Cassandre m’avait donné rendez-vous au café des phares, et cette invitation m’avait mise la puce à l’oreille. Du coup, j’ai appelé ma cousine Camille et vous savez quoi ? Elle aussi était convoquée au même endroit et à la même heure par mon grand frère. Surpriiiise ! Enfin pas tant que ça, je me doutais bien qu’il y aurait des retours par rapport à ce que Camille et moi avions comploté. Je suis prête à prendre la responsabilité de tout ça, c’est moi qui en ai eu l’idée, ma cousine n’a fait que m’aider dans mon entreprise de donner un petit coup de pouce à mon frère.

Mais attendez que je reprenne tout depuis le début pour vous expliquer. Il y a quelques temps, Cassandre m’avait annoncé qu’il avait l’intention de faire voeu de célibat. Pour moi, ça ne pouvait être qu’une blague, il n’allait quand même pas faire ça, c’était ridicule ! Mais non, il ne plaisantait pas, au contraire il était très sérieux. Comprenant ça, je l’ai donc prévenu que je ne pourrais pas rester sans réagir et que je ne serais pas responsable des mesures que je prendrais. A ce moment là, je ne savais pas encore ce que j’allais faire, mais je n’avais pas du tout l’intention de rester les bras croisés à le regarder s’enfoncer dans la solitude.

Et puis j’ai eu une idée lumineuse en lisant une lettre d’un des lecteurs de la rubrique dont je m’occupe au journal et qui se demandait si participer à un speed dating était ou non une bonne solution pour sortir de son célibat. Et comment que c’était une bonne idée ! En plus, en faisant des recherches, j’ai vu que ce genre de chose existait aussi pour les gens qui aiment le même sexe. Ni une ni deux, j’ai appelé Camille, ma complice dans le crime ! Sa réaction ne s’est pas fait attendre, l’idée était excellente et elle voulait en être. Alors toutes les deux, on a fomenté notre plan, cherché l’agence idéale, celle qui semblait la plus sérieuse et qui avait les meilleurs retours, et on a inscrit Cass sans lui dire quoique ce soit.

Alors nul doute, si mon frère voulait nous voir aujourd’hui, c’était sûrement pour ça. Je me doutais bien qu’il saurait dès le début que j’étais à l’origine de tout ça, mais j’étais par contre plus surprise qu’il ait pensé à notre cousine. Quoique... Il connait notre complicité quand on y réfléchit bien. En tout cas, j’étais bien impatiente d’entendre ce qu’il avait à dire. Aucun doute, il allait me faire son caca nerveux, me sortir un laïus soigneusement préparé où il me ferait part de sa consternation. Je l’entendais déjà d’ici, et je crois que nous ne serons pas trop de deux pour le convaincre d’arrêter de râler et de tenter sa chance avant de nous lapider !

En tout cas, j’étais psychologiquement prête à assumer tout ça de bout en bout, et quand je suis arrivée au café, Camille y était déjà. Sans doute qu’elle venait d’arriver puisqu’elle était en train de s’installer à table. Je la rejoignais bien vite pour lui faire la bise et m’installer à mon tour. Après avoir commandé un jus d’orange, je me frottais les mains avec un grand sourire.


S’il est au courant, c’est parce que l’agence a appelé, on doit absolument le convaincre d’y aller !


Oui parce que mon aîné pouvait vraiment être buté borné quand il le voulait. Le problème pour lui, c’est que je l’étais encore plus. Il le savait très bien d’ailleurs, et là ce n’est pas une tête de mule qu’il aurait sur le dos, mais deux puisque Camille était dans le coup. Il n’était pas sorti de l’auberge le pauvre ! Et en parlant de lui, le voilà qui débarque. A sa façon de dire bonjour, je me rends compte qu’il concentre son boudin sur moi et si je n’en montre rien, intérieurement ça me fait bien sourire ! Histoire d’enfoncer le clou, je la joue innocence incarnée.


Quoi... T’avais pas juste envie de voir ta petite soeur et ta cousine préférée ?


Pour ne pas pouffer de rire, je me concentrais sur mon jus d’orange dont je buvais une gorgée pendant que mon frère était concentré sur sa tasse. Je jetais un coup d’oeil complice à Camille, assorti d’un clin d’oeil discret, avant de reporter mon attention sur mon frère. Joueuse jusqu’au bout, j’attendais qu’il se décide à aller un peu plus loin, sans lui donner matière. Innocence incarnée je vous dis !


Aaaaah ! Caaaa ?!



Alors que mon frère gardait tout son sérieux, moi je la jouais théâtrale. C’était mon petit côté canaille, mais ça ne m’empêchait pas d’être sérieuse moi aussi quand il le fallait. Je levais les yeux devant la dimension dramatique qu’il donnait à la chose. Pourquoi je lui ai fait ça... Encore un peu et on va parler de haute trahison ! Ah la la... Frérot, franchement, faut relativiser parce que là c’est n’importe quoi !


Jouer l’arbitre ? Cass... Si tu comptais organiser un match de boxe entre nous il fallait me prévenir, je n’ai pas pris mes gants !


