Sujet: avec le temps va tout s'en va. (octense) Dim 3 Nov - 22:20
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octave et hortense Le problème, dans ce genre d'histoire, c'est la rééducation. C'est réapprendre à aimer, à rire, à sentir, à sortir, réapprendre tout, comme une grande brûlée, ou une paralysée, ou l'amnésique de ce film de Hitchcock à qui il avait fallu refaire une mémoire.
C'est pas un endroit pour elle, ce bar. Elle le sait. Pourtant, Hortense, elle se sent plus à sa place au milieu de ces gros porcs qui la souillent du r'gard que dans sa propre baraque, celle avec deux parents qui l'attendent, fatigués de la vie qu'elle mène et des rêves qu'elle poursuit. La vérité, c'est qu'elle en a marre de se justifier, la gamine. Elle en a marre de d'voir rendre des comptes à tout le monde, tout l'temps. A ses parents qu'ont jamais été foutus d'ramener assez de fric à la maison pour qu'elle s'épanouisse complètement. A Alex, son meilleur ami, qu'a jamais rien compris à son ambition et à sa gueule dans les nuages. Lui, il aimerait mieux qu'elle reste là, les deux pieds scotchés au bitume de Paname, à sniffer la pollution et non les nuages au dessus d'eux. Et tant pis pour ces rêves qu'elle traîne depuis toujours, il s'dit qu'elle pourrait en trouver d'autres, des rêves, des qui d'mandent moins d'ambition, des qui la f'raient pas coucher avec tous les gros riches dégueulasses de la capitale. Elle se sent plus à sa place ici, à boire de la bière dans un verre à vin, parce qu'elle est comme ça, Hortense, elle commande des bières à trois euros alors qu'elle porte des talons louboutin, elle boit d'l'alcool de mecs mais toujours dans des verres à vin. Elle fait tout à l'envers, tout l'temps, à longueur de journée et même là, à longueur de nuit. Elle fait tout d'travers et ça lui plait, elle, d'bouffer le dessert avant l'entrée, d'mettre un gros pull en laine quand il fait trente degrés dehors, d'rire à la gueule de ceux qui s'foutent pas d'elle et d'pas faire gaffe aux autres. Ca lui plait, à elle, cette pièce en moins à l'intérieur d'son corps, ou en trop, ça dépend des soirs, ça dépend d'l'humeur, d'l'état d'son palpitant. Elle se sent lourde, tout à coup. Toute molle, raplapla, comme une crêpe qu'on piétine. Et tous ces r'gards qui viennent se poser instantanément sur ses épaules. Elle vient d'casser son verre à vin, Hortense. Elle a entendu l'bruit, le bruit du verre qui s'éclate contre le parquet. Elle l'a entendu mais elle a mis du temps à s'rendre compte qu'il s'agissait du sien. Alors elle s'met à rire. Elle s'met à rire parce qu'elle a trop bu, parce que y'a sa tête qui tourne et qu'elle adore cette sensation. Elle s'met à rire au nom d'la vie, et d'ces rêves, et d'tous ces connards qui lui passent dessus mais qui lui permettront d'décrocher les étoiles, et puis la lune, et p'tet même le ciel tout entier. Elle quitte le bar, comme ça, elle claque la porte et s'met à rire de plus belle. Elle rit parce que y'a tellement d'raisons de rire, tout à coup. Elle rit surtout parce qu'elle sait bien qu'il n'y a plus rien aux alentours quand elle rit, qu'y'a pas plus belle qu'elle. Elle a un rire spécial, Hortense, un rire à l'intérieur. Ça la secoue tout entière, mais ça a l'son d'un murmure, d'un coup d'vent, d'un coup d'elle. Et puis ça r'mue les gens autour d'elle, ça les immobilise, elle sait pas trop. Elle sait juste que lorsqu'elle rit, y'a plus qu'elle. Elle et l'étincelle dans les yeux des gens. Puis elle le voit, Ho'. Elle le voit et elle arrête de rire. C'est immédiat. Y'a plus aucune raison de rire, désormais. C'est fini. C'est comme un r'tour à la réalité, un r'tour à