Je suis assise là, devant mon ordinateur hors de prix, la page de traitement ouverte et toujours vierge. Le curseur ne cesse de clignoter et j'observe ce maudit trait qui me nargue. Ce soir, j'ai pas l'inspiration. Et je n'aime pas ça car les soirs où je n'ai pas d'inspiration, ma solitude me pousse à penser.
Penser, c'est souffrir.
Mon appart est aussi vide que ma vie. Pas d'amis proches, pas d'attaches. J'ai ce sentiment de pouvoir sur ma propre douleur. J'ai 26 ans et je n'ai rien. Simplement mon boulot qui, heureusement pour moi, paye très bien. Je peux détruire ou lancer une carrière en une centaine de mots. J'en ai brisé des rêves hollywoodiens remplis de strass, de paillettes – de champagne et de cul. Mais c'est mon job et je n'ai aucun remords de ce côté là. Après tout, ce n'est pas comme si je faisais partie de ces personnes que l'on peut torturer par les sentiments.
Les sentiments tuent.

Avant d'être aussi froide – personnellement je ne me caractérise pas de la sorte – j'ai été une « vraie » fille. Une « vraie » adolescente. Une « vraie » femme, bourrée de sentiments. Et ça m'a tué.

Chapitre I. Quand le bonheur m'a fuit....

Je suis née en Allemagne, mais j'ai vécue une grande partie de mon début de vie à Londres. Issue d'une famille aisée, mon enfance se passa plutôt bien. Mes parents n'étaient pas forcément toujours présents pour moi, mais mon frère avait pris leur place. Mon grand frère est tout pour moi : Mon père, mon meilleur ami, mon double. Il est le seul à me connaître parfaitement, à comprendre les rouages forts compliqués de mon cerveau et de mon cœur. Lui et moi ne causions pas d'inquiétudes à nos parents : nous étions assez parfaits pour leur cacher nos défauts. C'est alors qu'on a rapidement compris que cette façade immaculée de notre personnalité allait nous ouvrir bien des portes. Élèves brillants, nous avions tout pour nous. Nous ne nous préoccupions de pas grand monde, même si nous étions grandement entourés. Mais nous n'étions pas dupes : nous savions déjà que l'argent nous offrirait beaucoup de choses. Notre vie se passa bien, avec ses haut et ses bas. Mais vint le jour où nous notre château de cartes à l'apparence si solide s'effondra sous le premier coup de vent qui eut la force d'un véritable ouragan.

Je me rappellerais toute ma vie de ce jour. Nous étions tous à table – chose qui n'arrivait qu'une fois par ans, c'est-à-dire à Noël. Or ce jour là, c'était pas Noël. L'ambiance était pesante à table, un silence de mort régnait tout le repas. J'échangeais quelques regards inquiets à mon frère, comme si nous sentions déjà la chose arriver. C'est durant le dessert – un tiramisu très précisément – que nos parents annoncèrent leur divorce. Il est vrai que dit comme ça n'est absolument pas choquant, surtout dans notre société actuelle où le divorce est devenue une triste banalité, mais il eut autre chose. Une chose qui montra que la vie de mon frère et moi n'était qu'une vaste mascarade. Pour faire simple, mon père a épousé ma mère pour son argent, ma mère a accepté car elle était réellement amoureuse de lui. Les années se sont écoulées et mon père n'est jamais tombé amoureux de ma mère, et c'est d'ailleurs pour cette même raison qu'il n'a pas hésité à fonder une autre famille.
Mon frère et moi avions 14 ans, et même si on s'était rendu compte de ce théâtre amoureux bien avant cette annonce, on a quand même été très dévasté.

Depuis ce jour là, nous n'avons jamais revus notre père.

Chapitre II. Epic Fail

Ma mère a sombré dans une dépression silencieuse, pleine de douleur et on ne pouvait rien faire pour elle. Elle nous avait donné la vie mais refusait à présent de nous regarder dans les yeux à cause de nos ressemblances avec notre père. Elle s'est rapidement débarrassée de nous.

« 18 printemps et adieu les enfants : ne revenez plus jamais. »

Elle n'a bien évidemment jamais dit ça, mais mon frère et moi l'avions vécue de la sorte. Nous nous retrouvâmes livrés à nous même – mais le compte en banque gavé, heureusement. Mon frère et moi étions à présent diplômés – lui en médecine, moi en littérature. Nous fuîmes cette Angleterre douloureuse pour nous retrouver dans cette ville que nous avions tant fantasmé : Paris. Je me retrouvai à Paris-Sorbonne (Paris IV), en musicologie. Major de promo les trois années de ma Licence, je poursuivis mes études jusqu'au Master. Pendant ce temps, je continuais à pratiquer cet instrument pour lequel mon cœur ne cessait de battre : le piano. Ma soif de musique devenant de plus en plus grandissante, je décidai de m'attaquer à différents instrument : la guitare, la batterie et le violon. Le Master ressemblant à une croisière platonique sur un lac, je me permis d'enchainer des petits boulots, ci et là, pour commencer doucement à me détacher de ce lien maternel qui n'était à présent que des virements bancaires. Une fois le diplôme en poche, je me retrouvai sans rien.