C’est dingue ça. Vous voyez ? Je vous l’avais dit qu’il allait dramatiser ! Je le savais, bien évidemment, et ce n’était pas ça qui allait m’arrêter dans mon entreprise. Un jour il me remerciera, j’en suis certaine ! Quand il aura un Apollon avec un cul d’enfer et une gueule d’ange à son bras, je pourrai jouer ma fière et lui dire enfin «Je te l’avais dit !». Oui, j’adore avoir raison...Et puis c’est pour lui que je fais ça, parce qu’il n’était pas fait pour un éternel célibat et que ce n’était pas parce qu’il n’était pas tombé sur des mecs qui lui convenaient que ça allait continuer comme ça ad vitam aeternam.


Arrête de me regarder comme si j’avais percé les pneus de ta moto ! Je ne vois vraiment pas pourquoi tu montes sur tes grands chevaux, après tout qu’est-ce que tu risques ? Y’a des tas de gens bien qui sont seuls et qui ne demandent qu’à vivre une belle histoire, tu n’es pas un cas unique ! Dans tous ces messieurs célibataires qui vont être là il y en aura peut être un autre qui a une petite soeur adorable qui veut son bonheur et qui est prête à se battre contre lui pour qu’il le trouve... T’es pas d’accord Camille ?

Obéissante, je le suis quand ça m’arrange. Mais là, je trouvais carrément inimaginable l’idée de voir mon frère seul le restant de ses jours. Quand on tombe de cheval, c’est bien connu, il faut remonter dessus de suite, et je connaissais assez Cassandre pour savoir qu’en bout de course, il serait de toute façon malheureux dans un célibat prolongé. Le truc, c’est que pour l’instant il n’est pas en état de réagir... Et s’il laisse trainer les choses, il va se complaire dans son état et ça, ça ne va pas du tout ! J’assume parfaitement mon côté entremetteur et metteuse de pieds dans le plat quand il y a urgence, et je ne dois certainement pas être un cas spécial puisque Camille avait trouvé mon idée assez bonne pour participer !

Pour l’instant, Cass’ n’est pas vraiment réceptif. Il me fait son regard de grand frère pas content que je connais si bien, mais il sait parfaitement que ce n’est pas ça qui va me démonter. Au contraire, dans ces cas là j’ai tendance à le faire mousser un peu, et je sais que je réussis toujours à le faire sourire en fin de compte, même s’il m’en veut encore, même si ça dure une seconde et qu’il reprend immédiatement son air contrarié. Essayer de lui faire relativiser mon geste était peine perdue, pourtant j’avançais quand même mes arguments, parce que je savais que s’ils ne faisaient pas mouche tout de suite, il y avait des chances pour que mon frère y repense et finisse par repenser la situation avec un oeil neuf. Je ne dénonçais pourtant pas Camille. Notre cousine était de mèche avec moi, mais Cassandre était de toute évidence que j’étais la méchante de la bande et qu’elle était innocente comme l’enfant qui vient de naître. S’il savait ! Libre à elle de le lui avouer ou pas, j’assume parfaitement et je n’ai pas besoin de sa confession pour me sentir moins seule. En fait, je suis très à l’aise dans la situation et pendant que mon frérot l’interroge, je regarde notre cousine avec un petit air amusé.

Il faut dire que la tête de mon frère quand il se rend compte que Camille se range à mon avis est assez savoureuse. Voilà qu’il se renfrogne, visiblement contrarié de se retrouver sans soutien et face à deux tornades blondes qu’il connaît assez pour les savoir plutôt butées. Oui, d’accord... Moi surtout, j’avoue. D’ailleurs il n’est pas dupe et s’il continue d’être bien cool avec notre cousine, je n’ai pas la chance d’avoir droit à ses faveurs ! Vilain garçon qui menace sa soeur de lui en vouloir jusqu’à la fin des temps... Tsss...


Moi aussi je t’aime !


Allez, hop, je lui fais un gros smack sur la joue. Je sais bien que je suis casse bonbons parfois, j’ai un caractère assez protecteur et quand je sens que je dois passer en force pour faire du bien à quelqu’un que j’aime, je n’hésite jamais. Forcément, ça ne passe pas toujours bien. Mais bon, il faut ce qu’il faut !


Roooh allez ! C’est pas si terrible quand même ! On ne te demande pas d’avoir un rancard direct non plus, au pire tu peux te faire un pote ! Tu vas discuter avec des célibataires, sur ton petit papier tu indiques juste si le courant est passé ou pas, si tu veux continuer la conversation ou pas, et si l’autre a aussi indiqué qu’il veut te revoir vous pouvez prendre un verre ensemble pour continuer à discuter. C’est pas la croisière des célibataires où tu te retrouves piégé au milieu de l’océan avec les boulets du mois ! Si tu trouves personne de sympathique, tu repars comme t’es arrivé et c’est tout.


J’avais mon petit air convaincu et pour cause : c’est vrai que je trouvais qu’il n’avait vraiment rien à perdre. Mon frère est très beau garçon, il est intelligent, hyper sympa, généreux... Je refuse de croire qu’il n’y a pas sur cette terre un homme assez futé pour se rendre compte que c’est une perle qu’il ne faut pas laisser filer.


Vas-y jeter un oeil pour voir comment ça se passe avant de me détester pour de bon et de commander une poupée vaudou à mon effigie ! Teuplé ?


Et la je fais ma petite moue de petite fille assortie à mes yeux chat potté, histoire de le prendre par les sentiments...