Vingt-trois heures dix-sept. T'as ingurgité une quantité assez importante de whisky-coca, de tequila, et autres alcools dont tu ne te rappelles même plus. Tu te déhanches dans le salon qui sert de piste de danse. Tu connais bien cet appartement, c'est celui de Guillaume, qui fête ses vingt ans. T'es sortie avec lui dans le passé, mais il t'a brisé le coeur. Comme tout les autres. Tu es pourtant restée en contact. Raison pour laquelle tu te retrouvais ici, à danser avec quelques amis. Il devait peut être y avoir une cinquantaine de personnes, éparpillés dans le salon, la cuisine, les chambres, et le balcon. Parmi eux, tu dois en connaître une petite quinzaine. Dont Kyhan. Tu ne sais pas ce qu'il fait ici, ni comment il peut connaître Guillaume. Et tu ne veux pas le savoir. Tu as tellement honte de votre relation. Depuis le début de la soirée, tu ne lui as pas adressé la parole. Vous vous êtes seulement échangés quelques regards. Et te dire que c'est moralement pas bien d'avoir une certaine relation -qui ne signifie rien- avec le meilleur ami de ta petite soeur fait qu'il t'attire encore plus. Bref. Tu n'as plus les idées très claires quand tu sens quelqu'un poser ses mains sur tes hanches pour les descendre jusqu'à tes fesses et finalement se coller complètement contre toi. Tu passes ton bras autour de son cou et vous commencez à danser au rythme de la musique, et alors que t'as la tête au dessus de l'épaule de l’inconnu, tu ne peux pas t'empêcher de jeter un coup d'oeil à Kyhan qui est à l'autre bout de la pièce. Au fond, tout au fond, t'aimerai qu'il soit jaloux. Qu'il veuille tout simplement être à la place de ce gars.

T’as ta bière dans la main. C’est peut être la vingtième de la journée. Et depuis que t’es levé, t’as fait que pisser comme un chien qui marque son territoire. D’ailleurs, c’est ce que tu fais, là, sur le balcon. T’as la queue à l’air, entre les barreaux, et tu te soulages dans la rue, quitte à donner une bonne douche dorée aux passants qui osent être sur ton chemin. Tu t’en branles. Au sixième étage, ils peuvent pas venir te faire chier. Tu refermes ta braguette et tu rejoins tes deux potes qui t’ont trainé ici. Tu connais même pas le gars qui fait la soirée. Du moins, tu dois l’avoir en ami sur facebook, mais tu lui as jamais adressé la parole. Et au final, tu t’en fous complètement, puisque la bière est gratuite ici. Puis d’un côté, y avait Yaëlle, et ça te faisait plaisir. Dans ta tête, tu te dis « putain, c’qu’elle est canon. », et si vous aviez pas une relation cachée, tu serais directement allé la rejoindre sur la piste. Mais tu restes à l’écart, la regarde de temps à autre en tentant de rester concentré sur la conversation qu’ont tes potes. « Hein Kyhan ? » En fait, tu sais pas faire deux choses à la fois. Et en restant figé sur le spectacle qui s’offre à toi – soit, un mec qui a les mains sur les fesses de Yaëlle et elle qui semble apprécier – t’as même pas capté qu’on t’avait posé une question. « Il s’passe quoi ? J’suis def ! » « Tu regardais quoi ? » « J’écoutais la musique, c’est pourrave ! Attends, j’vais changer ! » Tu te lèves. Ca tourne. T’avances dans le salon, tu passes à côté d’elle, t’effleures son bras, discrètement. Pourquoi tu t’es levé déjà ? Tu sais plus, mais tu captes que ta bière est vide, et que t’as soif. Tu choppes le premier verre que tu trouves, sans savoir à qui il appartient. Et c’est après deux gorgées que tu captes que le verre est rempli de jus d’orange … pur. Tu recraches tout. Qui peut bien boire un truc aussi soft à une soirée ? Tu choppes un autre verre, et en levant la tête, tu vois la connerie que t’as fait : le mec qui dansait avec Yaelle se retrouve avec le dos arrosé de jus mélangé à ta bave. Oups.

