on a gagné.
on a gagné.
on a gagné.

je me le répète en boucle depuis que le match est terminé.
comme pour m'en persuader.
alors que franchement, qui en doutait hein ?

on a gagné, c'est la fête. déjà l'ambiance se faisait sentir dans les vestiaires. tout le monde était sur son petit nuage. euphorie, quand tu nous tiens. et je sais plus lequel a lancé l'idée d'aller boire un verre. d'aller fêter ça. je suis bien d'humeur à aller boire un verre moi tiens. et ça fait un petit moment que je suis pas sorti. c'est pas trop mon truc les soirées. mais de temps en temps, ça fait pas du mal.

on s'est retrouvé à dix, au final. dix pour aller en boîte. j'aime pas les boîtes. y'a trop de bruits, trop de gens. mais j'vais pas faire mon rabat-joie. j'suis trop content pour ça, ce soir. on entre directement, sans faire la queue. et on passe pas vraiment inaperçus, du coup. j'aime pas ça. la plupart d'entre eux aiment ce genre de privilèges. mais pas moi. ça me met mal à l'aise.

il nous faut une table. je prends les choses en main. t'façon, il a pas fallu longtemps avant que le patron se décide à montrer le bout de son nez. il est là, il fait des sourires. il nous promet presque de nous décrocher la lune. ça m'énerve. mais je dis rien et je le suis. je le suis jusqu'à une table plus loin. une table où une demoiselle vient de s'installer un peu plus loin.

eh merde,
je le sens mal ça.

c'est vraiment dans ces moments là que je sais plus où me mettre. je crois que ça se voit dans mon attitude. je m'écarte un peu. alors que le grand patron s'élance vers cette demoiselle. je ne suis que simple spectateur de la scène qui se déroule devant mes yeux.

c'est pas ma faute.
je suis désolée.

c'est l'un des pires moments de ma vie.
j'me sens mal à l'aise. genre. vraiment.

je regarde la scène. je regarde faire le patron. je le regarde avec ses grands gestes et sa façon de s'adresser à cette demoiselle qui a rien demandé. elle était juste là, assise. à profiter de sa soirée. elle a rien fait.

moi non plus.

c'est dans ces moments là que je déteste être un footballeur professionnel. ça devrait pas être permis tout ça. on est des gens normaux au fond ? une fois chez nous, on est pas différents. une fois en dehors des terrains, on est les mêmes êtres humains. alors pourquoi nous traiter comme ça ? pourquoi ? je comprends pas mais personne va m'éclaire là dessus. jamais l'idée me viendrait de poser la question. on me rirait au nez et puis c'est tout.

alors, je suis désolé.

le grand patron fait des menaces et je décide que ça en est trop. c'est pas la fin du monde, merde. je vais pas pleurer parce que la place est déjà prise. c'est pas comme si la boîte était tellement pleine qu'il y a plus de baquettes inocupées. alors enfin, j'entre en scène. enfin, j'm'impose.

ça va aller, monsieur.

oui, c'est bon. on traite pas les demoiselles comme ça, oh.

laissez tomber, des places c'est pas ce qu'il manque dans votre boîte de nuit. essayez de nous trouver une autre table, ailleurs. laissez cette pauvre demoiselle qui vous a rien demandé.

j'ai parlé, il s'incline. il s'excuse.
et il s'en va.

je fais signe au reste du groupe qu'ils peuvent le suivre.
je viendrai plus tard. peut être.
d'abord, je dois m'excuser.

je suis vraiment désolée de tout ce bordel. c'est vraiment gênant comme situation.

je sais pas trop quoi dire, j'me sens comme un con là.