« Tu n'as pas à t'en faire, je suis là. » Sa voix est chaleureuse, apaisante. Elle possède le don de me rassurer en toute circonstance. Sans me demander mon avis, il m'entoure de ses bras d'une virilité incontesté et me prend contre lui. Je me retrouve allongé, la tête posée contre son torse. Moi qui étais soucieux, je commence peu à peu à reprendre mon calme, à reprendre le dessus. Oui, il possède véritablement le don de m'apaiser.
« Et je serais toujours là pour toi. Cette épreuve n'est qu'un pas de plus à franchir. », continue-t-il sur sa lancée. Sans comprendre pourquoi, le traque fait un retour forcé. Je sens mes entrailles se déchirer. C'est tout mon corps qui réagit à cette inquiétude. Elle me ronge littéralement de l'intérieur. Comment me suis-je retrouvé dans cette situation ? Qu'ai-je fais, moi, pour devoir affronter ça ? Par le passé, je n'ai jamais eu véritablement de petite amie. Du moins, aucune fille qui n'avait tenu plus quelques semaines. Il n'y avait jamais eu aucun sentiment, juste une faible attirance. Pour ma part du moins. Alors... Comment ai-je fais ? Il aura suffi d'un simple stage pour que je me retrouve à avouer cet amour que je n'avais jusqu'ici jamais vécu à quelqu'un. Quelqu'un s'avérant être plus âgé que moi. Quelqu'un s'avérant être mon supérieur. Quelqu'un s'avérant être un homme.
« Qu'est-ce qui t'effraie à ce point ? » Tout. Tout me fait peur. Tout me hante. La réaction de ma famille, la réaction de mes amis, la réaction de personnes dont je connais pas le nom m'effraie. Bien sûr, rien ne me force à révéler notre aventure. Mis à part ces sentiments à la con dont j'ai pris conscience à la minute même où il posa ses lèvres sur les miennes, alors chastes de tout contact avec un autre homme. J'ai tenté de les repousser et de le repousser par la même occasion. Oh oui... J'ai tenté. Cependant, dès que je croise ses yeux d'un bleu presque métallique, c'est un feu qui se met à consumer mon être tout entier. Dès que je me retrouve en son contact, je ne peux plus prononcer le moindre mot, je ne peux plus me mouvoir, je ne peux plus respirer tant le poids de cette soudaine révélation me pèse. Après tout, je ne suis qu'un adolescent de seize ans. Je ne suis qu'au lycée. Je ne sais pas encore ce que l'avenir me réserve. Devrais-je prendre le risque de tout foutre en l'air pour cet homme ?
« R-rien... Ne t'en fais pas... Je vais bien. » Je mens, il le sait parfaitement. La volonté y est, mais la frayeur également. Alors il me serre un peu plus fort. Ses bras autour de moi ne sont plus une prison mais un paradis dans lequel je pourrais rester éternellement.
Je mis un moment à tenir cette relation dans l'ombre. Tous les deux ne nous retrouvions pas souvent, mais juste le temps qu'il fallait pour être comblés. Il ne me força jamais la main bien que l'idée de nous voir marcher tous les deux main dans la main lui échappait parfois au cours de la conversation. J'attendis d'être totalement prêt. Et une fois que je le fus, je dus en parler aux deux personnes les plus importantes de ma vie.Mes parents m'attendent. Je leur ai demandé de me rejoindre au salon. Quelle connerie. Pourquoi ? Pourquoi leur ai-je demandé ça ? Non... Il est à présent trop tard pour faire demi-tour. Ils sont là. Ils sont assis, je suis debout mais j'ai la désagréable sensation que mes jambes risquent de me lâcher à tout moment.
« Qu'est-ce qu'il y a ? » Ils sont à la fois perplexes et inquiets. Ils ne s'attendent absolument pas à ce que je lâche une telle bombe. Je leur avais déjà annoncé que je ne suivrais pas d'études pour approfondir mes connaissances quant aux langues. Je leur avais déjà parlé de cette ambition de devenir réalisateur, suivre des études d'arts, réaliser mon rêve. S'ils avaient pris ceci pour des conneries, comment allaient-ils réagir à l'annonce de cette nouvelle ? Je tremble de plus en plus, mais mes poings se referment par automatisme pour que je puisse garder le contrôle.
« Je... J'ai quelque chose à vous dire. » J'hésite une dernière fois. Finalement, je relève les yeux pour cesser de regarder le parquet abîme du salon. Je leur fais face et je ne flanche pas.
« J-je... Je suis... J'aime... » Les mots ne sortent pas comme il le devrait. En réalité, je ne sais pas comment tourner cette maudite phrase pour qu'elle paraisse la moins choquante que possible. Dans l'incompréhension la plus totale, ils restent muets. J'ai trouvé.
« Je suis tombé amoureux de quelqu'un. » Tous les deux arquent un sourcil comme si toute cette mise en scène était superflus pour une chose aussi futile.
