Quand j'avais deux ans... M'en souviens-je ? Pas vraiment. Et pourtant, je suis fière de mes origines. Je suis née en Russie. Où exactement ? Encore un mystère. Il est clair que cela est anormal, mais j'ai toujours été intriguée par les mystères, depuis toute petite, sans doute puisque le passé de mes parents m'ait resté longtemps inconnu, et que des parts d'ombres persistent encore et toujours. Je sais simplement que ma mère, d'origine russe, avait rencontré mon père là-bas, que ma tendre mère a accouché et que deux ans plus tard, ils ont déménagé pour la France. C'est ici que mon père est née et a vécu. Je ne sais toujours pas pourquoi ils sont revenus là où monsieur D'Alauzier a passé son enfance, mais je sais qu'il a fait ses études en Russie parce qu'il était amoureux de cette étrange langue. Simplement, il semblait savoir qu'il retournerait en France puisque mon prénom l'est. Une question de logique qui ne m'échappe pas, mais qui ne m'aide toujours pas à comprendre. La couleur sur les mots de cet alphabet russe donnait des frissons à mon père, car en effet, il était l'une des rares personnes à être atteinte de synesthésie, la bimodale qui mélange donc deux sens. Il arrivait à sentir quelque chose rien qu'en lisant, comme un touché. Aucune couleur, juste des sensations. Mais c'était déjà cela. Et rien que pour ce don, je l'ai longuement jalousé, dans un secret mûrement étudié, et discret. Ma mère, Alena Sedwick, était de toute beauté, et aussi loin que peuvent remonter mes souvenirs, on me répétait que nous nous ressemblions et que j'allais avoir sa vie. Du moins, son succès.

Quand j'avais aux alentours de six ans, je commençais à prendre mes responsabilités. Cela est certes prématuré, mais déjà, je voulais aller à l'école seule. Rencontrer les gens par moi-même était un challenge. Certains ne me croiront pas, mais c'est ce que mes parents m'ont rapportés. J'étais, en somme, un sacré numéro, une véritable tête de mule impulsive et tristement hyperactive. En moi scintillait ce besoin de bouger, il m'était impossible de tenir en place. Avec le temps, et grâce à l'éducation de monsieur et madame, j'appris finalement à me calmer. Mais mon impulsivité persévérait encore, et persévère toujours. Rapidement, ma mère me contamina son amour pour la musique, notamment le piano. Après plusieurs mois, je commençais à être digne d'être écoutée, et toujours sous la tutelle de ma mère, je fis d'énormes progrès, la rendant plus fière à chaque nouvelle écoute. Dès lors, je fus passionnée par cet univers, mais jamais je ne me sentis complètement à l'aise, sachant pertinemment que cela ne me convenait pas assez. Il me fallait diriger. Quant à mon père, il m'indiqua le chemin à suivre, du moins, il me proposa. Et un nouvel amour naquit, celui du théâtre et du cinéma. En effet, Timothée D'Alauzier était scénariste, et écrivait seulement des pièces de théâtre. Après m'avoir plusieurs fois emmené à des représentations, mais surtout à des répétitions, je mis le doigt sur le milieu dans lequel je voulais vivre.

C'est sans doute quand j'eus douze ans que j'eus ma première expérience amoureuse. Ou plutôt désastre. Un baiser échangé, mais je refusai toute autre forme de prolongation. Farouche la blonde, non ? Malheureusement pour ce beau "gosse", il était hors de question que je me laisse aller à l'amour. Celui de mes parents me suffisaient, et bien que cet autre forme d'affection plait à tous, même aux menteurs qui prétendront le contraire, je n'étais pas plus intéressée. De même, j'espérais vivre l'amour une fois que je serai en âge de comprendre réellement de quoi il retournait. J'étais sans doute timide dans ce domaine, mais il était clair que c'était le seul. Durant toute ma scolarité, je n'ai pas souvenirs d'une fois où je n'ai pas sortie un sarcasme minimum par jour. Il fallait dire que je m'ennuyais à mourir, ne me sentant pas à ma place. Mais prétendant que tout allait bien, j'attendais finalement que les heures passent tout en faisant ce que l'on me demandait, ou plutôt ce qu'il fallait que je fasse. J'étais peut-être rebelle et grande bouche, mais je n'étais pas vraiment insolente, et encore moins fainéante. Au final, j'aimais travailler car j'avais cette impression d'être investie de responsabilités. C'était un grand plaisir pour moi que de devoir faire quelque chose, mais j'attendais d'inverser les rôles. Dominer a toujours été plus fort que moi. Il m'arrive de l'ouvrir mais je reste plutôt discrète quand on ne vient pas me chercher, ou quand on ne me pose aucune question sur autrui. J'appris à me protéger, grâce à ma mère, et à ne rien dire sur moi de compromettant. Mes vrais amis, je ne peux les citer car j'ai toujours été avec des personnes que j'appréciais mais sans jamais me sentir proche comme certaines filles l'étaient.

