Ils étaient en studio depuis dix heures du matin et Hannah était exténuée. Toujours malade, elle était parvenue à se lever au prix d'un effort qui relevait presque du miracle. Avant de quitter l'appartement pour Universal, elle avait pris soin de descendre la fin d'une plaquette de dolipranes — il en restait trois sur celle-là — et en avait emporté une boîte neuve. Il était hors de question qu'elle ne se rende pas avec son frère en studio. Les Woods, c'était eux. Ils étaient deux, ils devaient donc travailler à deux. Et puis, si elle commençait à se laisser abattre par une petite grippe..

Ils avaient travaillé toute la matinée, en compagnie de Ziggy, qui les avait rejoint vers onze heures trente. Ces quelques heures de travail avaient fait un bien fou à la jeune femme. Il y avait longtemps qu'elle n'avait pas vibré en chantant. Et là, elle avait clairement pris son pied. Métaphoriquement parlant. Ils s'étaient accordés une pause, à presque quatorze heures, pour déjeuner. Une joyeuse ambiance régnait entre les musiciens mais, en bonne geek — on se ne refaisait pas — Hannah s'était un peu isolée, son laptop sur les genoux.

Zonant un peu sur facebook, elle pila sur l'un des derniers statuts d'Alicia, fronçant les sourcils. Mon père est.. Un connard. Pire que mon patron, oui. En une phrase, il m'a détruit. --' Pourtant je lui est rien fait. J'arrête mon racontage de vie, j'ai rendez-vous avec mes mouchoirs. Elle relut, attentivement, cherchant à comprendre. Elle n'avait jamais rencontré les parents d'Alicia mais peu importait, on n'avait pas à faire du mal à sa petite blonde. Elle était comme sa sœur et il était hors de question qu'elle la laisse en plan.

Après s'être assurée que la jolie blonde était disposée à se confier, Hannah saisit son smartphone et composa, de tête, son numéro. Il y eut deux tonalités avant que, finalement, quelqu'un ne décroche. « C'est moooooi ! crut-elle bon de préciser, avec bonne humeur. Raconte.. qu'est-ce qui ne va pas ? »

A dix heures du matin, Alicia se réveillait chez un homme qu'elle ne connaissait absolument pas. A peine levée, elle reconnaissait que ce n'était pas chez elle, ni chez un de ses amis et elle était inquiète. Elle mit ses chaussures qu'elle trouva juste à côté du lit, sa veste, posée sur le canapé et son sac. Qu'est ce qu'il c'était passé ? Elle même ne le savait pas. Elle regardait un peu partout et marchait sans faire de bruit, en cherchant la porte d'entrée. Elle ouvrit la porte tout doucement et elle sortit ensuite.

Elle marchait dehors et se disait qu'elle pouvait peut-être rendre visite à ses parents ? Une fois décidée, elle se rendait chez eux, souriante et contente de les voir. Elle rentra et vit son père de mauvaise humeur. Elle se demandait pourquoi mais elle ne disait rien, elle le fixait. Elle disait bonjour à sa mère, mais son père ne lui adressait pas la parole. Même pas un regard, rien. Elle s’asseyait à côté de lui en lui demandant qu'est ce qu'il avait. Il levait la tête en la regardant droit dans les yeux, comme si il était énervé contre elle. Elle essayait de prendre sa main mais celui-ci se leva à ce moment là. A ce moment là, Alicia comprenait qu'il avait quelque chose contre elle. Quelques minutes plus tard, après avoir entendue ces mots, elle était choquée. Elle partait en courant et quitta la maison, sans dire au revoir à sa mère.

Elle rentrait chez elle, les larmes aux yeux et s'allongea sur son canapé en pleurant. Elle prenait plusieurs mouchoirs et se mouchait dedans et essuyait ses larmes, mais rien n'y faisait. Elle était tout autant triste. Elle alluma la télévision et son ordinateur et pour l'instant, elle donnait à manger à son chaton. Elle se mit ensuite devant son ordinateur en postant un statut ; Mon père est.. Un connard. Pire que mon patron, oui. En une phrase, il m'a détruit. --' Pourtant je lui est rien fait. J'arrête mon racontage de vie, j'ai rendez-vous avec mes mouchoirs. Une fois posté, elle essayait de sécher ses larmes et mit de la musique pour penser à autre chose.

Quelques temps plus tard, elle voyait Hannah qui avait postée un commentaire, qui lui redonnait le sourire. Elle attendait donc l'appel d'Hannah, son amie qui était comme sa sœur. Elle répondit avec un petit sourire forcé, en arrêtant de renifler. « Salut Hannah.. » poursuivit-elle « Et bien en gros.. Mon patron à croisé mon père dans la rue, et en a profité pour tout lui balancer et rajouter deux trois petits mensonges. Mon père était fou de rage parce que je ne lui avait rien dit, et qu'il se tuait pour me trouver un travail et que je n'étais même pas capable de le garder. Et aussi que.. » Elle n'osait pas dire ce que son père lui avait aussi dit. Elle commença à pleurer de nouveau. « Que je ne suis.. Qu'une erreur.. » Elle pleurait encore plus après avoir dit ça.

