● « Faut que tu te trouves un job. » Ma soeur avait toujours eu une fâcheuse tendance à rentrer dans mon appart' comme on rentrerait dans un moulin. « Je bosse déjà. » « Gratter des cordes dans tous les bars chelou de la ville, c'est pas un boulot ! » Je soupirais agacé, remettant ma clope dans mon bec. Nous avions déjà eu cette conversation des centaines de fois, mais en ce moment elle avait tendance à revenir bien trop souvent sur le tapis. « Hey ma bière ! » Cléa venait de piocher dans mes provisions du week-end avant de s'affaler sur mon canapé, ce que j'appréciais moyennement. « C'est pas toi qui l'a payé ! Les seuls trucs que t'achètes ce sont tes clopes et tes capotes. » Elle me tira la langue en allumant le poste de télévision, une vraie gamine, et une gamine que je ne supportais plus. Le pire dans tout ça, c'est qu'elle n'avait pas tort. Papa et Maman Marchal me versaient une pension alimentaire et me payaient entièrement mon loyer, à côté j'étais contraint de continuer mes études et d'essayer de trouver un boulot convenable, et pour eux, boulot convenable ne rimait pas avec gratter une corde et pousser la chansonnette. En plus de ça, Cléa avait pour ambition de continuer ses études de médecine en clinique privée, ou truc du genre, et le fait que j'arrête mes études pour bosser et, entre autre, devenir indépendant de tout argent paternel lui rendrait bien service. « Quand est-ce que tu te trouves une copine ? » Elle avait sorti ça d'une façon si naturelle que j'avais réussi à m'étouffer avec la fumer de ma clope. « C'est bon j'ai plus 16ans, je sais bien que tu te tapes tout ce qui bouge à partir du moment où tu peux prendre plaisir sans payer. » « Connaisseuse ? » Elle sourit sans me répondre. À vrai dire, je n'avais jamais pensé que ma petite soeur, la chieuse de service, pouvait avoir une vie sexuelle active. Complètement flippant ! Elle comprit mes pensées à la vue de ma grimace, soupirant d'un air désespéré. « Si tu veux que ta guitare te rapporte, va falloir te trouver un groupe mon vieux, t'y arriveras pas tout seul. » Et en plus, elle était sérieuse. Devrais-je lui dire que des potes ça se trouvent pas dans les petites annonces ? J'avais pour habitude de travailler en solo, bien qu'à la fac, j'avais déjà gratter quelques accords avec des mecs dont je n'ai pas retenu le nom. Mais jouer en groupe .. l'idée me paressait bizarre. « Je suis sûr que tu penses aussi que c'est une bonne idée. » Elle soupira en me tendant le cadavre de sa bouteille. « Il va falloir que tu l'oublies Yoann, tu te détruis pour rien là.. » J'aspirais une dernière latte avant de pointer la porte du doigt. « Dehors. »


● « Continues comme ça et je porte plainte pour violation de domicile. T'as pas le droit de te pointer chez moi à chaque fois que je rentre de cours. » « Faut que je te pose une question ! » « Cool ! La prochaine fois tu prendras le téléphone. » « On a parlé... du Sida en cours aujourd'hui et je .. » « Dehors Cléa. » Je fermais les yeux, pourquoi fallait-il toujours que quelqu'un remut le couteau dans la plaie ? Qu'est-ce que j'en ai à faire moi de ses cours, l'art grec est suffisamment ennuyant pour ne pas avoir en plus besoin de ses théorie sur des maladies venues d'ailleurs. « POURQUOI est-ce que tu évites constamment le sujet !? C'est bon ça fait un an là, remet toi ! C'est pas comme si vous étiez encore ensemble quand il est.. » « Ferme là ! » Je n'avais qu'une envie, qu'elle déguerpisse au plus vite, j'avais eu une journée déjà assez pourrit pour qu'elle n'ait pas en plus besoin de m'enfoncer un peu plus. Je ne sais pas vraiment si c'était dû au fait que mes yeux étaient devenus beaucoup trop humide, ou si elle avait simplement décidé d'être gentille pour une fois, mais ses bras qui m'enlacèrent me firent frissonner. « Hey .. » « C'était pas de ma faute .. » Elle soupira, visiblement, je l'empêchais de dire ce qu'elle avait vraiment à dire, tant mieux cela dit, plus elle la fermait sur ce sujet, mieux je me portais. Certes, la mort d'Alexis remontait à un an et notre rupture un peu plus, mais il m'était impossible de me dire que si je n'avais pas mis fin à notre relation, il serait encore en vie à l'heure qu'il est. « Il serait mort un jour où l'autre de toute façon.. » J'avais soupiré un je sais inaudible, un je sais qui faisait bien comprendre que la vie me dégoûtait plus que tout. Que ce soit à cause de ce qu'il est devenu comme ce que je suis devenu. « Dit moi que t'as fait le test Yoann. » Je lançais un regard noir en direction de ma soeur qui desserra immédiatement son emprise sur moi, essayant désespérément de rétorquer quelque chose. Alexis était atteint du Sida, mais ça je l'ai su qu'à sa mort et bien-sûr, il était techniquement impossible que je sois contaminé. J'ai été sa première fois, il ne m'avait jamais trompé, et je n'étais pas non plus responsable du fait qu'il est couché avec une personne différente chaque soir sans jamais se protéger. « Il est tombé malade après que l'on se soit séparé, pas avant. » « Et il s'est suicidé pourquoi à ton avis ? Parce qu'il t'aimait toujours et qu'il c'est rendu compte qu'il t'avait refilé sa connerie ! » Je passais une main sur le visage, me retenant difficilement de lui coller une baffe. « C'était pas un suicide. » « T'en connais beaucoup des gens qui se font percuter par des trains parce qu'ils ont vu un billet de 10 sur la voie ?! » Trop tard. Ma main venait de partir et je voyais le corps de ma soeur par terre, elle n'était pas choquée, elle avait plutôt l'habitude même, mais son regard me faisait bien comprendre qu'elle me pardonnerait pas cette fois-ci. « Fais ce foutu test ! »