« T'écoutes du blues toi? » lui demanda Brunhilde en glissant ses prunelles émeraudes sur la pile de vieux disques qui siégeait sur une étagère, mais ce n'était pas ça le plus étonnant. Sur une autre étagère reposaient curieusement un harmonica et un saxophone, et sur le mur qui léchait l'arrière-train de ce même meuble était accroché une guitare électrique rouge qui reluisait, signe d'un traitement soigné et méticuleux venant de son propriétaire, Voltaire en l'occurrence. « Alors comme ça, mon petit Voltaire est aussi un artiste? T'en as pas marre d'être parfait? » Elle s'emmitoufla dans une couette et s'installa sur le lit du jeune homme en effleurant le décor de la pièce avec une attention particulière. Elle avait imaginé Voltaire vivre dans une chambre neutre, sans extravagances, avec des murs blancs ou bleu-ciel, un bureau découvert, un lit parfaitement plissé, et une garde-robe d'une banalité afférente. Au lieu de quoi elle découvrait du orange, du rouge, du jaune...Bref, des couleurs pétantes. Des piles de vieux disques parfaitement empilés les uns sur les autres, alignés en colonne, s'étalant sur toute la longueur de l'étagère qui léchait le mur côté Nord. Un étrange objet attira son attention. Voltaire décela son interrogation et se retint d'éclater de rire. « C'est un phonographe espèce d'inculte! C'est l'ancêtre de l'électrophone! » Il ne parvint décemment pas à dissimuler son hilarité. « C'est ça, moque toi! Monsieur je ne sais même pas faire la différence entre une pince à raccord et une pince à joint! » Il haussa les épaules et fit mine de se résigner. S'il y avait bien un domaine dans lequel il était un vrai cancre, c'était la mécanique. Ne lui demandez jamais de réparer une voiture, ne serait-ce même que de jeter un œil au moteur, il y a de fortes chances qu'il pète malencontreusement, et les dégâts ne sont pas toujours très beaux à voir. Depuis sa première boutade en voiture, un banal petit accident qui a déclassé sa voiture, Voltaire ne voyage désormais plus qu'en vélo, et en métro quand il veut jouer les fainéants. « J't'emprunte une BD » Entre ses nombreux livres de biologie, de pathologie, physiologie et de médecine, Brunhilde découvrit également une large palette de bande dessinées. Entre Astérix et Obélix, Yoko Tsuno, anatomie et physiologie humaines, Hippocrate et Spirou, elle avait largement le choix. « Sympa la musique, c'est qui? » Un grommellement suivit sa question. « Nina Simone...Rah, ton ignorance me donne des poussées d'urticaire! » Il vouait un culte à Nina Simone, mais également aux Blues Brothers, à Elvis Presley, Tom Jones, Louis Armstrong, Johnny Cash, Ben King, John Lennon, , The Beatles, Queen, mais aussi à Bach, Vivaldi et Mozart. Il écoutait aussi bien du blues que du classique, avec une préférence pour le jazz. D'ailleurs, il se rendait souvent à l'opéra, et il finissait la soirée en beauté dans un de ces vieux cafés gorgés d'artistes, à jouer un air de guitare ou d'harmonica. C'est le petit jeune de la bande, ses autres compagnons de bohème affichent la soixantaine, si pas plus.

