Sujet: back to the cinema - théotime Ven 5 Juil - 11:19
BACK TO THE CINEMA ft. théotime
Il y avait des trucs, comme ça, je ne pouvais pas les louper. Ils représentaient une occasion à saisir. Oui, ce n'était pas tous les jours que le Grand Palais se transformait en drive-in, ce qui était déjà en soi vachement cool, et comble du comble, aujourd'hui j'allais voir Retour vers le Futur. Il était à l'affiche parmi les multiples classiques qui passaient, ce qui était d'autant plus formidable. Il faisait partie des, disons, cinq films que je connaissais par cœur, pour ne pas dire la trilogie en entier. Je n'arrivais pas à m'en lasser même si j'avais pu le voir une centaine de fois, et puis, non, vraiment, Marty qui va voir Marty, ça avait de la gueule. Or, j'aimais ce qui avait de la gueule. Bon, le pass faisait un peu cher pour un film que je pouvais rejouer chez moi sans le script -puisque, comme dit précédemment, je connaissais toutes les répliques sur le bout des doigts et en français et en VO-, mais ce n'était pas la même chose de le voir sur écran géant, dans une ambiance cinéma sur des transats -la cerise sur le gâteau-. Alors j’avais attendu avec impatience que la soirée soit bien avancée pour aller voir avec un sourire de débile sur les lèvres ce film, LE film dont je ne m’étais pas gêné pour voler son patronyme au personnage principal. Puisse Zemeckis me le pardonner. Ou ne puisse-t-il pas, ça ne me changeait pas la vie non plus. Toujours est-il qu’aucune obligation ou responsabilité relative à ma personne ne pouvait me retenir d’aller ce soir au cinéma.
Pour cause, j’aurais vendu mes deux parents pour simplement avoir le droit de monter dans une –ou plutôt LA- DeLorean, j’aurais troqué ma sœur –si j’en avais eu une- contre un petit tour sur les skateboards du futur, et j’aurais presque donné mon stock de comics Marvel –bon, seulement ceux de l’année 1982 parce que je les trouvais un peu moins bons cette année là- pour rencontrer mes parents dans leur folle jeunesse et faire un peu capoter leur relation, seulement si la ligne temporelle était fixe quoi que l’on fasse –bien qu’il soit difficile de considérer le temps comme une simple ligne, à mon sens-, et, merde, il s’agit de concepts un peu difficiles à saisir pour les non-initiés. En fait, pour faire court, je me serais débarrassé de quantités de choses, matérielles ou non, qui étaient chères à mon cœur pour le simple plaisir de vivre quelques instants la vie que je jugeais trépidante de Marty McFly. Le fan de science-fiction qui était en moi n’avait de cesse d’accrocher sur mes lèvres un sourire réjouit, et de tirer tous mes traits du visage vers le haut, telle une élévation baudelairienne qui se rapportait, dans le cas présent, à un piteux dessinateur qui n’était jamais parvenu à grandir, content comme un gosse de collège d’aller voir au cinéma son film préféré.
Seulement, il était indéniable que la chose aurait été bien plus fun avec un pote. Non, pas de copine ou de rendez-vous galant ce soir, parce qu’il était à mon sens impossible d’intéresser un femme à de la science-fiction (encore, un garçon manqué, pourquoi pas, mais je ne sortais pas avec des garçons manqués), et que je n’avais sincèrement pas envie d’expliquer le film scène par scène (car oui, si vous avez déjà regardé un film avec un nana ayant un QI au chiffre douteux, vous saurez alors qu’il est franchement désagréable d’apprécier un chef-d’œuvre du cinéma tel Le Parrain quand on vous demande sans arrêt qui est tel personnage, la raison de la totalité de ses actions etc, or je sortais souvent avec des filles au QI douteux parce que c’est plus simple pour mentir). Bref. Une fois n’est pas coutume, je regrettais franchement l’état larvaire de Pat, qui n’était pas disponible pour m’accompagner voir un film dont je savais qu’il appréciait particulièrement et l’histoire et les personnages. Ce gros con se faisait passer pour débordé, mais je savais très bien qu’il avait décliné mon invitation parce que la séance était à vingt-trois heures trente, et qu’à cette heure-ci, il ne tenait plus debout et n’aspirait à rien d’autre qu’à dormir. Consternant. Alors oui, une compagnie masculine m’aurait été bien agréable, car c’était un film qui se dégustait plus volontiers à plusieurs, histoire de ses refaire les meilleures scènes en sortant et de débattre sur tel ou tel ou passage et sur les personnages. Avec un pote, on se serait fendu la gueule ensemble, et ça aurait été encore plus amusant –le rire est contagieux selon moi-. Mais voilà, Marty était tout seul, comme un peu trop souvent à mon goût ces derniers temps.