Tu ne sais pas trop pourquoi tu fais ça, tu te contentes de bouger ton corps contre le sien. La musique t’entraîne. L’alcool t’emporte. Dans ta tête, c’est un ramassis de pensées qui n’ont aucun sens, et aucun lien. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a une chose qui t’obsède. Kyhan. Et ses lèvres. Et lui tout entier, en fait. Et c'est assez désappointant. Tu te détestes d'avoir cette attirance pour lui. Si Anaëlle savait, elle aurait sûrement honte de sa grande soeur. Mais là, l'effet de l'alcool t'empêche de penser ça. De penser que tout ceci est plus ou moins mal, plus ou moins interdit. Il passe, son bras te frôle. De légers frissons te traversent et tu baisses le regard. Tes doigts se referment doucement sur la paume de ta main. Un léger sourire se dessine sur tes lèvres. Putain Azénor, c'est pas cool ce que tu ressens là. Tu continues pourtant de danser comme si de rien était. Jusqu’à ce que l'homme qui te tenait contre lui te lâche d'un seul coup, sans prévenir, en lâchant un juron. Au début tu ne comprends pas trop. Puis il se retourne et tu peux voir que son dos est trempé. Et vu la tête que tire Kyhan, t'assimiles vite qu'il n'est sûrement pas innocent dans cette histoire. « Tu peux pas faire attention, connard ? » lâche l'inconnu de façon plutôt agressive. En temps normale, ta réaction aurait été d'avoir un peu peur, et de vite partir loin de l’altercation. Mais là, la seule chose que tu fais, c'est de rire. Oui, un éclat de rire sors de tes lèvres. Tu ne sais pas trop pourquoi tu ris. Peut être à cause de la situation assez embarrassante, ou peut être parce que cet obsédé n'a eu que ce qu'il méritait. « Oh ça va, ce n'est qu'un peu de pisse. » As-tu vraiment dis ça, Yaëlle Chamblas ? Oh que oui, tu l'as vraiment dit. Ce n'est pas de ta faute si ce liquide qui prend une teinte jaune sur son t-shirt blanc de fait penser à de la pisse. Ton regard bleu se pose alors sûr Kyhan. « Et toi, tu peux pas garder ta bite dans ton pantalon ? C'est plus fort que toi, il faut toujours que tu la sortes à la moindre occasion ? » T'as pris un ton ironique, et tu souris. Toi, ne plus contrôler ce que tu dis ? N'importe quoi. Complètement faux.

Tu passes ta main dans tes cheveux. Mais dans quoi tu t’es fourré encore ? Il a fallu que tu choppes le mauvais verre au lieu de te prendre une bière pleine, et maintenant, tu t’es fait un ennemi dans une soirée où tu connais pas grand monde. Là, t’as fait fort. Et pour le coup, tu sais pas quoi lui dire au gars. Parce que t’as clairement envie d’exploser de rire, mais tu te retiens. T’as aussi envie de lui dire que c’est bien fait pour sa gueule, que Yaëlle, c’est pas un bout de viande à qui tu te colles en soirée parce qu’elle est bourrée. Mais pourquoi elle est bourrée elle aussi ? « Tu peux pas faire attention, connard ? » Clairement, lui, il a pas envie de rigoler. Sa mâchoire est serrée, son poing fermé. Tu t’imagines déjà avec un œil au beurre noir, et tu fermes les yeux en serrant les dents, attendant le coup. « Oh ça va, ce n'est qu'un peu de pisse. » T’ouvres un œil, puis deux. Yaëlle est morte de rire, et clairement, tu t’attendais pas à ce qu’un truc comme ça sorte de sa bouche. T’esquisses un sourire, tu retiens un rire. Le mec, lui, il a l’air énervé, et il l’insulte, te pousse, et se barre. Spectacle fini. « Et toi, tu peux pas garder ta bite dans ton pantalon ? C'est plus fort que toi, il faut toujours que tu la sortes à la moindre occasion ? » En fait, non. Yaëlle est bien décidée à te planter un scandale devant tout le monde. Et là, tu te demandes quand est-ce que t’as sorti ta bite. Ou si à ce moment précis, elle est dehors. Donc tu baisses la tête, rien. Tu vérifies si ta braguette est fermée. C’est bon. Tu la regardes, les sourcils arqués. « Hey mais mon bout métallique, il est bien rangé là ! Tu veux du jus d’orange ? » Tu reprends le verre que t’avais laissé et tu lui tends. « Pourquoi tu t’énerves contre moi là, j’t’ai fait quoi ? »

