« Mamaaaaaaaan ? Il est où papa ? » « Il est parti en voyage, mon chéri. » « Quand qu’il revient ? » Je ne sais pas, mon chéri… »

Tout le temps, tout sa vie, ça a été comme ça. Des questions, des questions plein la tête, et jamais de réponses. Les adultes ne savent rien de toute façon, c’est bien connu. Pourtant il en avait des interrogations, le petit Conan ! Le grand aussi d’ailleurs, ce qui agace prodigieusement son entourage. Il ne sait pas comment ça se fait d’ailleurs, il ne fait de mal à personne, si ? A croire que les gens n’aiment pas découvrir qu’en fait, ils ne savent rien. Alors que lui, à force de demander et de chercher, il finissait par connaître plein de choses.

Papa était parti quand il avait deux ans, et maman ne lui avait jamais expliqué pourquoi. Il voyait tous ses copains à l’école avoir un papa, une maman pour venir les chercher le soir, porter leurs cartables et les ramener à la maison pendant qu’ils racontaient leur palpitante journée d’école, alors que Conan attendait sa mère à l’étude jusque très tard, il faut dire aussi que maman travaillait, donc elle avait rarement le temps de venir le chercher en même temps que les autres… Pendant ce temps d’attente, il dessinait, ou faisait ses devoirs très vite, ou bien il ne faisait rien et rêvassait. Il passe toujours beaucoup de temps à rêvasser. C’est bizarre pour un adulte. Mais au fond, c’est toujours un enfant dans sa tête. Les gens ont du mal à comprendre ça, c’est dommage, du coup il est souvent un peu seul, mais il ne s’en plaint pas, au moins il peut faire ce qu’il veut quand il veut !

Papa Robert avait épousé Maman Miranda alors que celle-ci venait d’emménager en France, à Paris. Le couple était ensuite monté à Dunkerque, et c’est là qu’est né Conan. Dans le ch’Nord où il fait tout gris tout le temps, où l’eau est marron et même en été on doit porter des moufles. Le Nord de Dany Boon et les plages de Malo-breydunes comme dans la chanson que sa mère chantait tout le temps, ça faisait comment déjà ? Je chante un baiser / Je chante un baiser osé / Sur mes lèvres déposé, quelque chose dans le même genre, il lui arrive à lui-même de la chantonner encore de temps en temps. Miranda est anglaise, son nom de jeune fille c’est Beckett, comme l’auteur irlandais que Conan aimait bien. Elle a un accent quand elle parle français, et même quand elle parle anglais on devine qu’elle vient de Cambridge, elle parle cet anglais scolaire, distingué et élégant des universitaires. Conan, qui ne parle qu’anglais avec elle, a le même accent, même quand il parle français. Il n’a jamais été très à l’aise en français, bien qu’il soit né dans ce pays. D’ailleurs ça lui valait des moqueries à l’école, quand il ne trouvait pas ses mots en français ou qu’il les prononçait bizarrement. D’ailleurs il trouve ça étrange, maintenant on lui dit que son accent british est « trop sexy ». What the heck ?

Bref, papa est parti sans laisser d’adresse avant ces épisodes humiliants, et Conan n’a jamais connu son père. Lorsqu’il a eu treize ans, Miranda a décidé de retourner en Angleterre. Conan était ravi à l’idée d’aller à l’école en anglais, et a enfin eu une scolarité normale. Enfin presque. Même si parlait comme tous les autres, il était un peu bizarre. Gentil, mais à côté de la plaque quoi. Il l’est toujours, d’ailleurs. De treize à dix-huit ans, il a connu toutes les étapes de développement d’un enfant normal : première amoureuse, premier bisou sur la bouche, premier bisous avec la langue, première clope, première bière, premier joint, première fois… Mais rien ne l’a particulièrement marqué, bizarrement. Comme s’il glissait sur la vie, sans s’accrocher à quoi que ce soit. Tranquille, mais déconnecté de la réalité. Dans son monde, quoi.

« James… Where is mum ? » « She had an accident, Conan… Her heart stopped beating two hours ago. »

C’est comme ça qu’à seize ans, Conan s’est retrouvé chez son oncle James, parce que sa mère a été renversée par un chauffard sur la route. Plus d’papa, plus d’maman. Heureusement, oncle James est sympa et il s’est toujours bien entendu avec lui. Un peu comme son père de substitution quoi. N’empêche que suite à ce décès, Conan n’a plus parlé pendant un mois. Après ça a commencé à aller mieux, mais il a gardé l’habitude de se renfermer dans un mutisme complet si jamais il était contrarié, ou triste, ou que son attention était toute accaparée par un problème. Ne vous étonnez donc pas si, du jour au lendemain, il ne vous adresse plus la parole. Il n’adresse plus la parole à personne, pas même à son oncle. Personne. Ca peut durer dix minutes comme dix jours, on ne sait jamais avec lui.

Après l’obtention de l’équivalent de son bac en Angleterre, Conan décroche une place à l’excellente université écossaise de Saint Andrews –oui, celle où est allé Hugh Grant. Il a étudié la littérature anglaise, sa matière préférée, le truc qui l’intéresse le plus au monde. Il avale les bouquins par bibliothèques. C’est un bookophile, un vrai, un boulimique de lecture, sur tous les sujets, n’importe quoi, du roman à l’essai en passant par l’article de journal, et dans tous les domaines. Ainsi, il a une culture générale très impressionnante pour son âge, grâce à une excellente mémoire photographique. Il retient tout ce qu’il lit quasiment par cœur, en une seule fois. Il est très bon au théâtre, du coup. Mais il n’aime pas trop jouer la comédie, alors il renâcle quand ses profs lui demandent de jouer dans la pièce annuelle. Il est bizarre, décalé, n’a pas beaucoup d’amis. Pas mal de ses camarades l’appellent « the freak ». Il s’en fout. Royalement. Peut-être même qu’il ne s’en rend même pas compte. Il a peut-être une case en moins. Mais vu ses excellents résultats et son intelligence surdéveloppé, il doit surtout avoir une case en trop. Ce qui peut s’avérer embêtant aussi parfois.

De toute façon, il s’en va encore. Pour son master, il décide de venir à Paris. Plus personne ne critique son français un peu hésitant. Il ne comprend pas trop pourquoi d’ailleurs, peut-être qu’il y a une nouvelle mode qui dit que l’accent anglais, c’est mignon ? Bah, il s’en fiche un peu. Il vit dans une petite chambre de bonne, et son oncle James vit six étages en dessous, dans un grand appartement. C’est Conan qui a voulu vivre tout seul mais James n’est pas sûr qu’il puisse se gérer tout seul. Il est toujours aussi brillant dans ses études, mais toujours aussi… Etrange. Pour gagner trois sous, il écrit des nouvelles pour un journal qui le publie toutes les semaines, ça l’amuse. Il vit, quoi. C’est chouette.