Il était aux alentours de vingt-trois heures quand je me pointais devant le ciné, car même si la ponctualité était très loin d’être mon point fort, je n’aurais manqué cette séance sous aucun prétexte, ce qui exigeait donc de ma part de faire quelques petits efforts pour arriver en temps et en heure, même en avance au cas où une éventuelle queue ralentirait mon accès à la salle. Quand soudain, à peine arrivé devant, je le vis. Le type. Tout seul. Bizarre. Je parle du clodo du métro. Je le voyais régulièrement entre deux stations, avec ce qui devait être un ami clodo à lui, ou je ne sais pas, je ne crois pas qu’une loi quelconque interdisait les sans-abris de s’acoquiner avec quelqu’un d’autre –fort heureusement par ailleurs-.
Et d’un côté ça me faisait de la peine. Parce que le type en question, il était tout jeune, vraiment tout jeune tout jeune, et qu’à son âge j’étais la célébrité de ma fac, j’étais le mythomane compulsif et le type qu’on voulait à toutes les soirées parce que je connaissais tout le monde, j’étais l’idiot de service qui avait fini plus d’une fois en garde à vue, j’étais trépidant, je respirais la jeunesse, et j’étais très doué. Il était inimaginable pour moi d’aller vivre dans la rue –ou dans le métro-. Je n’avais même jamais songé à la question tellement ce cas de figure ne faisait pas partie de la réalité qui avait été mienne. J’avais eu une jeunesse dorée, je pourrais même dire une jeunesse en or massif, et là, à chaque fois que je le voyais, ce gamin à la rue, j’avais une vague de compassion pour lui, et ça me rendait mal à l’aise parce que ça me ramenait d’un coup à la réalité comme une grande claque, et je me rendais compte de ma chance. Le pauvre. Il était devant un cinéma, mais il ne devait pas y aller souvent, au ciné. J’y avais passé des heures et des heures, à son âge, moi.
Ce n’était pas mon genre pour autant de faire ami-ami avec les clochards. En général, je ne donnais rien à personne, parce que de une, j’étais lâche et il est plus facile d’ignorer les problèmes, de deux parce que j’étais souvent encombré d’un gros carton à dessin et que sortir ma monnaie n’était pas des plus pratiques, de trois parce que j’étais très souvent à la bourre et que je me contentais de courir dans le métro sans prendre le temps de m’arrêter, de quatre, parce que j’avais rarement de la monnaie sur moi, le payement par carte bancaire m’étant nettement plus familier, et de cinq parce que je ne pouvais pas donner à tous les SDF que je croisais, alors donner à certains privilégiés seulement aurait signifié que j’avais un clodo favori, c’était injuste. Mais aujourd’hui, ce soir, c’était différent. J’étais seul, et ce petit gars était tellement démuni que je ne pouvais pas me résoudre à acheter une place pour mon film devant lui, comme histoire de dire t’as vu, moi j’peux me payer une place, et toi tu vas rester devant tout seul.
Alors, je l’abordais, parce que ça ne me dérangeait nullement d’aborder un inconnu, et que lui offrir une place allait peut-être lui redonner foi en l’humanité. « T’as vu, ils passent Retour vers le Futur ce soir, c’est un super film. » Tu l’as vu ? j’allais lui demander, et puis, finalement, non, il ne l’avait sûrement pas vu, parce que c’était un film pas tout récent, et que lui était tout jeune et déjà à la rue. « Je t’invite si tu veux, et puis ça a de la gueule de regarder ça sur des transats, tu crois pas ? » J’avais souri histoire de l’encourager. Dis-oui, ça me fait plaisir. Pour une fois que je n’agissait pas comme un sombre connard nombriliste, c’était champagne.
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Victor Trompette membre
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Sujet: Re: back to the cinema - théotime Mer 17 Juil - 21:55
Les gens normaux disent à leurs amis ou leur famille : je sais pas trop quoi faire, ça te dit un ciné ? Ils ouvrent leur porte-feuille, et d'un billet de dix euros, ils s'offrent deux heures de vie. Mais en fait, les gens normaux ça n'existe pas. Alors, disons, les gens qui ne sont pas à la rue.
Dans le monde de Théotime, il faut économiser un bon mois pour se payer une place de cinéma - et au final, cet argent sera récupéré par Félix qui n'arrive pas à comprendre que, le cinéma, c'est plus important que manger.