Pourquoi tu te retrouves dans cette situation ? Tu ne sais pas. En tout cas tu comprends vite que ce mec là, ce n'est pas un tendre. Tu remarques que Kyhan a fermé les yeux. Peut être qu'il prie. Il a bien raison, tiens. Parce que s'il provoquait l'arrosé, c'était certain que sa belle bouille se retrouverait amochée. Pourtant, tu lâches une phrase dans l'espoir de détendre l'atmosphère, tout riant à gorge déployée. Il n'apprécie pas, t'insultes, se casse. « TU VIENS DE PASSER A COTÉ DU MEILLEUR COUP DE TA VIE, BOUFFON ! » cries-tu. On te regarde, tu rougis, puis finalement les invités reprennent leurs activités. Tu tournes la tête vers Kyhan, et tu l'engueules un peu sans vraiment comprendre ce que tu dis. « Hey mais mon bout métallique, il est bien rangé là ! Tu veux du jus d’orange ? » Tu baisses les yeux sur sa braguette. Rien n'est sorti, certes. Mais il l'a peut être rangé discrètement pendant que tu avais le dos tourné. T'es tellement à l'ouest qu'il aurait pu faire le tour de l'appart en courant et revenir au point de départ sans que tu ne remarques rien. « Ce tour de passe-passe ne marche pas avec moi ! » Tu attrapes le verre qu'il te tend, tes doigts frôlent les siens, puis tu poses les yeux sur le breuvage. Peut être qu'il y a foutu une drogue quelconque. « Pourquoi tu t’énerves contre moi là, j’t’ai fait quoi ? » Une pulsion t'incites à balancer le contenu sur la tête du meilleur ami de ta soeur. Tu t’exécutes. Alors que sa petite bouille est trempée, tu t'approches de lui et tu poses ta main sur son torse pour le pousser en arrière. Malheureusement, tu n'as pas la moindre force face à lui. Il doit à peine sentir une petite pression sur son torse. Pauvre petite chose toute frêle que tu es. « Tu peux pas t'empêcher de faire chier toutes les personnes qui sont autour de toi. Je me trompe ? » Bien sûr que tu ne te trompes pas. Tu n'as pas haussé la voix cette fois ci, tu ne veux pas créer une sorte de scandale. Tu te contentes de le fixer, attendant qu'il daigne dire quelque chose pour sa défense.

T’es trempé. Pour l’instant, tu réalises pas ce qu’il vient de se passer. Tu sais juste que t’as les cheveux trempés, le t-shirt qui a perdu sa teinte blanche, la peau humide. Tu bouges pas, tu laisses le liquide dégouliner. D’un côté, ça t’a un peu fait décuver, ça. Une bonne douche froide au jus d’orange. Sans regarder, tu commences à tâtonner la table à la recherche de quelque chose pour t’essuyer. Tu fais tomber quelques verres au passage, mais tu t’en fous. T’as juste envie de te sécher, parce que c’est dégueulasse. Tu trouves un tissu. Tu t’essuies le visage, avant de capter que c’est l’écharpe de quelqu’un qui est à la soirée. Tu hausses les épaules, tu t’en branles. Tu finis de virer tout le liquide, et tu relèves la tête vers Yaëlle. Là, t’as plus l’air décontracté. « J’lui ai pas pissé dessus, j’ai pas fait exprès d’lui cracher dans le dos. Mais merci d’avoir niqué mon t-shirt, j’l’avais fini cet aprem, celui-là. » Tu cherches des yeux ta veste, t’en as marre là. T’es plus du tout dans l’ambiance soirée, t’as envie de rentrer. Tu la repères, la prends et l’enfiles. Dans ta tête, la soirée est finie. Néanmoins, tu choppes une bière sur la table, pour la route. Parce qu’il faut bien quelque chose à faire pendant que tu marches jusqu’à chez toi, vu que t’es pas dans l’état de prendre la moto. Et puis, ça allait te détendre. Tu vas pour partir, mais finalement, tu te retournes et t’approches à nouveau d’elle. « Oh et, désolé d’avoir cassé ton coup, j’suis sûr que tu peux encore le rattraper, il avait l’air de bien aimer ton cul. Sinon, vu que t’as passé toute la soirée à te faire passer pour une chienne, j’suis sûr que tu trouveras vite un remplaçant. » T’as vraiment les nerfs. T’aimes pas la voir bourrée et vulnérable. Dans ta tête, n’importe quel mec va profiter de son état pour faire n’importe quoi d’elle, et ça te saoule, parce qu’elle mérite pas ça. Elle mérite mieux. Donc là, t’as juste envie de la faire réagir. « Tu vois, c’est pas cette nana-là qui m’a donné envie de te faire des avances la première fois ! », dis-tu à voix basse. Puis, tu tournes les talents et te diriges vers la sortie.

