Elle s’appelait Angélique, mais tout le monde l’appelait Ange. Elle avait un visage rieur et un physique susceptible d’attirer aussi bien les regards masculins que féminins ; les uns pour fantasmer, les autres pour jalouser. Elle avait toujours de la compassion pour son prochain, et ne s’apitoyait jamais sur son sort. Oui, Ange était une femme remarquable, à un détail près : sa naïveté n’avait pas d’égal. Voulant croire qu’il y avait du bon en chacun, elle oubliait qu’elle vivait dans un monde fait d’histoires plus horribles les unes que les autres. Elle s’appelait Angélique, mais tout le monde l’appelait Ange…

Ange, c’était ma mère. Peu après ses 17 ans, un mec cool et mignon s’est mis à la fréquenter, Luke qu’il se faisait appeler. Il s’prenait pour un jedi ou quoi ?! En tout cas, il sauverait pas notre monde, y avait rien de plus certain. Comment pouvais-je en être aussi sûr ? C’est simple, je suis son fils, et je crois pas avoir jamais vu son visage de dégonflé. Ouais, un trouillard, voilà ce qu’il était. Parce que mettre ma mère enceinte, ça, c’était facile. Mais j’crois qu’il avait oublié qu’après, fallait assumer. Du coup, il a pris la poudre d’escampette, dès qu’il a su. Pas besoin de vous faire un tableau, vous aurez compris qu’ à 17 ans, ma mère avait déjà foiré l’essentiel de sa vie.
11 Février 1990, j’étais né. J’ai pas tout de suite compris que, dans ma famille, y avait comme un léger problème : manquait un père pour soutenir Maman.

C’est à l’âge de cinq ans, je crois, que j’ai capté que Maman était pas heureuse. Je l’aimais vraiment beaucoup, et ça m’faisait toujours un pincement au cœur de l’entendre pleurer, quelque fois le soir, lorsque j’étais censé dormir. Et puis, comme ça me faisait mal pour elle, parce que ma Maman elle est toute gentille, j’ai décidé de faire pleins d’efforts pour devenir le meilleur des p’tits garçons. Sauf que j’avais beau faire, à l’école, j’comprenais pas ; j’comprenais jamais rien d’ailleurs. En plus, les autres, ils me traitaient toujours de bâtard, ce qui n’arrangeait en rien les choses… J’ai vite commencé à être violent ; je m’jetais sur tous ceux qui osaient s’en prendre à ma maman et moi. Je m’en voulais, parce que ça faisait qu’aggraver sa tristesse. J’étais un bon à rien.

Les années passèrent, et malgré mon agressivité (un peu mieux contrôlée, j’dois dire), j’étais quelqu’un de sympa, j’attirais les filles, mais j’étais facilement influençable. Eh oui, les chiens ne font pas des chats. Je fréquentais les gens branchés et populaires, et tout le monde sait que derrière leur sourire parfait se cachent toujours des magouilles, j’m’en suis vite rendu compte. Y a un type qui s’appelait Franck, il m’a promis qu’en vendant des sachets comme celui qu’il avait dans la main, j’me ferais un max de thunes. J’étais pas dupe, j’savais bien que c’était de la drogue- maman m’avait expliqué. Mais au vu de notre situation financière, à maman et moi, j’ai accepté, sans remords. Tout était bon pour rendre le sourire à ma mère. Plus je vendais de l’herbe, plus j’y prenais goût, et plus j’avais les poches pleines de blé. J’travaillais pour Franck ; il me disait qui, quand, où, et en quelles quantités, et j’enfourchais direct mon vélo pour effectuer ma livraison. J’vous assure que j’en ai fait des cavales, ah, et des courses poursuite aussi. Mais un groupe de flics bidoches à pied, ça risque pas de choper un gars en vélo comme moi, et qui plus est connaît Paris comme sa poche. Je me rappelle l’adrénaline montante, la chair de poule, mon cœur prêt à exploser. Même qu’une fois, avec un pote qui était dans la combine, on avait décidé d’y aller à pied, pour profiter du beau temps qu’on disait. Sauf que l’soleil, j’en ai pas vraiment profité.

Lorsqu’on a croisé la patrouille, elle nous a directement interpellés. J’ai jeté un coup d’œil interrogateur à mon coéquipier, parce que les poulets, ils interpellent jamais personne sans raison valable. Ce con là, il avait oublié de me dire qu’il était déjà répertorié dans les fichiers de la police. Zut. Alors, j’ai couru, comme jamais encore auparavant. J’avais l’impression de ne pas avancer, alors que mettais toute mon énergie à courir, et la peur me tordait le ventre de douleur. Mais, apparemment, cela suffit pour distancer les tuniques bleues. De retour chez moi, je tremblais comme une feuille, et j’ai longtemps hésité à tout plaquer. Mais j’ai pas pu, j’étais trop faible pour dire non à tout ça, abandonner l’argent qui allait avec. Et je n’avais aucune raison d’arrêter pour le moment. Ok, j’avais failli finir au poste, mais ce failli là fait toute la différence…

Ce n’est que quelques semaines plus tard que tout bascula. C’était une fille danseuse qui m’avait commandé de quoi triper pendant un bon mois. J’me souviens avoir pensé que c’était étrange, parce que c’était pas un milieu propice aux junkies. Mais bon, le client est roi, et c’est certainement pas moi qui allait la juger. Quand je suis arrivé là-bas, au studio de danse (j’sais pas trop comment on appelle ça), mon regard, c’est pas sur ma cliente qu’il s’est focalisé, non. Y avait une nana, elle dansait comme une princesse, avec ses beaux cheveux virevoltants autour d’elle. J’étais obnubilé par son corps en mouvement, au point d’en oublier pourquoi j’étais venu. Je saurais probablement jamais pourquoi je l’ai abordée ensuite, mais il est certain que je ne le regrette pas. Elle s’appelait Emma, et elle était drôlement mignonne. Je lui laissais la carte du restaurant chinois pour lequel je travaillais (oui, j’habitais le XIIIème, et j’étais livreur de plats asiatiques), au lieu de mon portable. Débile, mais du Gaethan tout craché…

Mais Emma m’a rappelé, ou plutôt, à commandé chinois pour me revoir. Et, aujourd’hui, j’ai enfin une raison d’arrêter mes bêtises.