« De la naissance à l’âge de raison »
Mathilde de Maupin est l’unique enfant d’un couple déjà âgé et plutôt fortuné. Sa naissance, qui n’était plus attendue depuis longtemps, fut accueillie comme un petit miracle par ses parents. Ils lui donnèrent le prénom de Mathilde, premièrement parce qu’il avait le clacissisme requis pour aller avec son nom de famille, et enfin en référence à l’héroïne des Liaisons dangereuses, roman préféré des de Maupin. Choyée comme il le fallait, elle fut élevée dans les hauts murs de l’appartement, dans lequel elle aimait à se perdre. Loin d’être trop gâtée comme on aurait pu le croire, Mathilde fut néanmoins surprotégée tout le temps qu’elle resta à la maison. De peur que l’école du quartier ne soit pas au niveau de leurs exigences, et ne désirant pas bouleverser les habitudes de leur fille chérie en l’envoyant dans un lieu éloigné de la maison, ils engagèrent un professeur à domicile. Cette dernière lui enseigna la lecture et les rudiments de calcul, mais aussi les bonnes manières. A l’âge de six ans, Mathilde était une enfant parfaite, tant dans sa mise que dans ses discussions avec les amis de ses parents. Elle était jugée adorable, mature, mignonne, prometteuse et drôlement bien élevée. Au détail près qu’elle était parfaitement inadaptée à la société des gens de son âge. Oh bien sûr, sa beauté l’aiderait forcément à se faire des amis, se disait Madeleine en contemplant d’un œil attendri sa chevelure rousse et ses grands yeux d’un bleu sombre. Elle n’imaginait pas à quel point elle se trompait, mais pour l’instant rien ne venait perturber cette enfance idyllique – même s’il était un peu ennuyeuse. La compagnie des autres lui manquait.

De l’âge de raison à l’adolescence

Elle attendait son entrée en CP avec l’impatience de ceux qui n’en ont jamais connu les tourments. Curieusement, elle n’éprouvait ni angoisse, ni appréhension. Si s’entendre avec les jeunes de son âge était aussi facile que de stimuler sa perfection avec les adultes, elle les aurait bientôt tous dans sa poche. Malheureusement, elle se trompait lourdement : la première journée, personne ne lui parla. Elle fut forcée de s’asseoir seule, mais la solitude ne l’avait jamais embêté, c’était une amie fidèle qui ne lui avait jamais fait défaut en six ans de vie. Les jours se suivaient et se ressemblaient – à tel point que Mathilde finit par se demander si c’était une attitude normal de leur part qu’ils l’abandonnent dans son coin sans ne lui adresser ne serait-ce qu’un mot. Elle ne savait pas comment les aborder. On était toujours venu à elle sans qu’elle ne fasse d’efforts, et elle n’était pas habituée.