Ses paroles ont l’effet d’un coup de couteau planté net dans ton cœur. Tu ne t’y attendais vraiment pas. Et ça fait mal, si mal. Plus mal que tu ne l’aurais cru. Ça te fait également redescendre sur terre. Tu te sens plutôt ridicule. Et pathétique, aussi. Tu as toujours été une personne fragile, qui prends tout trop à cœur. Tu es si facile à blesser, à détruire. Tu dois bien être la seule personne de ta famille à ne pas pouvoir encaisser les insultes. C’est comme ça, tu n’es pas assez forte. Il faut croire que tu n’as pas assez de caractère pour être une personne en colère, la seule émotion négative que tu peux ressentir, c’est de la tristesse. Rien que de la tristesse. Ce que tu Kyhan te dit de blesse vraiment beaucoup. Tu en aurais les larmes aux yeux si tu ne te mordais pas la lèvre inférieure afin de te retenir. Ce qui te plaisait chez lui, c’était qu’il avait l’air différent. Spécial. Mais il venait de te prouver qu’il pouvait lui aussi te faire du mal. Comme tous les autres. Même s’il ne s’en rendait pas forcément compte. Ton frère a beau te dire que tu ne dois pas faire attention à tout ça, que tu ne dois pas porter d’importance à ce que dise ou pense les autres, que tu dois rester digne. Fière. Mais c’est plus fort que toi. Ça te touche plus que ça ne devrait. Tu décides de suivre Kyhan, alors que ce dernier ce dirige vers la sortie. Une fois dans le couloir, tu te mets devant lui afin qu'il s'arrête. « T'as pas le droit de dire ça, t'as pas le droit de ... » tu ne finis pas ta phrase, tu le regardes. « Est-ce que tu te rends compte à quel point ça fait mal, ce que tu viens de dire ? A quel point c'est blessant ? Ce gars-là, il ne m'intéressait pas, j'avais pas l'intention de faire quoi que ce soit avec lui. Mais tu ne me connais même pas assez pour savoir que les coups d'un soir et toutes ces conneries, ce n'est pas mon genre. » Tu hausses les épaules, et tu reprends. « Et oui, je te le confirme Kyhan, il aimait mon cul. Tout le monde aime mon cul. Et rien d'autre. Tu sais pourquoi ? Parce que vous, les "hommes" (tu insistes en faisant des guillemets avec tes doigts.) -car certains méritent plus d'être qualifié d'animaux que d'hommes- vous êtes tous incapable de vous intéresser à autres chose qu'à l'apparence. » Tu as parlé avec un calme incroyable, montrant bien que tu es plus triste qu'autre chose. Tu t'apprêtes à continuer sur ta lancée, mais tu te rétractes. Tu dis d'une voix plus basse : « Pourquoi je te dis tout ça .. ? T'en as rien à faire. » Tu secoues doucement la tête, te rendant compte que tu es sûrement ridicule, mais surtout complètement désespérée par le fait que tu seras toujours déçue par le sexe opposé. « Aurevoir Kyhan. » dis-tu finalement en te redirigeant vers le salon.