« Il s'appelle Baptiste. Baptiste Delahaye. » Aussitôt leurs visages deviennent pâles et se décomposent sous mes yeux. Je ne peux rien faire pour apaiser leur réaction, je suis impuissant. Ils ne disent rien, ils se contentent juste de se regarder, de me regarder, de se regarder à nouveau. Ma mère est la première à prendre difficilement la parole.
« Si tu es certain de ton choix... », dit-il peu sûre. Mon père lui est toujours muet. J'aimerais être dans ses pensées pour pouvoir les entendre, et à la fois être loin pour au contraire ne pas subir son jugement. Néanmoins, contre toute attente, il finit par se lever et me prendre dans ses bras tendis qu'il ravale un sanglot à peine audible.
Le plus difficile était fait. Parents, amis... J'avais subi le jugement de beaucoup. J'avais eu mal d'en entendre certains. Mais j'étais amoureux. Je n'avais plus qu'à profiter de ce bonheur qui m'était offert. Nous étions ensemble depuis maintenant deux ans. Je pouvais enfin présenter celui qui avait été mon maître de stage comme étant également celui qui partageait ma vie. Nous étions heureux. Oui, étions. Le problème est bien là. Je franchis le pas de sa porte et l'embrasse sans me priver du goût acidulé de ses lèvres. Je me blottis un instant contre lui sans me priver du parfum que j'apprécie tant. Ce regard qu'il me lance est toujours aussi intense. Je ne sais pas quoi faire. J'avais pris mon courage à deux mains pour avouer cette homosexualité que je peinais à assumer. Désormais, je prenais mon courage à deux mains pour mettre fin à cette relation malgré moi.
« Pourquoi viens-tu à cette heure-ci ? » Il est tard, je n'ai pas l'habitude de le rejoindre à une telle heure tout en sachant que j'aurais cours le lendemain. Pourtant, je ne pouvais attendre plus longtemps. Je me sens à la fois coupable, mais aussi terriblement triste. Je prends un peu d'espace en reculant vers la porte qu'il vient de fermer. J'observe l'environnement autour de moi et qui m'est tellement familier. Je l'observe une dernière fois avant de l'observer lui. Je ravale ma salive et ose finalement lui répondre.
« J'avais quelque chose à te dire... » Ça y est, le traque refait surface et m'empêche d'aller plus loin. Toutefois, il me laisse continuer.
« Tu sais, j'ai été accepté dans l'école de mon choix. Je vais me donner à fond pour obtenir ce master. Et donc... » J'ai l'impression d'être tellement froid, tellement inhumain. Au fond, je pleure de désespoir d'avoir à le quitter de la sorte. Un voile humide commence à se dresser sur son regard. Je ne peux pas voir ça plus longtemps.
« Je suis tellement désolé... Si je souhaite réussir, je n'ai pas le choix. » On dit que la réussite à un prix et je suis en train de le payer. Je ne vois plus son visage, mais je sais qu'il hésite entre s'en prendre à moi et se mettre à pleurer ce que je ne supporterais pas.
« Donc... C'est tout ? C'est terminé ? Comme ça ? », demande-t-il un sanglot perturbant la tonalité de sa voix. Oui, c'est tout. Oui, c'est terminé. Oui, comme ça. Mais non, je t'aime encore. Je t'aime d'un amour sincère et véritable mais je ne suis pas certain que ce soit le bon et je n'ai pas envie de mettre à mal le reste de ma carrière pour une histoire qui pourrait partir en fumée quelques mois plus tard. Je préfère donc prendre les devants et souffrir maintenant que de souffrir trop tard.
« Je suis désolé... » C'est tout ce que je peux ajouter pour conclure cette rupture éclaire. Je relève les yeux en direction des siens et m'approche pour lui faire cadeau d'un dernier baiser. Il ne me repousse pas, mais n'y met aucune volonté. Je sors enfin de cette maison dans laquelle la tension était bien trop pesante et désormais à l'abri de tout regard, je peux me laisser aller et évacuer ce trop plein d'émotions et de peine dans un torrent de larmes.
Une fois cette rupture officialisée, je n'entendis plus parler de lui. Je me donnai à 100 % dans ces études qui m'accaparaient. Bien sûr, je n'avais pas renoncé à l'amour et bien qu'une flamme s'était éteinte, une lueur faiblarde brillait toujours. Suffisamment pour avoir quelques aventures, de nombreuses aventures. J'allai de droite à gauche, de portes en portes sans jamais me poser suffisamment longtemps. Juste de quoi me sortir la tête de ces cours écrasants sans pour autant m'en évader totalement. Je suis enfin prêt. J'ai tout ce que je voulais obtenir après ces longues années d'étude. J'ai obtenu mon master. Je suis prêt à travailler. Je suis prêt à faire ce qui me passionne véritablement. Je suis prêt à aimer de nouveau pleinement. Je suis prêt à vivre ma vie qui ne fait que commencer et pour cela je dois simplement passer un entretient d'embauche. Je ne serais qu'un simple assistant réalisateur, mais un grand homme a dit un jour qu'il vaut mieux partir du bas pour arriver le plus haut possible. J'ai l'intention d'y arriver. C'est mon rêve le plus cher et je suis prêt à tout pour le réaliser, même à devenir le petit chien d'un réalisateur un peu trop pointilleux et qui préfère reléguer les basses besognes plutôt que de donner une véritable à faire. Oui, je suis prêt. J'arrive près du building dans lequel on m'a donné rendez-vous. Ce n'est pas un projet de film énorme, mais il est tout de même attendu. J'espère vraiment être à la hauteur et surtout convaincre mon futur employeur de m'embaucher. Je n'ai parlé qu'au producteur qui lui avait transmis mon cv. J'allais donc devoir faire mes preuves. Une fois à l'intérieur, je prends l'ascenseur. Je suis nerveux. J'ai l'impression d'être dans ces films où l'ascenseur mène au saint Graal et où tous sont tant stressés d'y monter. Les portes s'ouvrent, je peux enfin apercevoir les bureaux et surtout le secrétariat où je dois m'annoncer. Je m'avance d'un pas déterminé et m'adresse à la secrétaire sans la moindre difficulté.