toutes ces choses qu'elle supporte pas mais avec lesquelles elle doit vivre tous les jours. « T’aurais pas une clope, l’mort vivant ? » Elle va jusqu'à lui et s'adosse au mur, à côté de lui. Il la rend mal à l'aise, mal dans ses godasses. Elle entend son cœur qui pompe la vie, en lui, son cœur qui bat. Et putain son torse qui se soulève au rythme de sa respiration. Elle s'demande c'qu'il fout encore là, et par là, elle parle pas de c'bar, de c'te rue, de c'te ville. Elle parle de c'te terre. Elle s'demande pourquoi il s'est pas fait faucher par une bagnole, ou j'té d'un pont, ou même enfilé une boîte de médocs qu'auraient fait stopper tout son système intérieur. L'horloge de la vie se s'rait arrêtée définitivement et lui, il aurait fini crevé pour de bon. Comme un pneu de bagnole. Alors elle l'aurait trouvé beau, l'inconnu à trois quarts mort un quart vivant. Elle l'aurait trouvé beau et différent des autres. P'tet même qu'elle aurait pu l'aimer. Mais il ne s'est pas fait faucher par une bagnole et n'a pas englouti l'intégralité d'une boîte de cachets. Alors elle le trouve laid, laid à clamser. Elle l'trouve comme tous les autres, ceux d'ce bar et ceux d'cette ville. Tout poussiéreux. A l'allure de bibelot. « Si tu veux mettre fin à tes jours mais qu'tu sais pas par lequel commencer, moi je sais. » Elle désigne le bar du menton. « Commence par ce soir. Avec moi. » Elle aime la vie, Hortense. Et elle aime la mort. Mais elle aime pas les deux ensemble.
i hope when you take that jump, you don't fear the fall.
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Sujet: Re: avec le temps va tout s'en va. (octense) Mar 5 Nov - 21:24
Mais ça servait à rien, tout ça. La fumée qui dansait dans la rue, froide et gracieuse, la tête qui tournait que le sol donnait l'impression de se dérober de temps en temps, les bouteilles qui jonchaient le sol qu'on aurait pu les casser sur les pavés. Ça ne servait à rien du tout. Mais ça soulageait. Ça faisait penser à autre chose pendant un court instant. La tête, elle avait d'autres soucis, comme ça, quand la journée était finie et que la dame noire voilait Paris. Dans la nuit, c'était pas pareil, tout était permis, la nuit, tous les trucs interdits, indécents, inavoués, inacceptables, c'était, en somme, un autre monde. C'est bien. Travaille le jour, défonce-toi la nuit, ta vie est géniale. Vis au ralentis, tu vois comme ça te facilite la tâche. C'était, au fond, la solution de facilité. Le chemin le moins long, le plus facile, le moins douloureux. L'oubli à petites doses. Le truc pour les faibles. Ou les gens brisés. Après tout, t'es comme une petite statuette en verre qui a cassé, toi, non ? Non. Il est juste paumé dans une rue, Octave. Il sait pas quoi faire, il sait plus quoi faire. Il veut même pas rentrer chez lui, de toute façon, c'est même plus chez lui. C'est plus qu'une piaule comme ça pourrait être celle d'un motel dégueulasse, c'est plus agréable à vivre, et même la vue du balcon, elle est détestable. Non. Les rues douteuses, sombres et miteuses étaient mieux. Quitte à y passer la nuit. Pourtant, t'as une douche chez toi, tu devrais y songer, ça pourra pas te faire de mal, avec ta dégaine de clodo.
Il ne savait même pas comment il s'était rendu ici, Octave. Peut-être à pieds, peut-être pas, peut-être qu'on l'avait conduit en voiture, peut-être qu'on lui avait volé ses clés et son portefeuille, peut-être qu'il avait la lèvre qui saignait parce qu'il s'était battu, il n'en savait rien, il ne savait plus rien du tout, et il s'en foutait. C'était peut-être ça, donc, qu'on appelait le désespoir. Le désespoir en solitaire. La solitude du désespoir.