Tu la regardes se tourner et partir. Tu détestes la voir mal. T’aimes son sourire. T’aimes quand elle est rayonnante, quand elle a la joie de vivre, quand elle s’amuse. T’aimes l’entendre rire. La faire rire. La faire sourire. En fait, t’aimes que ça soit toi qui la rend heureuse. Tu sais pas pourquoi, mais t’en ressens ce besoin. T’as ce besoin de la protéger. T’as ce besoin qu’elle se sente bien. T’as ce besoin d’en être la raison. Et maintenant qu’elle t’a dit ce qu’elle ressent à ce moment précis, tu te sens mal. Ca te fait chier de l’avoir blessé. Si bien que tu la rattrapes par le bras. Tu sais pas ce que tu fais. T’es dans le couloir, y a des gens pas loin, mais la seule chose à laquelle tu penses pour l’instant, c’est que tu l’as blessé. Que tes mots l’ont atteint. Qu’à présent, elle te voit comme n’importe quel mec. Que t’es plus son espoir. Tu sens ton cœur se serrer. Et elle a ce regard posé sur toi. Ce regard qui te fait baisser les yeux. Parce que tu te sens comme le pire des abrutis. T’as envie de te taper la tête contre les murs, de sauter par la fenêtre, et d’atterrir sur le grillage d’en bas histoire de bien t’achever en t’empalant. Et là, tu te rends compte que tes mots ont peut être dépassé ta pensée. Tu sais très bien que c’est pas son style. Tu sais très bien qu’elle se jette pas sur le premier mec venu, surtout sur le gros pervers qui va se frotter à elle comme un chien en rut. Mais t’y peux rien si ça t’a foutu les nerfs. T’y peux rien si t’as été jaloux. T’aurais tout donné pour être à la place de ce gars, pour danser avec elle normalement au milieu des regards, sans qu’elle ait honte de toi. C’est ça qui t’attristes le plus en fait. Qu’elle n’assume pas d’entretenir une relation – quelle qu’elle soit – avec toi, le meilleur ami de sa petite sœur, qui n’a qu’une année de moins qu’elle. Et c’est à ce moment-là que te reviennes les souvenirs du Nouvel An. De toi et d’elle sous la pluie. De ce baiser si passionné et tendre. Si vrai. Tu chasses ces pensées de ta tête, puisqu’à l’heure actuelle, vous en êtes à des années lumières. Et tu te rends compte que ça fait plusieurs secondes que t’as le regard dans le vide, ta main serrant doucement son bras pour ne pas qu’elle t’échappe. Tu retiens tes pulsions, même si t’as envie de l’embrasser. A la place, t’ouvres la porte de l’appartement et entraines Yaëlle dans le couloir de l’immeuble. Là, il n’y a personne. Tu poses tes yeux sur les siens, et calmement, tu lui demandes : « Pourquoi tu fais ça ? Et pourquoi tu t’es mise dans cet état ce soir ? » Ta main n’a toujours pas quitté sa peau, elle a juste rejoint la sienne.

Sans que tu ne t’y attendes vraiment, il te retient en t’attrapant par le bras. Et tu ne te dégages pas de son emprise. T’es traversée par un trop-plein d’émotions, passant de la déception au regret, ou encore par la tristesse. Après quelques secondes de silence, il t’entraîne hors de l’appartement, loin des regards indiscrets. « Pourquoi tu fais ça ? Et pourquoi tu t’es mise dans cet état ce soir ? » Bien sûr, il ne s’excuse pas. Ça aurait été trop beau. Il prend ta main dans la sienne, et sans savoir pourquoi, tu ne le repousses pas. Tout simplement parce que tu aimes le contact de sa peau, qu’elle te fait te sentir plus ou moins bien. Puis tu lui réponds calmement. « Mon problème c’est que je me suis amourachée d’un crétin qui me prend pour une chienne. Et qui plus est, c’est le meilleur ami de ma petite sœur.» Ça ne change pas de d’habitude. C’est toujours la même histoire pour toi, de toute manière. « Je résume plutôt bien la situation, non ? » Tu ne te rends même pas compte que tu viens d’avouer ouvertement que t’étais peut-être un peu trop attaché à lui. Beaucoup trop, même. Mais peu importe, toi la seule chose que t’as retenu, c’est le mot « chienne » et toutes ses paroles qui t’ont vraiment blessé. Que quelqu’un d’autre t’ait dit ça, limite tu en aurais eu rien à faire. Mais là, c’est lui qui pense ça de toi. Et c’est bien ça qui le pire. C’est bien ça qui te rends triste. Parce que tu le croyais différent, et t’aurais jamais cru qu’il te dirait quelque chose comme ça un jour. Il faut croire que tu t’es trompée sur son cas, comme sûr le cas de beaucoup d’autres hommes. Ton regard n’a pas quitté le sien. Tu secoues doucement la tête de droite à gauche. « T’es bien placé pour dire ça, toi… Entre nous deux, c’est bien toi qui bois et fumes plus de conneries. » te contentes-tu de dire pour répondre à sa deuxième question. Certes, ce n’est pas un argument valable. Toi, t’es pas du genre à boire beaucoup, et puis tu fumes pas du tout. Et tout le monde le sait. T’as pas besoin de ce genre de truc pour t’amuser. Et en plus, c'est blindé de calories tout ça. « Peut-être qu’il vaut mieux qu’on s’arrête là tous les deux. » finis-tu par murmurer en baissant les yeux. Ta main n’a pourtant pas quitté la sienne. Tu ne penses pas un seul mot de ce que tu viens de dire, tu ne veux pas que ça arrive. Mais au final, tu te dis que c’est probablement la meilleure chose à faire.

