on a pas la thune mais l'espoir ▲ elle est née comme ça, hortense, un peu par hasard surtout par amour. elle est née comme ça, au milieu d’rien, dans une baraque pleine de fuites d’eau et d’papiers peints qui s’effritent. ça l’a pas empêchée d’grandir, la gamine. elle avait pas d’fric à foutre dans ses poches alors elle y a mis d’l’espoir. ça fait des années, maintenant. des années qu'elle ramasse chaque gramme d'espoir sur lequel elle tombe. parce qu'elle est née dans une baraque à peu près comme les autres mais qu'elle, une existence à peu près comme les autres ne l'intéresse pas. elle veut le ciel, hortense. elle veut l'horizon, new york, tout ce qui ne s'attrape pas. elle se fout bien de l'accessible, elle, c'est avec l'inaccessible qu'elle veut coucher. alors en attendant qu'ce jour arrive, elle se contente de bouffer de l'espoir du matin jusqu'au soir. jusqu'à ce qu'elle en crève. putains vous m'aurez plus ▲ le problème avec les thunes, c'est qu'on peut pas vraiment s'en passer. y'a les factures à payer, le frigo à remplir, les études à acheter. et les rêves à sauver. elle veut s'barrer, hortense. elle veut aller à new york. et pour y parvenir, elle a choisi d'coucher. avec des plus vieux, des plus plus riches. elle les trouve dans les beaux quartiers de paris, et après avoir maté c'qu'ils ont à lui offrir, elle les laisse souiller son corps avec leurs mains, avec leurs lèvres et puis leur langue. elle s'rappelle d'une époque où ça la révulsait, toute cette virginité qu'elle perd et retrouve chaque matin. mais la révulsion est passée, comme le reste. il ne lui reste plus que l'habitude, les orgasmes simulés et les cadeaux à mille thunes qu'elle réclame en échange. en échange de son corps, d'son ego certains soirs. en échange d'elle. alors va pour l'indifférence, pas pour ces choses qui n'ont de sens ▲ elle pleure pas, hortense. et puis elle rit jamais vraiment. elle sait pas sur quel pied danser avec ses sentiments, alors elle danse pas. elle trouve ça con, elle, les sentiments. elle trouve ça crade, dégueulasse, à j'ter à la poubelle. y'en a qui disent qu'elle a pas d'coeur, la sauvage. qu'elle est née sans argent et sans organe qui pompe la vie. et elle, elle les laisse dire. parce qu'elle s'en fout, d'l'humanité. parce qu'elle, elle rit à la gueule des oiseaux et de toute cette génération qui n'fabrique plus qu'l'ennui. elle vit la vie à sa façon, en laissant sur les bords de route ces kilos d'sentiments qui pèsent parfois trop lourd. l'amertume. la joie. le regret. le reste. et quand elle se sent vide, elle s'en va sniffer ses poches de jeans bourrées d'espoir et son parfum à lui.  on crie tout notre amour à ceux qui n'entendent pas ▲ son parfum à lui. alex. elle contrôle tout, hortense. elle contrôle ses réussites, ses rencontres, et même ses échecs. mais avec ce type, y'a un sale truc qu'a foiré, un sale truc qui fait qu'son palpitant lui joue des tours chaque fois qu'il pose son r'gard sur elle un peu trop longtemps. elle s'rassure en se disant qu'c'est un truc à la noix, un truc qui finira bien par partir. demain ou dans dix ans. mais ça fait des mois qu'elle s'répète ça et des mois qu'il reste, le truc à l'allure de miette de pain. elle l'aime, voilà l'atroce vérité. elle l'aime. il est comme une tumeur, un cancer, un truc dont on guérit pas. car s'il y a bien quelqu'un dont elle pourrait crever, c'est de lui. lui et personne d'autre.  