« Alpha, tu vois pas que tu me déranges? Non? J'ai pas mis une pancarte -close- pour décorer! Allez, dégage tes grosses fesses de là maintenant » Vous pourrez sentir toute la gentillesse qui se dégage de mes paroles. C'est ce qu'on appelle « l'amour fraternel ». D'après mes fines observations, j'ai remarqué qu'un grand frère se devait toujours d'être chiant avec sa cadette. La tâche n'était pas difficile en soi, j'irais même jusqu'à dire qu'elle était plutôt amusante. « Mars...Mes grosses fesses, elle t'écrasent comme de la cacahuète. Et toi, je t'emmerde...Et si tu continues à m'faire chier, je fiste avec la statue de Poséidon de maman...Crois-moi, le trident, tu le sentiras passer! » Me fister? Aie! Elle mâchait pas ses mots la naine! L'image de la dite statuette vint troubler mes pensées...Sérieux, j'avais tout sauf envie de me recevoir un trident dans le cul. La connaissant, elle en était bien capable...Sale fouine! « Bon demi portion, t'veux quoi? Si c'est pour avoir mon ordi, c'dans ton cul! » J'accompagnai mes paroles d'un joli doigt d'honneur, l'index droit comme un i. « Mais non tsss j'voulais juste te proposer de venir avec moi à Brugges pour aller voir Gaby » Gabriel Godzilla n'était rien d'autre que mon père, un ivrogne déprimé qui passait son temps à se plaindre ou à jouer les gadgetman dans son atelier. « Ça sera sans moi » Autrefois, j'étais le petit garçon qui idolâtrait son papa mais ça, c'était avant. La seule chose qu'il me faisait ressentir à présent n'était que du mépris. Il nous avait tourné le dos, à moi, ma sœur et ma mère, mettant sur la haute marche du podium ses activités excentriques et ses conquêtes d'un soir. Pas étonnant que ma mère avait plié bagages du jour au lendemain, nous y compris, pour filer vers Paris, sa ville natale. J'avais treize ans à l'époque, et il m'arrivait souvent de retourner en Belgique, rien que pour avoir le plaisir de manger une bonne frite (parce-que sérieux, en France, leurs frites, c'est d'la merde!), cuver une bonne bière et m'empiffrer de chocolat. « T'es chiant p'tain! Ça va faire combien de temps que tu l'as pas vu? Six ans? » Il valait mieux pour le peu de cohésion qu'il restait entre moi et Gaby que je reste loin de lui. « Et alors? » me contentai-je de lui répondre en embrassant le bout de ma clope, enivré par sa substance toxique et diablement menaçante. Mes doigts frétillaient sur le petit bâton d'apparence insignifiante alors que mes lèvres courtisaient sa queue avec une envie non feinte. « Tu fumes encore ces crasses?! » C'était plus une affirmation qu'une question. « T'as rien vu, pigé?! » Elle se contenta de renifler d'un air mauvais avant de claquer la porte dans un bruit sonore. « Pimbêche » J'étais censé être un vrai petit ange aux yeux de ma mère et de la populace...Le mec idéal; du genre drôle, super sympathique, intelligent, poli, souriant, etc. Tout ceci n'était que mascarade et fourberie. Je jouais la touche de la comédie pour les bluffer, et qu'ils me foutent ainsi la paix. Pas de reproches, j'étais tranquille. En réalité, j'avais toutes les caractéristiques d'un vrai connard, paraît-il. L'unique, je pense, personne au courant de mes déboires était ma sœur, Alpha. Elle m'avait nombreuses fois menacé de tout balancer à ma mère...L'idiote, elle oubliait parfois que j'étais maître dans l'art du chantage et de la manipulation. (...) « Une année sabbatique? » Ma mère semblait à moitié surprise, elle avala lentement une gorgée de son café tiède avant d'avaler une bonne bouffée d'air. « J'ai toujours voulu voyager... » Je dus lui expliquer le pourquoi du comment et blabla. A vrai dire, je comptais partir en Amérique, du sud ou du nord je n'en savais encore rien, peut-être les deux, mais ce projet ne datait pas d'hier, et ma mère le savait très bien. Après des jours et des jours de tentative de persuasion, elle céda finalement. Je n'avais pas besoin d'une quelconque aide que ce soit, j'étais assez débrouillard pour m'y rendre seul. « Je vais te payer ton billet d'avion et... » D'un geste de la main, je la coupai net dans son élan. « Garde le ton argent, j'ai économisé suffisamment pour me payer mon billet, manger et dormir là-bas » S'il y avait bien une chose que j'exécrais, c'était de dépendre de quelqu'un. Argh! C'est pourquoi je faisais des petits boulots le soir pour gagner mon propre argent de poche. Vivre sur mes lauriers, très peu pour moi. (...) «Salope » Une salope au sourire ô combien ravageur. Son parfum, un mélange de fleur d'oranger et d'encens, m'enivrait à m'en faire perdre la raison. Elle n'était pas maquillée, pas coiffée, et elle ne portait qu'une petite nuisette en soie, noire et douce au toucher. Elle s'appelait Echo, juste...Echo. C'était une tumeur dont on ne pouvait se détacher. Elle vous collait à la peau, vous suçotant doucement jusqu'à la moelle, vous enrobant dans sa sphère de folie...et ça, c'était le pied. C'était mon ticket aller-direct' pour l'enfer. Echo, mon souffre-douleur, mon bourreau...une petite pute américaine sadomasochiste au cœur tendre. Je l'aimais autant que je la haïssais...Trois jours avant mon retour à Paris, elle s'encastra dans un arbre, au volant de son vieux van pourri qui pestait la mort. C'était Echo, une tumeur dont j'avais enfin pu me débarrasser.