On était comme les deux doigts de la main toi et moi, on était la famille de l’autre parce que nos parents nous avaient abandonnés. On a grandi ensemble, éduqués par les nurses que nous avons aimées comme des mères. On parlait de tout, on se disait tout. On n’avait pas de secret l’un pour l’autre – je n’ai même pas pu te cacher mon penchant pour les hommes, tu m’as avoué aimer les femmes. Tu étais la forteresse dans laquelle je courrais me réfugier chaque fois que mon monde tanguait ; j’étais les bras t’entourant quand tu te sentais faible et démunie. J’étais plus proche de toi que de n’importe qui. Tu étais cette sœur que mes parents ne m’avaient jamais donnée. Et ces deux années d’écart n’existaient plus lorsqu’on se retrouvait tous les deux pour faire les quatre cents coups. Un jour, on a même rendu fous les chefs à force de courir partout dans les cuisines du manoir, tu te souviens ? Je ne compte plus le nombre de fois où on a dormi ensemble, où on s’éclipsait pour venir se cacher dans la chambre de l’autre. Et le lendemain, les majordomes nous retrouvaient endormis par terre, dans les bras l’un de l’autre.
« Toi et moi, c’est pour la vie, hein ? » avais-tu soufflé une nuit et je t’avais promis que rien ne nous séparerait. Jamais. Nous avions dix ans et la vie devant nous.

Nous n’avons jamais aimé la vie que nous imposaient nos parents ; nous sommes nés dans les mauvaises familles. Nous n’avions pas besoin de tout cet argent, de ces immenses maisons ; nous avions besoin d’amour et de tendresse. De chaleur humaine. C’est sûrement parce qu’on vivait la même chose tous les deux que nous étions si proches. Nous voulions, désirions la même chose. Et, les années passant, ce sentiment de dépendance s’incrusta en moi, dans ma peau. J’avais besoin de toi, tu avais besoin de moi ; c’était comme ça. Il arrivait même parfois qu’on nous prenne pour des frères et sœurs – et c’était peut-être ce que nous étions au fond. Parce que nous n’avions pas eu la chance d’en avoir alors nous avions créé notre propre famille rien qu’à nous. Mais le jour où j’ai fui mon pays natal, j’ai eu l’impression de laisser une part de moi là-bas. Ça m’a fait mal de te quitter ce jour-là, tu sais ? J’ai senti la culpabilité me ronger de l’intérieur pourtant je devais le faire parce que je n’avais plus ma place parmi eux. J’ai voulu frapper à ta porte, je n’en ai jamais eu le courage. Je t’aurais bien emmenée avec moi mais je crois que je ne voulais pas te faire ressentir cette impression d’être arraché de force à ses racines. Parce que c’était douloureux. J’aurais tellement voulu que tu m’accompagnes, mais il existe ces moments dans une vie où on ne peut pas faire ce que l’on veut.
J’ai beaucoup pensé à toi une fois en France. Tellement que ça faisait un mal de chien, tellement que ça me bouffait. Alors je me suis forcé à ne plus me demander ce que tu devenais, si tu allais bien, si tu pensais à moi. Si tu ne m’oubliais pas. Si tu me pardonnerais un jour ma fuite même si je ne revenais jamais vers toi, en Angleterre.

Mais je ne dois plus penser à ça, parce que j’ai laissé Noah à la frontière française. Je suis Aaron désormais, et Aaron n’a plus de famille depuis ce tragique accident dont lui seule st sorti vivant.

Vous êtes sûrement les deux seules femmes que je n’aurai jamais aimées dans ma vie. Ma cousine ; ma femme de cœur. La blonde contre la brune ; les liens du sang contre les liens du cœur. Dans une vie parfaite, vous vous seriez entendues comme deux sœurs et on aurait fait les quatre cents coups ensemble, comme des gosses. Dans une vie parfaite, il n’y aurait eu ni jalousie, ni haine, ni rancœur entre vous, les deux femmes de ma vie. Seulement voilà, ma vie n’a jamais rien eu de parfait et Mely, toi, tu prends ombrage du retour de ma cousine. Tu as peur que je te délaisse, que je préfère Lully à toi. Que je l’aime plus que toi parce qu’on ne peut rien contre les liens du sang. Pourtant tu ne devrais pas. Je vous aime toutes les deux et il y a assez de place pour vous dans ma vie. Mais toi, Mely, tu n’y crois pas. Tu t’éloignes pendant que Lully, elle, te jalouse en secret, t’envie. Te désire aussi. Bizarrement, il y a comme une tension sexuelle qui naît entre vous peu à peu. La haine est le ressentiment se transforment en une boule de métal en fusion dans le creux de vos estomacs. C’est étrange, cette sensation. Elle est effrayante pour vous deux parce que vous n’êtes pas censées désirer, avoir envie de la personne que vous détestez. Ou peut-être que si finalement – la haine et l’amour sont parfois si proches l’un de l’autre qu’il est difficile de distinguer la frontière entre les deux, n’est-ce pas ?
Alors quand vous vous retrouverez toutes les deux dans le même lit, entièrement nues – sûrement après une soirée bien trop arrosée – la situation vous paraîtra encore plus étrange, déstabilisante. Parce que Mely est hétéro ; parce que Lully ne s’accepte pas encore entièrement. Parce que vous ne devriez pas vous être dans cette position compromettante. Mais vous allez vous empresser de tout oublier, n’est-ce pas ? Surtout toi Melrose. Peut-être pas toi, Lullaby parce que tu es de ce bord-là et qu’elle est le genre de femmes qui te plaît, avec qui tu aimes prendre du bon temps. Seulement comment t’entendre avec celle qui a pris ta place pendant toutes ces années ? Comment apprécier celle qui t’a volé ton cousin, celui avec qui tu partageais tout avant sa disparition ?

Je vous aime tellement toutes les deux. J’avais tellement peur de ne jamais revoir le seul membre de ma famille qui a toujours eu de l’importance pour moi. Mais je ne veux pas perdre ma Blonde parce qu’elle est mon piler, mon rempart. Et ça me fait mal que vous vous détestiez – vous pensiez que je ne l’avais pas remarqué, hein ? Je peux être à vous sans que l’une ou l’autre se sente délaissée. J’ai assez de place dans mon cœur pour une blonde et une brune. Parce que vous êtes les deux seules femmes de ma vie. Mely et Lully ; Lully et Mely.