oui du coeur toi l'apôtre, de flaubert à hugo ▲ elle adore lire, hortense. elle lit le jour, elle lit la nuit et même entre les deux. c’est son échappatoire à elle, sa raison à tout ça. elle trouve qu'y'a rien de mieux qu'les livres pour tuer les grands soirs de tristesse. elle lit toujours la dernière page avant tout l'reste parce qu'elle veut pas s'faire avoir par l'histoire, parce que même là elle a besoin d'contrôler ses émotions. elle r'fuse de s'attacher aux personnages, aux lieux, aux trucs futiles mais elle passe quand même des heures à avaler ces lignes qui la font tenir ces soirs où elle remplirait bien des bocaux d'flotte si seulement elle savait faire. elle est belle comme un accident de bagnole ▲ elle a un truc, hortense. un truc en plus, un truc en moins, elle a jamais vraiment su. mais elle sait qu'elle a truc qui fait qu'les gens se retournent sur son passage dans la rue, un truc qui la rend belle à en crever. déjà gamine, on répétait à sa mère elle est bien jolie, votre petite. c'est un truc qu'est pas parti. hortense a grandi et elle est restée belle. elle en joue, bien sûr. à longueur de journée et même à longueur de nuit quand elle donne son corps. elle en joue pour grapiller un peu d'distance sur ses rêves, un peu d'distance sur la vie. et puis si la vieillesse vient frapper à la porte c'est qu'on aura vaincu ce temps qui nous escorte ▲ elle souhaite mourir, hortense. pas maintenant, dans longtemps même, mais elle souhaite mourir. elle trouve ça poétique, la mort, elle trouve qu'c'est une belle fin, la mort, une fin qui dit voilà, tu as réussi tout ce que tu voulais réussir, tu peux partir tranquillement, maintenant, t'as qu'à te laisser aller. elle, elle aimerait bien mourir après avoir réalisé chacun d'ses rêves, après avoir foulé le sol américain et vu sa gueule sur les panneaux d'affichage de la ville, après avoir écrit un livre, aussi. ça la fait flipper, d'partir avant tout ça. d'partir comme ça, sur un mauvais coup du destin, fauchée par une bagnole ou juste par un cancer. Tu y crois toi ? Les enfants de l'amour ? Oh putain j'ai du mal Doit y'avoir autre chose ▲ c'est une nana qui n'a pas peur de grand chose, hortense. mais s'il y a bien quelque chose qui l'effraie, c'est l'mot famille. elle s'met à avoir mal au ventre dès qu'elle voit des r'portages sur des filles qui tombent enceinte, comme ça, par hasard, sans l'vouloir. l'destin, encore, ce connard. elle a pas envie d'fonder une famille, la gamine. elle sait qu'elle a l'temps d'y réfléchir mais ça, c'est encré en elle. elle veut pas d'bambins à rendre heureux, elle saurait pas comment faire. et puis elle trouve ça égoïste, elle, d'faire des gosses parce que c'est dans l'ordre des choses, elle trouve ça égoïste d'fabriquer des familles dans un monde comme le notre, dans un monde qui fout l'camp et qui court à sa perte.  quand jai vu Marguerite j'e suis dit elle sort d'où celle-là ? puis cest quoi c'prénom à la con sorti du fond d'un autre temps ?▲ hortense se trouve belle, elle s'trouve unique, différente. y'a pas grand chose dont elle est pas fière. mais y'a son prénom. son prénom qu'en a fait rire plus d'un, son prénom qui f'rait ridicule sur les grandes affiches de new york. hortense. elle le trouve moche, à enterrer, et chaque fois qu'elle l'entend, elle a la nostalgie de ces prénoms banals et pourtant tellement jolis qu'elle ne portera jamais. charlotte. camille. pauline. ambre. j’ai allumé le gaz mais toi t’as pris le feu, même pas de quoi m'brûler la dernière cigarette ▲ un paquet par jour, un peu plus un peu moins. elle fume, hortense. elle fume beaucoup trop. au réveil, en mangeant, parfois même en pissant. elle fume quand elle est en colère, quand elle est joyeuse, quand elle a froid et puis quand elle a chaud. pour deux, pour trois. elle sait bien qu'c'est mal, elle sait bien qu'y'en a qu'en crèvent. mais crever d'ça ou d'la vie, c'est du pareil au même, non ? on finira tous dans les mêmes boîtes, si on a assez de thunes pour s'acheter une boîte. ses économies partent dans des paquets d'clopes qui tiennent pas la route. et quand elle y a passé tout son fric, elle va voir du côté de son meilleur ami qui peut pas s'empêcher d'la trouver belle quand elle r'crache la fumée en r'gardant ciel qu'est bien bas.