casque sur les oreilles, écharpe autour du cou, doudoune sur les épaules, tu roules en direction de l’école, théo sort bientôt, faut se bouger mon enfant. un grand coup en arrière, tu pousses les skate, glisses, tombes, t’étales. la planche elle continue sa course direction la route. tu la vois la catastrophe qui arrive au loin, ah ça oui tu la vois bien, le camion poubelle là-bas aussi tu le vois, qui fonce sur ta planche, tu cours « noooooooooooooon » et si. crac. foutue. morte. tu l’attrapes avant qu’un autre chauffard du dimanche te la défonces encore plus. c’est pas vraiment ton jour. t’as mal au cul. et en plus t’as pourri ton jean. une flaque de gasoil, manquait plus que ça. à droite un garage, c’est leur faute, ils vont te réparer ton skate pour la peine. tu pestes, tu pestes, mais arrivée devant le garage t’oses pas trop râler. tu t’approches avec ton petit accent australien « excusez-moi ? » dis-tu en entrant, tu t’enfonces dans le garage « excusez-moi ? j’aurais besoin d’un peu d’aide s’il-vous plaît. » avec une petite moue qui fait que personne ne peut te dire non.

j'ai les mains plongées dans le moteur et une fille apparaît à côté de moi. avec le bruit que je fais, je l'avais pas entendue arriver. je la jauge du regard, elle est mignonne. et évidemment, je suis plein de cambouis sur le bleu de travail, mes bras et même un peu mon visage j'suis sûr. elle a l'air désespérée, et pas française. adorable, quoi. je m'essuie les mains rapidement et je vais vers elle. « oui? il se passe quoi? »

du bruit. beaucoup de bruit. tellement qu'on a du mal à t'entendre. un type se retourne enfin. amen. « euh ... j'ai cassé mon skate, en glissant sur la flaque de gasoil, sur le trottoir, devant. » tu dis l'air désolée, comme si il pouvait te le réparer par magie. un bout de skate dans chaque main. « c'est possible de le réparer ? c'est pas une voiture mais ... » tu te redresses d'un coup « j'ai de l'argent, je peux payer tu sais ! »

je les vois, ses deux morceaux de skate, en même temps qu'elle dit ça. j'fais une moue un peu désolée. ses fringues aussi sont pleines de gasoil. je maudis l'apprenti qui a oublié de mettre du sable dessus. quel incapable celui-là. je souris qu'elle me propose de l'argent pour le réparer. « j'vais voir ce que j'peux faire, mais j'te promets rien.. » je lui prends ses morceaux et puis je retourne à ma servante et mes outils, je lui fais signe de me suivre. « ça va, toi? t'as mal nulle part? »

il te prend le skate des mains et va vers sa boîte à outils, t'as juste l'impression d'amener un proche à l'hôpital qui serait entre la vie et la mort. t'es stressée, ton skate tu l'as depuis que t'es ado, depuis que tu t'y es mise quoi.  « d'acccord... » tu l'suis et te postes à côté de lui un peu en retrait  « non, non, ça va. » et même si au fond t'as un peu mal au coccyx, tu t'en rends pas compte, ton cerveau ne pense que skate.  « c'est grave tu crois ? » il va te prendre pour une dingue, mais ton skate t'y tiens, comme la prunelle de tes yeux.

si c'est grave? elle m'a pris pour un docteur, et son skate pour un patient? hé, c'est juste un skate, faut se calmer. et non, j'fais pas des miracles non plus. puis, j'en sais rien, j'ai jamais réparé de skate, moi. « elle est quand même cassée en deux tu sais.. j'peux essayer de mettre de la colle, mais j'te promets rien.. » ouais, heureusement j'ai de la colle à bois. mais quand même.. heureusement qu'elle a l'air d'être un poids plume, cette nana. « on essaye quand même? »

cassée en deux. ses mots résonnent dans ta tête. cassée. mon bébé. cassée. tu te retiens de lâcher une larme et esquisse un sourire quand il te dit qu'il va la recoller. tu prie alors, dans ta tête, pas à voix haute parce que t'es pas bête, tu sais bien qu'il va te prendre pour une folle, une fille bizarre et qu'il va te foutre dehors sans réparer ton bébé. alors t'essaye de paraître normale. tu te mets juste à côté de lui, pour voir comment il traite ton bébé. t'esquisses un sourire en remuant la tête « oui. » une petite voix de bébé, ta voix trahi ces larmes que tu retiens depuis bien cinq minutes.

elle est toute bouleversée. la pauvre. on dirait une gamine. elle me fait de la peine, un peu. mais c'est mignon aussi. ok, on essaye. j'promets rien, quand même. qu'elle aille pas m'engueuler si ça tient pas. c'est de la colle, j'fais pas des miracles. ni de la sorcellerie. j'mets la dose de colle à bois entre les deux morceaux, je les colle puis je cale la planche entre deux trucs pour bien tout faire tenir. « voilà, faut laisser sécher un moment maintenant. » je m'essuie les mains et la regarde. pleure pas hein, c'est pas la fin du monde. « je t'offre un truc à boire en attendant? »

colle à bois. pour toi t'imagine que c'est bon que ça va bien tenir. bah oui, tu lui fais confiance à ce type. il va te la réparer ta planche. et après tu pourras faire tout ce que tu veux avec. bah oui. toi tu crois tout c'qu'on te dit. naïve va. « d'accord » dis-tu en reniflant un peu. tu fais mine d'être enrhumée, tu te gratouilles le nez. « je veux bien de l'eau » avec des petits yeux qui brillent, l'air timide. t'avais prévu de râler en entrant dans le garage, au final tu t'es rendu compte que ça marcherait mieux si tu faisais la peuchère.

ouais bon, c'est pas gagné cette histoire. j'mets de la colle à bois sans doute périmée qui n'va sûrement pas tenir, et elle, elle continue de renifler. bah oui, gratte-toi le nez pour faire croire, comme si j'avais pas vu que tu pleurais à moitié. heureusement, elle reste mignonne. un verre d'eau, ok. je met ma main dans son dos pour l'entraîner avec moi plus loin. je lui sers un verre d'eau, et moi un café. « comment tu t'appelles, au fait? »