S'il n'avait pas fait de la musique, il aurait fait du cinéma. Il aurait peut-être réussi. Ou peut-être pas. Peut-être que quand les fées se sont penchées sur le berceau, elles ont convenu que ce garçon ne réussirait rien dans sa vie. La musique, le cinéma. Ondine.
Et dans leur petite chambre, il fait des listes. Sur son petit carnet personnel, la seule chose qu'il ne partage pas avec Félix. Il liste des films. Les films qu'il a vus. Les films qui l'ont touché.
Les Chansons d'Amour, Bronson, Puscher, La Belle Personne, Subway, Babel, The Ghost Writer, Effroyables Jardins, Le Péril Jeune, J'ai Tué ma Mère, Juno, Forest Gump, Little Miss Sunshine, Into the Wild, Fight Club, Batman Begins, Seven, Amélie Poulain, Eternal Sunshine of the Spotless Mind.
Et les films qu'il voudrait voir. Il y en a deux. Drive. Only God Forgives. Sous leurs noms, Théotime a recopié les critiques de Première, les Inrocks, Studio Ciné Live.
Théo n'achète pas les magazines. Mais il entre, parfois, dans les presses, et feuillette, recopie. Une ou deux fois par trimestre, le buraliste lui offre un magazine Première. Et alors, Théotime revit. Il se promène dans Paris avec son magazine, comme si il était normal, comme si il venait d'acheter quelque chose.
Pendant des jours, des jours et des jours, il dort avec, il mange avec. Il le lit et le relit jusqu'à s'en faire exploser les yeux, jusqu'à connaitre par cœur chaque titre, chaque commentaire sur chaque film, chaque interview. Ça énerve Félix et ça fait rire Ondine.
Cet homme-là. Ce buraliste. Théo a prié Dieu, "ou une quelconque force supérieure", de bien le traiter à sa mort. Un grand homme, René.
Ondine et Félix dorment. Ce soir, Time ne leur en veut pas d'avoir des bras dans lesquels dormir, et de le laisser seul, lui. Ce soir, il leur en veut pour avoir encore utilisé ses économies pour acheter un sandwich.
Il sort dans la nuit. Il a pas besoin d'essayer de pas faire de bruit, de pas les réveiller : il est si maigre. Si léger.
Mais dans la rue, il se fait des plus silencieux. Parce que le silence parisien est d'or et qu'il ne voudrait pas le déranger de son pas aérien. Il aime marcher au hasard dans les rues du Paris nocturne. Et arriver en haut de Montmartre, au bord de la Seine, au sommet d'un immeuble haussmannien.
Mais ce soir, il sait où il va. Il va là où il va, parfois, pour se faire un peu de mal, quand Félix et Ondine ne sont pas derrière ses fesses - ils désapprouvent.
Il se plante à son endroit habituel. Le caissier le salue - il connaît le Théo. Il le voit souvent. Mais il a pas la générosité de René : il lui a jamais offert une entrée. Ordure.
D'abord, il voit qu'une seule affiche : DRIVE. Il en lâche une flopée de gros mots. Ils ont décidé de remettre des vieux films à l'affiche, dont ce possible chef d’œuvre, l'objet de ses convoitises. Le monde continue de tout lui refuser. Le cinéma, l'argent, la réussite. Ondine. Toujours Ondine.
On le remarque facilement. Le Time. Avec son t-shirt blanc sale à l'envers - si seulement il avait vu The Place Beyond the Pines -, son pantalon trop grand, trop large, trop long, trop moche. (Dans un univers parallèle où il aurait un toit, une Ondine, ou peut-être l'Ondine, et des vêtements à son goût ainsi que des cheveux propres, quelques uns le remarqueraient pour sa rêverie, ils capteraient la douceur qui émanent de lui et en profiteraient.) On le remarque facilement, et on passe facilement à autre chose.
Et puis il y a cet homme, qui pourrait être son père, cet homme, ce sauveur : - T’as vu, ils passent Retour vers le Futur ce soir, c’est un super film. Il lui dit ça, normal. - Je t’invite si tu veux, et puis ça a de la gueule de regarder ça sur des transats, tu crois pas ? Il doit parler à quelqu'un d'autre. Ou alors. Il existe pas. Un fantôme de l'imagination du Time, venu apaiser ses peines et l'inviter au cinéma.
Il reste une bonne minute à hésiter. Allez, réveille-toi Théo.
- Je ... Bah, merci. Je connais pas le film mais ... mais c'pas grave, c'est bon. Merci monsieur.