Dans la vie, il y a ces choses que seul le hasard saurait guider, celles face auxquelles nous sommes impuissants et il y a les autres. Ces autres que l’on aimerait tant pouvoir en être le maître, celles que l’on voudrait contrôler malgré tout. Oui, être maître de ces choses auxquelles on n’arrive rarement à donner un nom. Comment appeler cela, d’ailleurs ? Vouloir être maître de son destin ? Peut-être. En fait, ce détail n’avait que peu d’importance aux yeux insensibles de Malo. Être ou ne pas être maître de ce dit destin, quelle était la fatalité absolue à cet instant précis ? Il avait orchestré à la note prête cette soirée. Il la voulait parfaite, ou tout du moins idyllique. Une soirée douce et idyllique. Une soirée rêveuse et agréable. C’est ainsi qu’il la voulait, c’est ainsi qu’il l’imaginait. Il avait tout préparé pour cela. Tout. Cette soirée n’aura rien de grandiose, ni de légendaire. Alexandre et ses loulous seront de la partie, tout comme Remi, Luc et Vincent. Sans oublier Lucie et ses fidèles partenaires, Coline et Julie. Marie sera sûrement là, elle aussi. Après tout, Malo sans Marie, c’est comme du dihydrogène sans son oxygène. Ca ne fonctionne pas. Tout du moins, c’est comme cela que tout le monde les voyait. Complices et inséparables. Malo et Marie. Ils étaient beaux ensemble. Et à quoi bon mettre tout cela au passé, après tout, ne le sont-ils pas toujours ? Soit. Eline sera là aussi. Evidemment, puisqu’elle fut la première invitée à cette fameuse soirée. A cette soirée qu’il avait su lui vendre. Elle était belle cette soirée dans la bouche de Malo. Elle était belle, très belle, trop belle. Peut-être bien trop belle pour être vrai ? Malo n’était pourtant pas le genre de garçon à en inventer des caisses. Surtout pour si peu, surtout pour rien. Il n’était pas ce genre de garçon.

Il venait alors de se retrouver en tête à tête avec sa première invitée. La première convive qui venait de sonner à l’entrée de son petit (ou assez grand… mais cela n’était qu’une question de point de vue) studio. Eline. C’était elle. A vrai dire, il n’était guère surpris de la voir, là, debout, face à lui sur le seuil de la porte. Elle était là. Seule. Le regard de Malo naviguait tantôt sur le visage de la jeune fille, installée sur son canapé, tantôt sur l’aiguille des minutes de son horloge murale. Un doux silence commençait à s’installer entre eux. L’un de ces silences impatients. Sûrement l’impatience que cette soirée s’entame. Oui, mais pour cela, il manquait certainement quelques détails. Comme le reste des invités, par exemple. Après avoir longuement observé la course incessante de la trotteuse qui devait certainement vouloir battre le record du cent mètre de ce cher Usain Bolt, il reporta son attention sur Eline. « Tu veux peut-être boire quelque-chose ? » souffla-t-il tout en se levant. Boire. Une idée comme une autre qui les fera certainement patienter. Le temps quelques minutes, il avait laissé ses jambes le guider jusqu’à la petite cuisine, où il parvint rapidement à hauteur du réfrigérateur. « J’ai de la bière, si tu veux… Il redressa légèrement la tête en direction de son interlocutrice. A la vue de sa petite mine, il comprit que ce n’était certainement pas cela qu’elle voulait boire. Du jus d’orange ? Ah, j’ai du coca sinon… tu préfères quoi ? ». Malo n’avait aucune idée des goûts, et des habitudes de la jeune fille qui était présente, chez-lui. Elle n’était pas non plus une inconnue, puisqu’il la connaissait… certes peu, très peu. Ou tout du moins, pas assez pour savoir si elle préférait boire un verre de soda ou de jus de fruit. Peut-être préférait-elle quelque chose de plus simple comme un verre d’eau accompagné de son sirop de fraise. Oui, parce que les filles aiment souvent la fraise. C’est un truc de fille. Il secoua doucement la tête, à l’évocation de toute cette réflexion qui n’avait pas lieu d’être. Il se résigna alors de lui apporter sa boisson demandée. « Et voilà pour mademoiselle Eline ! » souffla-t-il solennellement, en posant le verre sur la table basse. Il en profita pour s’installer aux côtés de la jeune fille, sa bière à la main. La bière, ça, c’était plus un truc de garçon. « Hum… les autres, ils ne vont pas tarder à arriver, je pense… » déclara-t-il, avant de s’interrompre. « J’espère que tu n’es pas déçue d’être venue pour le moment quand même… ». Un léger sourire se peignit petit à petit sur le visage quelque peu tendu de Malo.