« Melrose, ne t'en fais pas, ça va le faire »

Chapitre III. Madame la Frigide des Sentiments

Les hommes... Je suis certaine qu'ils ont été éradiqués de notre planète. Attention, quand je parle d'hommes, je parle de ceux d'antan : les gentlemen par excellence. Vous savez, ces hommes qui vous mettent à l'aise, qui vous font croire qu'il n'y a que vous – et leur mère – dans leur vie.
Mais la réalité est moins rose bonbon ; les hommes d'aujourd'hui ne sont que des bêtes guidés par leur instinct – lire : guider par leur dessous de ceinture (pour être polie).

J'ai enchainé les relations foireuses, pensant à chaque fois que c'était le bon. Et à chaque fois, je me prenais une belle claque dans la gueule. Bon, il y avait bien eu cette romance de quelques moi - agréable, rassurante, parfaite. Mais je découvris au bout de huit mois d'amour que cet homme était marié avec trois enfants. Cette rupture me dégouta de l'amour, des sentiments. Cet homme que j'avais quitté, détenait une partie de moi que je ne pourrais plus jamais récupérer. Je me jurai alors de ne plus jamais laisser quiconque entrer dans mon cœur (ceci sera l'unique passage niais de mon récit).
C'est à partir de cet instant précis que ma vie amoureuse ressembla au désert de Gobi.

« Je renonce au bonheur »

Mais pas au plaisir. J'aime le jeu de séduction qui me fait sentir remarquable aux yeux de quelqu'un le temps d'une soirée. J'aime sentir un corps viril collé au mien, me laissant toute frissonnante. Vous savez pourquoi ? Parce que c'est bien le seul moment où mon cerveau s'éteint, et où la douleur de la solitude disparaît. Mon corps prend les commandes et ça me soulage de ce mal être constamment présent en moi.
D'ailleurs, afin de me protéger des autres - je n'aime pas les gens - je mis en place un pseudo personnage : la limite de l'indigestion. Je refuse de me lier avec qui que ce soit, je refuse d'être agréable pour être sure de ne pas me lier avec qui que ce soit. Je préfère me cacher derrière un mur de plexiglas ultra blindé et observer la personne en train d'essayer (en vain la plupart du temps) de faire péter les différentes couches du mur. En général, la personne arrête très rapidement, préférant associer à mon nom l'image de la Frigide des Sentiments.

« Les mots : ma thérapie des maux. »

Mes sentiments, je préfère les coucher sur le papier et leur faire leur fête en musique. J'adoptai cette sorte de défouloir lorsque j'étais au plus mal et que personne ne pouvait grand chose pour moi. Écrire me permit en quelque sorte de me libérer. Et elle me libère encore aujourd'hui. Même si je ne suis pas forcément la personne que j'aimerais être – soit une « vraie » femme, souriante et entourée de personnes aimantes – transformer ma douleur en mots m'a permis de rebondir, de reprendre le cours de la vie, d'essayer de m'accrocher à cette terre qui ne cessera jamais de tourner, avec ou sans moi.

Et maintenant...

Je suis toujours une blogueuse musicale reconnue (oui, ce genre de détails ne changent pas en quelques minutes). Ma vie est d'une monotonie dégueulasse : j'erre dans la ville une partie de la journée pour acheter les derniers disques sortis (oui, je ne les achète pas tous le lundi pour me garder du boulot pour toute la semaine), pour faire mes courses, pour faire du shopping. Puis le soir, je me fais toujours un concert, pas forcément au même endroit d'un soir à l'autre. Des fois je préfère les petites salles intimistes, puis d'autres fois, j'aime me faire les méga concerts top commerciaux. Après ça, je retrouve mon appartement vide et j'écris un billet doux sur le concert de la soirée. Il est très rare que je rédige un billet dur avec une prestation live – il faut vraiment que le concert ça archi merdique...En général, il y a cette alchimie entre les artistes sur scène et le public (qui n'est pas forcément le leur). Au bout de quelques chansons, tout le monde saute au son des basses jusqu'à épuisement, ou bien la foule est obnubilée les paroles. Tout dépend de la personne sur scène. En tout cas, il se passe très souvent ce phénomène : la création d'une communauté éphémère. Mais une fois les lumières éteintes, tout le monde se reconnecte au monde. La foule se disperse et la salle se vide. J'ai toujours envié tout ça. Je voudrais moi aussi monter sur scène et créer ma propre communauté éphémères le temps de quelques chansons. Seulement jamais je n'aurais cet orgueil qui me poussera à me présenter dans des maisons de disques avec mes compositions, les suppliant presque de me produire. Alors pour le moment, j'écris et je joues de la musique pour mon seul plaisir.

Ma famille se limite toujours à mon frère, avec qui je n'entretiens plus vraiment la relation quasi fusionnelle d'avant. Mais il est toujours présent dans ma vie, du moins il essaie de l'être. Je ne lui en veux pas de prendre ses distances avec moi. Il a une vie, il a une copine qu'il songe à épouser. Je n'ai plus vraiment de place dans sa vie... même s'il est lui aussi sur Paris.

Alors voilà, je suis Mellisa Rose Prescott, – mais par pitié, appelez-moi Melrose – j'ai 26 ans et ma vie se résume à mon moi.