« Tu fais quoi dans la vie, petit? » railla le vieux Bob en crachant ses poumons. Il mâcha longuement son tabac en fumant son vieux cigare, caché derrière une paire de lunettes noires. A part qu'il faisait nuit noire, il était presque comme le commun des mortels. « J'étudie la médecine, et vous, à part courtiser votre vieux cigare et votre belle guitare?...D'ailleurs, vous me laisseriez bien y jouer un petit air? » ajouta-t-il avec un engouement non feint. Ses doigts tripotèrent l'harmonica qu'il venait de s'offrir après avoir économisé une petite somme fructueuse suite à de dures soirées de labeur. Il n'était pas riche, c'étaient ses parents qui goûtaient au luxe depuis leur réussite budgétaire. Eulalie et François travaillaient d'arrache-pied pour se hisser sur la première marche du podium. Ils étaient tous les deux des requins dans la finance et écrasaient avec diplomatie leurs adversaires. Ses parents lui avaient appris à se débrouiller comme un grand, peu enclin à avoir sous le bras un enfant capricieux et détestable. « Médecine? Tu vas astiquer le cul des gens alors? Bouarf! Tiens, t'veux une clope? » Amusé, Voltaire déclina l'offre d'un signe de tête. « Non merci, je ne fume pas » Le vieillard s'exclama en crachotant des petites bouffées toxiques. « Baaah t'as bien raison! Cette merde me pourrit la vie mais qui puis-je si Dieu a fait les hommes plus faibles que Lucifer, j'ai adopté ces crasses depuis trop longtemps pour m'en séparer maintenant » Leur conversation perdura jusqu'à minuit, Voltaire abandonna son vieil ami pour retourner chez lui. « Tiens, Volt est rentré » Marion, sa soeur, lui fit la bise et lui ébouriffa les cheveux dans une étreinte affectueuse. C'était l'aînée des quatre enfants Gladstone, et sans doute la plus sage. A sa suite, nous avons Eugène, un vrai sang chaud avec lequel Voltaire a souvent des confrontations. Entre un Eugène caractérielle, de mauvaise foi et buté, et un Voltaire taquin et piquant, ça faisait souvent des étincelles même si au final, ils revenaient toujours l'un vers l'autre dans une accolade amicale. Ensuite, l'avant-dernier de la famille n'était nul autre que Basile, le plus calme et sans doute le plus bizarre des Gladstone. On se demandait parfois s'il n'était pas un peu schizophrène, mais au final, il était un vrai bisounours. Certes, un bisounours décalé, mais ça restait un vrai nounours. Et en fin de troupeau, le petit cadet du groupe, Voltaire. On l'appelait « Ken », parfois « Mister As » ou encore « Brian », en référence au sketch de Gad Emaleh. Why? Pour la simple et bonne raison qu'il est le garçon « bien » par excellence, le genre sympathique, sociale, drôle, intelligent, serviable, poli, attachant, etc. Bref, de quoi éveiller la jalousie de certains guignols. Sauf que, voilà, il était tout sauf détestable. « Salut Marion, ça va? T'es de passage? » Blabla. Après un bon souper, une bonne petite papote en famille, le cadet des canards monta dans sa chambre, friand de retrouver son petit cocon. Une odeur de violette flottait dans la pièce, attisant ses papilles gustatives. Ce qu'il faut savoir de Volt, c'est que c'est un grand adepte des sucreries. Bonbons, pâtisseries, tartes, etc. Il aime de tout! Fort heureusement, il n'a jamais eu de caries. Ouf! Quoiqu'il en soit, le parfum sucré trouvait sa source dans un bâtonnet fumant. Notre jeune Gladstone aimait beaucoup les diffuseurs d'huile et les encens. Sa mère n'osait jamais rentrer dans sa chambre, trop sensible aux odeurs parfumées. D'ailleurs, elle ne mettait jamais de parfum et se contentait de jouer la touche du naturel. Étendu sur les draps gris-foncé de son lit, il faisait défiler entre ses mains les photos de ses dernières vacances d'été. L'année passée, il était parti avec sa famille dans les Cyclades. Ils étaient allés d'île en île, avec un simple sac à dos en main, poussés par l'aventure et la soif de découverte. La famille était réputée pour son âme d'Indiana Jones. Après le Pérou, le Tibet, l'Indonésie, l'Afrique du Sud, l'Inde, le Nicaragua, la Syrie, l'Iran, Volt aimerait faire un tour à New York, par simple curiosité. Son père se prenait pour Rambo ( ou plutôt, un mélange de Rambo, de Casanova et de Christoph Colomb) et sa mère pour Mary Henrietta Kingsley. Et ne parlons même pas du reste de la famille qui s'était reconvertie en un petit troupeau de chimpanzés. Derrière leur réussite et leur image colgate se cachaient de grands esprits avides de nouveauté, mais surtout d'aventure.

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