Eline. Un joli prénom, une belle personne. Au fond, Eline était aux yeux de Malo qu’une étudiante en psychologie parmi tant d’autres. Des étudiantes comme elle, il y en avait des centaines dans l’université. Lors de cette soirée d’intégration, il y a de cela un an, peut-être aurait-il pu l’ignorer, passer à côté d’elle sans même déposer un regard sur elle, sans lui prêter aucune attention. Eline aurait été une jeune fille sans nom, une inconnue parmi les autres. Une fille qu’il aurait jugée de banale. Mais les aléas de cette soirée en avaient décidé autrement. Malo avait été choisi à tout hasard par la jeune fille pour être son parrain. Il serait son parrain, elle serait sa filleule. Et cette relation était restée comme telle. Aucune affinité particulière ne naquit de leur rencontre. Il n’y avait que des regards polis d’échangés, des sourires de salutation, de brefs mots, mais rien n’allait plus loin que cela. Une relation qui était restée malgré tout dans une certaine distance. Sûrement le fait que Marie guettait, un peu trop régulièrement, chaque fait et geste de Malo y était pour quelque-chose. Le fait qu’elle ne pouvait s’empêcher de le surveiller dès qu’il approchait une étudiante de sa promotion. A croire que Marie avait peu confiance en celui qui était son petit-ami, ou plutôt des attentions des jeunes filles qui l’entouraient. Ainsi, il ne savait rien. Rien d’Eline. Elle était étudiante, étudiante en psychologie. Elle avait deux années de moins que lui. Elle était en deuxième année de licence, il était en première année de master. Il ne savait rien d’elle, ou tout du moins si peu de choses. Ainsi, Eline s’était retrouvée dans le studio de Malo. Elle était la première arrivée. Sûrement la seule et l’unique invitée de la soirée, malgré ce qu’il laissait sous-entendre depuis ces longues minutes qui avaient étés meublées, fut un temps, par un lourd silence. Les invités n’allaient pas tarder à arriver, lui avait-il dit, tant dit qu’il venait de lui servir une boisson. Du Coca plus précisément. Car même ce détail, Malo ne le connaissait pas. Cette soirée lui permettrait peut-être d’en apprendre un peu plus sur Eline. Peut-être était-ce initialement le but premier de cette soirée, et surtout de cette invitation.

Les minutes avaient défilés depuis l’arrivée d’Eline dans son studio. Ils n’allaient pas tarder à arriver, la rassura-t-il alors. Il prit même la précaution de sortir son IPhone de sa poche et de le déposer sur la petite table basse, juste à côté de la canette de bière qu’il s’était ouverte. Au cas où que l’un de ses amis le prévienne de leur retard. L’importance du détail, voyez-vous. Sûrement qu’aucun de ses pairs ne le fera. Il espérait quand même recevoir un appel ou un bref message pendant ce temps… Il l’espérait. Il continua de meubler la conversation. Heureux qu’elle soit venue, lui fit-il remarquer. Il l’était sincèrement, même si cela ne se voyait pas forcément sur son visage. Après tout, il n’allait tout de même pas sauter partout pour lui montrer cette joie intérieure qui envahissait peu à peu son être. Cette joie qui se métamorphosera petit à petit en angoisse. En une éphémère angoisse. Un mince sourire se peignit sur ses lèvres lorsqu’Eline prit alors la parole, enfin. Elle n’était pas déçue d’être venue, et c’est tant mieux. Il hocha alors instinctivement la tête, toujours ce même sourire au bout des lèvres. Ce sourire qui s’effaça rapidement lorsque la jeune fille lui demanda où était Marie. Il lui lança un bref regard, avant d’attraper sa canette. Ses lèvres vinrent embrasser le rebord du contenu et il but une brève gorgée de bière. Marie. Il ne pouvait pas lui en vouloir d’avoir osé aborder ce sujet, d’avoir osé lui poser cette question. Cette délicate question en soi. Malo se releva un peu nerveux, se dirigeant alors vers la grande baie vitrée. Son regard balaya le paysage parisien qui s’offrait à lui. Un ciel étoilé, des immeubles éclairés. « Marie ne viendra pas… » souffla-t-il sèchement, en ne quittant pas ce panorama qu’il dévorait des yeux. Il ne pouvait pas faire plus simple comme question à vrai dire. Il se tourna en direction de sa convive, déposant alors son attention sur elle. « A moins qu’elle ait entendu parler de cette soirée et qu’elle ait décidé de s’inviter, mais cela… j’en doute fortement. » conclut-il. Marie n’allait pas s’inviter, ni s’incruster, il pouvait être rassuré sur ce point. Tout simplement parce que personne n’était au courant de cette soirée. Personne sauf Eline. Un frêle soupir s’échappa entre les lèvres du jeune homme. Il espérait juste que sa réponse soit assez concluante pour Eline, et qu’elle apaise sa curiosité naissante. Il pourrait aussi très bien pu lui dire qu’il avait rompu avec elle, il y a de cela deux semaines. Une rupture que Marie et lui avaient décidé de passer sous silence, tout simplement pour éviter les bruits de couloir. Il se faisait discret au sujet de son ancienne petite-amie, très discret. Malo se résigna finalement à se rasseoir sur le divan, au côté d’Eline. « Dis-moi, Eline, dit-il, en marquant alors une brève pause. Tu as un petit-ami, toi ? ». Il lui demanda cela à tout hasard. Ils n’avaient jamais parlé de leur vie privée respective, jusqu’à présent. Alors peut-être qu’avoir abordé le sujet de Marie leur permettra sûrement cela. D’évoquer leur jardin intime…