T’as quand même les nerfs. Par rapport à son attitude. Par rapport à la tienne, aussi. T’as pété un plomb à cause d’un t-shirt et d’un mec que jamais, elle se ferait. T’es jaloux alors que t’as aucune raison de l’être, en fait. Vous êtes pas ensemble. Y a aucune exclusivité qui a été décidée et toi-même, ça t’est arrivé d’aller voir quelqu’un d’autre. Alors pourquoi t’as pété un plomb comme ça ? Tout ce que tu sais, c’est que t’es planté là, face à elle, vos mains s’entrelaçant, dans un silence des plus profonds. T’as la tête ailleurs, et tu finis par sortir de tes pensées pour lui demander pourquoi elle avait agi comme ça, ce soir. Et voilà qu’elle se met à parler de sentiments. Ton cœur manque un battement. Est-ce que tu dois te réjouir ? Est-ce que tu dois flipper ? Tu sais pas. Maintenant, t’as les mains moites, tu deviens nerveux, et tu sais pas quoi dire. Quoi faire. T’as envie de lui donner raison. Parce qu’au final, elle a vraiment bien résumé la situation, et comme elle l’a précisé, elle est loin d’être commode. Non pas que tu la prends pour une chienne, mais que t’as pas aimé son attitude. Et que ouais, t’es le meilleur pote de sa petite sœur. Et là, t’as les boules. Elle te voit comme un gamin. Un gamin qui traine avec sa sœur mineure et qui est toujours assis sur les bancs du lycée. Tu baisses le regard. Si tout à l’heure, t’avais envie de lui répondre, là, t’as juste envie de la fermer. Tu te rends compte que t’es une merde à côté d’elle. Que tu vaux rien. T’es qu’un pauvre abruti qui arrive même pas à avoir son bac, qui sait pas quoi faire de sa vie et qui finira sa vie sur un trottoir à demander un peu d’argent – non pas pour manger, mais pour s’acheter des bières. Et c’est là qu’elle lâche la bombe. « Peut-être qu’il vaut mieux qu’on s’arrête là tous les deux. » T’as encore plus envie de te jeter, t’as vraiment l’impression d’être la pire merde de tout Paris. Ta main se détache de la sienne, tu continues à fixer le sol. T’oses même pas affronter son regard, t’as trop honte. T’as l’impression d’avoir rien fait pour qu’elle ait de l’estime pour toi. Tu te sens tellement inférieur. Tu murmures un simple « Ouais, t’as raison. Désolé du dérangement. » Pour le coup, t’es bien heureux d’avoir pris ta veste tout à l’heure. Au moins, t’as pas à endurer tout ça plus longtemps. T’as juste à te retourner, à descendre les escaliers un à un. T’arrives au palier d’en dessous. T’as envie de te retourner, de voir si elle est toujours là, si elle est dégoutée. Mais t’as pas envie d’être encore plus déçu, donc tu continues tout simplement ta route, ta bière à la main. Il est temps de l’ouvrir et de la boire cul sec, parce que là, t’en as besoin.