Au delà de la musique assourdissante et des quelques riffs de guitare de synthèse, s'il y avait bien une chose qui attire réellement mon attention, c'est ce liquide, humidifiant soudainement mon débardeur, mauvais cliché d'une série b bidon. Je me lève soudainement de mon siège, fusillant la personne qui observait encore son verre à présent vide, les lèvres ridiculement arrondis. Elle bafouille, je râle et attrape mon propre verre, tapotant du mieux que je pouvais mon torse. Ça ne sert absolument à rien, ça empire les choses et ça me fait profondément chier. Parce que ce débardeur c'est celui que je préfère, au combien même je savais de toute façon qu'il ne risquait pas de survivre longtemps à la soirée. Je suis désolé bafouille-t-elle alors à nouveau. Pas autant que moi, je souffle agacé et tentes de m'éloigner du mieux que je le pouvais de la demoiselle, me frayant un chemin parmi le peuple. Il n'est pas vraiment étonnant de voir le 114 aussi bondé pour un vendredi soir. C'est toujours ainsi depuis que j'ai l'habitude de venir ici. On étouffe, les corps se mêlent assez facilement sans que ça soit pour autant aussi gênant et aussi vulgaire qu'en boite de nuit. C'est plus conviviale, plus chaleureux aussi sans doute. Je tâte mes poches à la recherche de mon paquet de cigarette, Avec la semaine que je venais de passer, cette soirée est la bienvenue. j'avais besoin de me détendre. Pas que que l'ambiance au boulot soit mortel, bien au contraire, je ne pourrais jamais rêver avoir un meilleur job ou rencontrer des collègues aussi top mais les 35h à avoir les yeux fixés sur un écran d'ordinateurs ont fini par m'achever définitivement. je m'approche de la sortie, gêné par la présence du verre encore à moitié plein dans ma main. Je lève alors les yeux, à la recherche de mes potes afin de les prévenir que je sors deux secondes mais à défaut des le trouver, c'est sur lui que mes yeux tombent. Winston. Je ne saurais dire si c'est une bonne chose ou non de le voir ici. Alors je plisse les yeux, ce mec là au 114, c'est un peu comme la présence d'un éléphant dans un magasin de porcelaine ouai, il y a comme un léger soucis, ce n'est pas normal. je pèse le pour et le contraire. peut qu'il ne m'a pas vu et que je pourrais rejoindre la sortie sans me faire repérer. Seulement, le malaise qu'il y a entre lui et moi depuis quelques mois déjà commence à m'agacer. Ce n'était pas comme ça avant entre nous, avant qu'il parte je ne sais trop où, avant que je fasse un peu le con, c'est vrai. Et c'est énervant, véritablement frustrant. Je m'approche, soupire et abandonne l'idée d'aller fumer, traînant presque des pieds une fois arrivé à sa hauteur. winston ? qu'est-ce que tu fais ici ? je passe ma main libre derrière ma nuque pas que ça dérange de te voir ici hein, c'est juste pas dans tes habitudes et si nous étions plus aussi proche qu'avant, je suis encore assez sur de moi pour savoir que winston n'aime pas voir autant de mondes collés à lui et encore moins être agressé par autant de bruit.

© le verdriet

« L’homme n’est peut-être pas fait pour rester seul, mais il l’est pourtant – même marié, l’homme demeure seul et abandonné sur une planète qui fonce dans le vide intersidéral à la vitesse de 29,79 kilomètres par seconde. »

La solitude à plusieurs, Beigbeder.

Éternel solitaire, tu es tranquille chez toi, avec ta musique, tes photos, tes souvenirs et ce squatteur de chat allongé de tout son long sur ton ventre. Surtout tes souvenirs. Des vieux, des plus récents, des lointains. Bon, mauvais. Et puis, il y a également un putain de sentiment de vide, de manque. Tu écrases ta cigarette – pas besoin de vous préciser ce qu’il y a d’écrit juste sous le filtre – et fermes les yeux. T’es dans l’optique de te laisser bercer par la musique en fond et les ronronnements du chat sans nom. Lui, il lui en faut peu pour être heureux. Tu feins un sourire.

Tu ne sais pas quelle heure il est. Tu n’as qu’une vague idée du monde où tu es. Non, tu n’as pas pris de drogue. Tu ne prends jamais rien de tout ça. T’es déjà assez dans ton univers, pas besoin d’en ajouter. Tu es déjà venu ici, il y a comme un paquet de temps. Dans tes souvenirs, il n’y a qu’une personne de ton « entourage » à venir ici. Enfin, lui aussi ça fait un paquet de temps que tu ne l’as pas vu, sans trop savoir pourquoi. Depuis le nouvel an, il y a comme de l’eau dans le gaz. Tu n’as pas trop compris, pour changer.

Tu grimaces. Trop de bruit. Vraiment trop. Ce n’est vraiment pas le genre d’endroit où tu aimes te rendre. Trop de personnes au mettre carré aussi. C’est bien beau de vouloir rentabiliser l’espace parce que le prix du foncier est bordèlement cher dans la capitale, mais à ton avis c’est trop. D’ailleurs, « trop » est peut-être un des termes qui te convient le plus. En attendant, tu en as fait du chemin pour te retrouver là. Ce sentiment de manque te pousse, te fait pousser des ailes mêmes.

Tu te faufiles parmi le peuple. Tu te fais bousculer. Tu fronces les sourcils, manques de faire une crise d’angoisse. Malgré la musique assourdissante, tu tentes vainement de te souvenir des exercices pour te calmer. Respire, penser à autre chose. Ça aussi, ça fait un paquet de temps que ça ne t’était pas arriver. Mais voilà que tu te mets à crever de soif maintenant. Tu t’apprêtes à aller chercher un verre avant de partir. winston ? qu’est-ce que tu fais ici ? Tu clignes des yeux. Ah bah tiens, quand on parle du loup. Camel. pas que ça dérange de te voir ici hein, c’est juste pas dans tes habitudes. Ah bah ça, tu l’as dit. Le 114, c’est limite son repère. Tu déglutis même si ta bouche commence à être sèche. Toi aussi tu te poses cette question. T’as le regard vague. Évidemment, tu n’as pas d’appareil photo sur toi – une grande première soit dit en passant. Comment lui expliquer qu’à priori c’est ton subconscient qui t’a traîné jusque ici ? Tu hausses les épaules. Aucune idée. C’est tout ce que tu es capable de lâcher. Oui, parce qu’en plus, t’es un type trop pas bavard.