigner, de me retrouver devant une assemblée constituée de jeunes étudiants passionnés à la recherche de savoir, afin de sentir que mes longues études d'Histoire n'avaient pas été vaines. Rien ne pourrait me combler plus sur le plan professionnel. Une voix me fit sortir de mes songes « Madame ? Hm ... Excusez-moi, we're kinda hurry, can we please move on ? » Encore une Américaine bien trop pressée. J'expédiais la visite en une dizaine de minutes. Il me tardait de prendre l'air et de quitter ce tailleur noir ridicule. Je devais par ailleurs récupérer Tarissa à la crèche pour l'emmener en ballade. Le soleil séchait les pelouses au square du Temple, offrant un petit coin de nature et de détente aux promeneurs. Contrairement à ce que disait une célèbre humoriste au sujet des parcs pour enfants, je les trouvais on ne peut plus distractifs. Les marmots apprenaient à évoluer dans un environnement bien plus amusant et nous, parents, avions enfin un instant de répit pour prendre du repos. Je m'asseyais sur la pelouse contre le tronc épais d'un arbre de façon à garder un œil sur la petite. Je l'observais, jouant dans le sable, tout en piochant régulièrement dans un paquet géant de Skittles que je tenais sur mes genoux. C'était sans compter sur l'arrivée d'un invité à quatre pattes qui s'installa sur mes jambes tout en lapant des doigts. Je n'avais pas toujours un bon feeling avec les animaux mais visiblement aujourd'hui, il en était autrement. Je caressais la tête de l'animal tout en cherchant du regard son maître. Mes yeux s'écarquillèrent lorsque je vis courir vers moi un jeune homme aux traits un brin inquiets. Il ralentit son allure en voyant son fidèle compagnon et je lui souris en le reconnaissant. « Alex ! Je l'ai t'en fais pas, il sait où sont les bonnes choses ce petit ! » lançais je en refermant mon paquet de sucreries avant de m'en faire chiper. « Je vois que nous ne sommes pas les seules à sortir en ballade ce soir. » Je souriais avant de passer mes doigts derrière les oreilles de l'animal qui n'avait pratiquement pas bougé depuis son arrivée.