C'est au lycée que mon égo a pris un coup, mais dans le bon sens du terme. Il a décollé comme une fusée. J'avais changé de style, préférant mettre en valeur mon corps que mon esprit, que je réservais aux moments appropriés. La popularité me rattrapa, et je devins, malgré moi, une de celles avec qui on veut sortir, et pire encore, une de celle qui renvoie les hommes dans leur niches trop souvent. Il était évident qu'avec mon caractère, et mon désir de diriger que cette hausse d'estime que les autres avaient à mon égard n'allait rien arranger. Sans prendre la grosse tête, j'essayais de tracer ma route. Comme toujours, je ne disais pas grande chose sur moi, le stricte nécessaire. On dit que l'on est influencé par le milieu dans lequel on vit, dans lequel on est éduqué et c'est vrai. Depuis gosse, mes parents se sont tus concernant un grand nombre de chose. Je ne connais d'ailleurs aucun enfant qui n'a aucune connaissance de la famille de ses parents. Tel était mon cas, je ne savais pas vraiment qui étaient les parents de mes propres parents, et s'ils avaient d'autres enfants. Ils ne voulaient pas me le dire, et je n'ais jamais su pourquoi. Au fur et à mesure donc, j'entretenais ce mystère que les lycéens, mes camarades, essayaient de dissiper tant bien que mal. Mais je restais muette, à l'image de mes parents. Je me doutais qu'ils étaient responsables de ce bloquage, mais cette forme de protection n'était pas vaine, et ils m'avaient tant apportés que je ne pouvais leur en vouloir. Du moins à ce moment-là.

Dès que j'eus mes vingt-un ans, j'avais passé la majorité aux yeux de cette fichue loi. Grâce à mon père, j'avais entrepris de faire des études pour être metteuse en scène, et je me débrouillais plutôt bien dans mon école privé. Mes parents avaient de la ressource, des richesses, et ils m'en laissèrent. Je reçus une belle somme avant de découvrir que c'était leur cadeau d'adieu. Plus aucune nouvelle, ni même une carte, un message sur le portable, rien. Ils m'ont comme oublié, mais surtout, ils m'ont abandonné. L'ais-je dit ? Pas vraiment. Me suis-je renfermée ? Quelque peu. C'est à ce moment que je pris conscience qu'il ne fallait pas que je reste seule, car c'était sans doute la raison pour laquelle mes parents ne voyaient personne, à part les professionnels avec qui ils travaillaient. Ils étaient deux solitaires, qui avaient élever un enfant avant de le laisser vivre par ses propres moyens une fois l'âge requis pour se débrouiller seul atteint. Et donc, à mon école, je me fis quelques amis, mais jamais je ne divulguais grand chose. Les hommes, quant à eux, étaient d'autant plus excité par ce mystère que je représentais. J'étais devenue encore plus énigmatique que mes parents. Et après deux ans, me voici professeur de mise en scène à l'école privée où j'étudiais jadis, et metteuse en scène sur plusieurs projets. Certes, j'étais bien jeune pour me lancer, mais je savais ce que je valais. Je me sens également mieux, sereine en apparence, mais méfiante et surtout fidèle à moi-même. Je sus progressivement ce que me cachaient mes parents, mais je ne sais pas encore tout. C'est comme un film policier dont je suis la malheureuse protagoniste. Peut-être devrais-je demander de l'aide ? La version officielle que j'ai donné est que j'ai décidé de rester ici tandis que mes parents sont retournés en Russie. Que j'avais besoin d'indépendance. Il était clair que je l'aurai demandé, mais il n'était pas encore temps pour moi. Je voulais tout savoir d'eux, comme un enfant normalement constitué. Qu'est-ce qui clochait ?

Personne ne sait. Presque tout le monde s'intéresse à moi, dans mon entourage, mais personne ne sait la vérité, ni même ce qui ce cache derrière le cercueil dans lequel mon âme est plongé, tandis qu'ils frottent le couvercle de leur ongle en priant pour qu'un jour celui-ci cède enfin, et s'ouvre. Il me faudra être prête pour cela. Peut-être pour l'amitié véritable, ou même l'amour ? J'en ai bien peur, mais quoiqu'il advienne, je sais que je suis prête. Quant à mon caractère, toujours le même. Je me sens belle et séduisante, et j'ai véritablement confiance en moi. Bien que je porte peu attention aux critiques négatives, je sais prendre compte de celles qui en valent parfois la peine. J'intrigue toujours, et je sais que j'en joue. Je suis maligne, sarcastique et j'ai toujours le mot pour gêner ou toucher là où ça fait mal mais sans blesser ou humilier. On pourrait presque me qualifier de personnage de série prédéfini mais comme tout personnage s'appuie sur une réalité, cela semble logique. Même si j'ai l'air de m'en sortir, et de toujours avoir la solution à tout, ou encore de pouvoir gérer n'importe quelle situation, nous avons tous que derrière un rocque, ou un coeur de pierre ou presque se cache une âme de bonté. Car effectivement, je peux être aimante, mais l'attachement est dur. Il est clair que je me cherche encore, ou plutôt que j'hésite concrètement à continuer cette façade qui bien que naturelle m'empêche d'être heureuse.