De surprise, Hannah en aurait lâché son téléphone. Comment le père d'Alicia avait-il pu oser se montrer aussi cruel ? Son propre père n'avait peut-être pas été un modèle de douceur et de tendresse mais il aimait ses enfants, tous sans distinction. La jeune femme leva les yeux au ciel, exaspérée. « Tu ne l'as quand même pas cru ? demanda-t-elle, inquiète. Parce que sérieux.. ça craint quoi» Elle se laissa tomber en arrière, contre le dossier du sofa sur lequel elle avait trouvé refuge quelques minutes plus tôt et, d'une main lourde, referma son laptop. Un soupir lui échappa, malgré elle. « Sincèrement, Ali', tu ne dois pas faire attention à ce qu'il t'a dit, reprit-elle, je sais que c'est ton père mais pour sortir une connerie aussi montrueusement grande, il doit pas en avoir beaucoup dans le crâne » Très franchement, ce genre d'attitudes la mettait hors d'elle. Hannah ne comprenait pas comment des parents, que ce soit un père ou une mère, pouvait se comporter de la sorte. C'était.. c'était inouï.

Alicia entendit qu'Hannah restait silencieuse, comme si elle était choquée. Elle se demandait pourquoi, mais elle continuait de renifler et de poser le téléphone pour se moucher. Dès qu'elle entendait Hannah parler, elle reprenait le téléphone. « Mais non Hannah.. C'est pas ça. » Non, elle ne le croyait pas. Mais étant une fille assez fragile, ces mots-là l'avaient.. En quelques sorte, choquées. Étant jeune, son père l'aimait plus que tout. Dès qu'il apprit que sa fille était lesbienne, il se détachait plus d'elle, même si il ne disait rien. Alicia venait juste de comprendre que c'était ça le problème. « Je sais.. Mais comprend qu'entendre ces mots-là de ton propre père, ça fait vraiment mal. Pourtant je comprends pas pourquoi il m'a dit ça. Quand j'étais jeune, il m'aimait plus que tout. Il a tout fait pour que je sois la petite fille la plus heureuse du monde, quitte à trop me gâter. » répondit-elle, avant de soupirer. Elle ne comprenait pas l'attitude de son père. Même énervé, il n'avait aucune raison de lui parler de la sorte.

Hannah débarrassa ses genoux de son laptop, qu'elle déposa à côté d'elle, sur le sofa, et croisa les jambes pour se mettre en tailleur. Elle inspira profondément, cherchant à garder son calme. Ce que ce genre d'attitudes pouvait lui taper sur le système ! « Écoute, honey, je sais que ça fait mal et.. c'est normal, fit-elle avec une seconde de réflexion, c'est ton père et il a merdé là. Fais pas attention » Plus facile à dire qu'à faire. Certes. Mais elle n'avait pas fini. « Tu sais ce que tu vaux, tu as des gens qui t'aiment pour ce que tu es. Il n'y a aucun problème avec toi. Il a merdé, c'est tout. Il s'en rendra compte bien assez tôt. Je suis certaine qu'il t'aime. C'est ton père après tout, hein. C'est juste qu'il doit être un peu à côté de ses pompes en c'moment » Elle avait dit ça d'un ton vaguement moqueur, enjoué, stupide tentative pour détendre l'atmosphère.

Alicia continuait de taper d'une main sur son ordinateur, en tenant avec son autre main, le téléphone. Elle écoutait ce que disait Hannah. Elle était touchée qu'Hannah lui téléphone et lui conseille de ne pas y prêter attention. « Ouais, je vais essayer.. » poursuivit-elle, après avoir soupirer. « Vraiment merdé alors.. » Elle se leva pour aller chercher à grignoter dans la cuisine, et elle se rassit sur son canapé, en ayant pas lâché son téléphone une seule fois. « Je sais, et heureusement que vous êtes là. J'espère bien, mais il se fera pas pardonner comme ça. Il a franchement de la chance que je n'ai pas envie de me fâcher avec des membres de ma famille, sinon il n'y aurait plus aucune chance pour qu'on se reparle un jour. Bon aller.. J'arrête. Sinon toi ça va ? » Oui, elle pensait quand même aux autres.

La jeune femme esquissa un sourire, heureuse que son amie ne se laisse pas abattre. Les parents n'étaient pas toujours très malin. Dieu merci, elle n'avait jamais eu beaucoup de problèmes avec les siens. Du moins, elle en était sortie. « Ne reste pas non plus fixée là-dessus, hein, reprit-elle, il reste ton papa » En toute honnêteté, elle ne parvenait pas à voir sa propre existence sans ses parents. Certes, elle avait vingt-six ans, elle était adulte — ou en tout cas, elle s'employait à l'être — mais ça lui faisait toujours un bien fou de redevenir, pour un temps, la petite fille qu'elle était autrefois. Hannah ne parvenait pas à rester très longtemps fâchée avec sa mère ou son père, même si ils avaient régulièrement des désaccords quant à sa carrière, à l'image qu'elle donnait ou à son comportement. L'amour liant deux êtres de la même chair, du même sang était trop beau, trop important pour être brisé, même pour de sérieuses raisons. « Laisse passer du temps, ça ira mieux.. il finira par se rendre compte de sa bourde, conclut-elle avant de poursuivre, répondant à la question de la blondinette, et je.. » Elle se tut brusquement, ignorant, en définitive, ce qu'elle allait dire. Allait-elle bien ? Physiquement, ce n'était pas franchement le nirvana. Elle traînait cette saleté de crève depuis plusieurs jours déjà. Moralement, elle s'employait à ne pas penser. Travailler, bosser, se donner à fond pour ce qu'elle savait faire de mieux : chanter ; c'était ça, la solution. Et surtout, ne pas en parler. « Ça va, ça va super même, lança-t-elle, très — trop ? — enjouée. C'est un peu la course là, on retrouve nos marques avec Léo.. ça fait du bien » Ça, au moins, ce n'était pas un mensonge.