Alors, il s'était assis sur le parvis d'une baraque délabrée qui donnait directement sur la rue, puis avait migré, déboussolé, quelques mètres plus loin, sans faire quoi que ce soit. Il aurait pu prétendre être en train de pisser pour qu'on lui foute la paix, il aurait pu feindre d'être au téléphone, mais rien, rien qu'une loque de plus. Comme s'il avait attendu quelque chose, ou quelqu'un, dans ce genre d'endroit qui n'aurait même pas dû exister, le genre d'endroit que personne, personne ne devrait jamais fréquenter, même pour se balancer des saloperies dans les veines à l'occasion. Pas même elle. Elle, la rouquine, elle, qui n'avait visiblement rien à foutre ici, comme personne. D'autant plus qu'elle ne semblait pas avoir sa langue dans sa poche, la gamine. Pas froid aux yeux. La désinvolture même. « T’aurais pas une clope, l’mort vivant ? » Bien sûr qu'elle s'adresse à toi, crétin. Elle a même pas tord, en plus, regarde-toi, un peu mort et un peu vivant à la fois. Une clope ? Ouais, il avait une clope. Mais plus l'esprit pour comprendre tout de suite qu'elle s'adressait à lui. Il planait un peu, Octave, dans un monde plus malade qu'il ne l'était lui-même, dans un monde plus noir encore qu'il ne l'était dans la nuit. Elle, l'inconnue, grande et maigre, semblait éclairer un peu le chemin. Et, même à vingt-cinq ans, quand on ne demande qu'à s'accrocher à quelque chose à nouveau, n'importe quoi peut faire l'affaire. Y compris une gamine qui devait tout juste être majeure et qui n'avait aucune réalité de rien, encore des rêves plein la tête qu'elle abandonnerait dans deux ou trois ans, le temps de comprendre que tout ça ne rime à rien. Ouais, ta vie à toi, elle rime à rien, connard. « Tiens. » Peut-être qu'elle n'en valait pas la peine, sa vie à lui, mais la vie de la rouquine, il n'en savait rien. Dans le doute, il avait tendu son bras à l'inconnue, et du bout de ses doigts tremblotants, il lui avait offert un peu de poison, juste pour qu'elle puisse mourir un peu avant l'heure. Ça devait être à cause de son rire cristallin. Elle n'avait pas rigolé, quand elle l'avait vu, Octave, mais lui, il l'avait entendue, de loin, comme un écho perdu dans Paris, comme un truc qui n'avait pas sa place ici. Mais rien n'a sa place ici, cher Octave.
Et puis, elle l'avait interpellé, rien qu'en une seule phrase, elle l'avait intrigué, parce que, résolument, l'Inconnue devait avoir le don pour les phrases. En trois mots, elle avait fendu la bulle qui trônait fièrement autour d'Octave, et voilà que maintenant, en s'adossant près de lui et en continuant, elle mettait un coup de talon dedans pour ouvrir une brèche. « Si tu veux mettre fin à tes jours mais qu'tu sais pas par lequel commencer, moi je sais. » Je t'écoute. Suicide-moi un peu, gamine. « Commence par ce soir. Avec moi. » Pourquoi ? Pourquoi t'aurait-il écoutée ? T'es qu'une inconnue, et il n'a pas encore des envies sérieusement suicidaires, Octave. Mais il est un peu con. Et peut-être que toi aussi, c'est un cas désespéré, tu l'as bien vu. « D'accord. Mais t'auras pas fini ta clope le temps qu'on aille là-bas. » Là-bas. Là-bas, le bar. Là-bas, la réunion des causes perdues. Pourtant, le bar, Octave, il n'en a pas envie. Parce qu'il n'est pas en état, il est comme déjà à moitié mort. Mais si elle elle veut y aller, alors il la suivra, Octave. Parce qu'il n'a rien d'autre à faire que de mourir avec elle.