Non. Non. Le bâtonnet s'envole. Traverse la pièce. Vient se heurter violemment contre le mur. Pour venir s'écraser sur le carrelage de la salle de bain. Positif. Positif. Non. Ce n'est pas possible. Tu te laisses tomber sur le sol froid. Au milieu d'une douzaine de test de grossesse. Ceux d'hier sont déjà dans la poubelle. Ceux-là traînent depuis cinq heures sur les carreaux tiédis par le soleil. Tu es enfermée depuis un moment. Tu ne veux pas sortir. Ce serait accepter la réalité. Et le résultat des tests. Tous positifs. Tes mains frêles et blafardes en tremblent. Ce n'est pas possible. Ce ne peut pas être réel. Ce ne doit pas être réel. Tu t'allonges. Doucement. Pour ne plus vaciller. Lentement. Tu détournes ton regard vers le rayon lumineux qui agresse ta rétine caramel. Tu laisses l'astre solaire t'aveugler. Sa chaleur frappe ton épiderme fragile. Il réchauffe ta silhouette gelée. Tes mains remontent. Se posent sur ton ventre. La panique et la peur te compriment. Tu sens ton angoisse qui bloque ta tranchée douloureusement. Tu essayes de te calmer. Ce n'est pas si grave, n'est-ce pas ? Des solutions existent. Oui, mais tu aurais aimé ne jamais les utiliser. Ton palpitant craque. Tu le sens se fissurer. En imaginant les iris électrique de Raphaël. Quand tu lui annoncera. Oseras-tu seulement le lui dire ? Tu pourrais simplement te taire. Te faire avorter. En secret. Reprendre ta vie. Et garder ça pour toi. Éprouveras-tu le moindre remords ? Non. Certainement pas. Lui mentir ne te fera pas sentir coupable. Mais son avis est peut-être différent du tien. Tu serais prête à faire face. A affronter les responsabilités. A ses côtés. Il sera certainement moins effrayé que tu l'es. Il se projette peut-être plus dans l'avenir. Tu ne t'attends pas à ce qu'il accueille la nouvelle avec enthousiasme non plus. Mais avec plus de sérénité que toi.

Tes mains tremblent. Des perles du sueur roulent le long de ta tempe. Tu serres les dents. Étouffes un cri. Tes opales vitreuses fixent tes doigts agrippés au couteau aiguisé. Assistent à la scène qui s'impose à elles. Les rayons de l'astre tapent dur sur ta fenêtre. Frappent le salon de sa lumière aveuglante. Ta vue se trouble. Mais tu distingues encore la lame ensanglantée. Tes mirettes anisées arrivent encore à suivre les gouttes de sang. Elle glissent lentement le long de la paroi métallique. Tes phalanges déserrent leur prise. La dague tombe lourdement sur le sol. Le bruit de sa chute s'infiltre dans ton oreille. Comme un signal. Comme s'il te faisait revenir à la réalité. A la brutale réalité. Courbée par la douleur, tu t'effondres sur le plancher. Cette fois, tes lèvres sèches laissent échapper un hurlement strident. Tu cris ta souffrance. Elle résonne dans toute la pièce. Te revient en écho. Comme pour te narguer. Pour rire de toi, seule, sans personne pour te venir en aide. Un cadavre. C'est à ça que tu ressembles. Avec tes joues pâles. Ta bouche entrouverte. Tes yeux vides. Et ton sang qui s'étale sur le sol. Tes doigts se collent contre ton bas ventre. Tes paumes essaient maladroitement de stopper l'écoulement de ton sang. Mais l'hémorragie est trop importante. Tu ne t'ai pas loupé. Le décor tangue. Vacille dangereusement. Les prunelles embuées, tu ne retiens pas ton sanglot ridicule. Dans ta folie, tu tentes de te convaincre que tu as fais ce qu'il fallait. Que c'était la meilleure chose à faire. Ta maigre silhouette ne se tortille plus. Tes muscles n'en n'ont plus la force. Le corps inerte, les paupières closes, l'utérus ouvert par endroit, tu te laisses divaguer. Le père est parti. Le bébé aussi. Tu n'as pas su retenir l'un, tu as lâché l'autre.

« Mademoiselle ? » Tu ne cilles pas. Tu n'oses pas. La regarder. La laisser t'annoncer la nouvelle. La mauvaise nouvelle. Tu ne veux pas. Prendre ce risque. Tant qu'elle ne te dit rien, il ne s'est rien passé. La sentence ne tombe pas. Sa mort non plus. Le temps reste en suspend. Son état aussi. « Je suis ... » Désolée ? Non. Elle n'a aucune raison de l'être. Puisqu'elle n'est pas morte. « Ne terminez pas cette phrase. » Tu ne dévies toujours pas le regard. Tu refuses de voir son visage. Crispé par ce faux sentiment de compassion. Les traits tirés par la corvée que représente cette annonce. Mais elle n'en sait rien. Cette foutue infirmière ne connait pas le teneur du lien qui t'unissait avec ta cousine. Elle était ta stabilité. Ton repère. Ton équilibre.

Un sursaut. Tes paupières s'ouvrent. Tu te redresses machinalement. Tu es lassée de revivre ce moment toutes les nuits. Les lampadaires extérieurs éclairent le dortoir silencieux. Personne ne ronfle. C'est rare. Souvent, certains ont la nuit agitée. Il est impossible de s'endormir correctement. Mais ce soir aucun bruit ne vient pas troubler la quiétude des lieux. Par contre, l'odeur imprègne la pièce. Quelqu'un n'a pas du se doucher depuis longtemps. Tes yeux te piquent. Tellement la puanteur est forte. Mais tu t'en fou. De te trouver là. Tu as bien fais de lâcher ton travail. A quoi bon s'emmerder alors que la vie ne tient à rien ? Ton ancien rythme quotidien t'épuisait. Te faisait chier. Et s'assurer une bonne situation, ne t'enlève pas le risque de crever à chaque instant. Tu te contentes désormais de vivre.  Tu n'as plus de chez toi, tant pis. Au moins, tu ne claques plus ton fric dans un loyer exorbitant. Tu choisis, sans contrainte, tes dépenses. En exerçant ta passion pour le théâtre. C'est ce que tu as toujours voulu. C'est désormais ce que tu as.