« Bonjour. Je suis le rendez-vous de 14h, pour le poste d'assistant. » Elle lâche son ordinateur et délaisse même le téléphone qui se mit à sonner pour regarder l'agenda ouvert à la page de ce jour et surtout confirmer.
« Très bien. » Elle décroche mais demande son interlocuteur de patienter pour appeler une autre ligne.
« Votre rendez-vous de 14h est arrivé. » Elle me regarde souriante avant de m'indiquer le chemin.
« Le bureau de Mr. Delahaye est le dernier à droite, au bout du couloir. » Je me fige sur place. Impossible. J'ai peur de ne pas avoir bien entendu. Non, au contraire j'ai peur de bien avoir entendu. A-t-elle dit... Delahaye ? Combien de chance y a-t-il pour qu'un autre réalisateur se nomme Delahaye ? Paris est une grande ville, il y en a donc beaucoup. Non, je suis en train de me bercer d'illusions là. C'est lui, aucun doute possible là-dessus. Je reste hésitant un moment avant de me diriger vers son bureau. J'ai l'impression de me rendre aux portes de l'enfer. Je ne sais pas si j'ai une quelconque raison de m'en faire. M'en voudrait-il pour cette rupture qui remonte à plusieurs années ? Après tout, je n'ai peut-être aucune raison de m'en faire. Je suis encore dans l'embarras. Avant de frapper à sa porte, j'essaie de me ressaisir. J'essuie d'un revers de main mon front commençant à refléter l'état de stress intense dans lequel je m'enfonce petit à petit, vérifie que je suis correctement habillé, vérifie également ma coiffure et je toque.
« Entrez. » Glacial. Lui qui avait toujours été si chaleureux envers moi, si rassurant... Il semblait transformé du tout au tout. Peut-être ne sait-il pas que je suis derrière cette foutue porte, seule barrière qui me sépare de celui pour qui j'ai fait mon coming out et ai lourdement laissé tomber. Le contact entre ma main et la poignée me fait cesser de trembler comme un gamin. J'ouvre la porte, lentement mais sûrement. Enfin je le vois. Il n'a pas changé, finalement. Son regard est pénétrant et toujours aussi hypnotisant. Sa beauté me subjugue. Son allure est plus comme le devrait être celle d'un homme ayant parfaitement réussi sa vie. Son expression neutre me glace le sang, je ne sais pas à quoi m'attendre. Je ne sais donc pas quoi dire ou quoi faire. Je me contente d'entrer et d'attendre qu'il me dise de m'asseoir. Je prends finalement la parole.
« Je n'étais pas au courant... Que tu étais le réalisateur en charge de ce projet. » Je tente vainement de briser la glace, mais c'est un échec cuisant.
« Comme tu le vois, je suis parvenu à me faire un nom. Et comme je le vois, tu as obtenu ce que tu désirais. » Première pique. Il m'en veut toujours, c'est certain. J'hésite entre m'excuser une fois encore, rire comme s'il me faisait une mauvaise blague ou me mettre à pleurer pour ma malchance mais en réalité je bafouille plus qu'autre chose. Il me coupe cependant dans mon élan en affichant un sourire satisfait. Tout aussi étrange. Il se moque de moi. Il joue avec mes nerfs. Est-ce sa vengeance ? Cette scène en a tout l'air.
« Tu n'as sûrement pas oublié notre... passé commun, va-t-on dire. Ainsi je pense qu'il serait préférable de rester professionnel et d'en faire abstraction. Tu as toutes les qualités requises pour ce travail. Félicitations. » Je suis abasourdi. Il tire donc un trait sur le passé ? Foutaise. S'il m'a donné ce travail, ce n'est pas pour enterrer la hache de guerre, bien au contraire. Il souhaite me le faire payer. Je le connais, je le lis en lui.
Ainsi je me fis engager pour être son assistant réalisateur. Comme je l'avais pressentis, tout en lui n'était plus qu'hostilité déguisée. Malheureusement, je n'ai d'autre choix que de me laisser faire et me plier à ses quatre volontés. Malgré tout ce qu'il pourra tenter de m'infliger, mon but lui restera le même : réussir.