La valeur de l'argent.

« Avec un billet de cent euros, on peut se rendre loin, ma belle. Loin loin. Mais nous n'avons pas besoin d'aller si loin. » disait mon père. C'était sa manière à lui pour me faire comprendre que dans la famille Hartani, nous n'avions pas besoin de tant d'argent que ça. À cet âge-là, je ne ressentais pas le besoin d'avoir tant d'argent parce que je ne savais pas ce que ça apportait. Oui, on pouvait aller loin avec un billet, mais ça voulait dire quoi ? Loin, loin ? Traverser l'atlantique et se rendre au Nouveau-Brunswick ? Je ne comprenais pas, à ce moment-là. Et il faut dire qu'à la petite école, on portait tous les mêmes vêtements ringards puis on trouvait ça joli. Quand on est jeune, on ne sait rien. Quand le lycée à commencé, c'est à ce moment que j'ai compris qu'est-ce que mon père voulait dire par « on peut se rendre loin avec de l'argent. » Il ne parlait pas de distance en kilomètres, ni même en pouces... C'était un façon de dire qu'avec de l'argent, on peut avoir bien plus qu'une personne plus paumée. On peut avoir les cartables sophistiqué, les souliers de la marque la plus réputée, les bijoux les plus splendides, les vêtements les plus magnifiques. Bref, avec un billet de cent euros, on peut se rendre dans n'importe quelles boutiques et en sortir avec un joli morceau qui nous rendra encore plus belle et plus imposante. Seulement, moi je n'avais rien de cela. Mes parents —gens assez pauvre de Casablanca— n'avaient pas les moyens de me payer tous mes petits caprices. Je pris donc la décision de devenir, un jour ou l'autre, une femme indépendante, avoir une bonne situation financière et une carrière brillante. Je voulais, déjà à ce jeune âge, que les gens puisses m'aimer pour ce que j'avais l'air, mais aussi parce que je le méritais.

Les rêves ont des prix.

Ayant prise conscience de ce que je voulais faire de ma vie —être bien financièrement, professionnellement et esthétiquement—, je commença à faire un travail sur moi-même. À 16 ans, alors qu'on a tous la pression de réussir nos études, d'avoir le parfait petit-copain et les amies solidaires, moi je me concentrais plutôt sur mon allure. À cet âge-là, j'avais mes formes de femmes ; hanches, seins, ventre ferme... Je n'avais rien pour me déplaire, mais même si dame nature m'avait bien aidé, il restait que je devais trouver le moyen de me mettre en valeur. Les coupes de cheveux de Tati Hartani étaient sublime quand j'avais dix ans, mais à mon âge, on a envie de changer de style. Je me trouva donc un petit boulot pas trop bien payé, mais qui pouvait me permettre de m'acheter des fringues comme celles des filles de riche. J'étais fière. Je me trouvais de plus en plus belle et j'adorais la jeune femme que je devenais. La seule chose qui me manquait, c'était d'avoir un homme à mes côtés. Un homme. Quand on a seize ans, on rêve du prince charmant et, on sait toutes que pour avoir le bon prince charmant, il faut qu'il soit plus âgé. L'âge apporte un savoir-faire et tout-le-monde-le-sait. Alors que je travaillais dans se minable restaurant près de la tour Eiffel... *parce que oui, depuis que j'avais 12 ans, mes parents ont décidé d'emménager à Paris. Je n'ai pas cru bon de le dire avant puisque... je ne trouvais pas cela utile, comme fait. Ça m'a juste fait perdre des petites copines stupides et imbues d'elles-mêmes...* Bon, j'en étais où ? Ah oui, la tour... Je travaillais, ce soir-là, et un homme d'environ une quarantaine d'années était venu me parler. Il sembla charmant, délicat et souriant. Il m'offrit de me conduire à la maison après mon chiffre au resto. J'avais acceptée, mais j'étais un peu douteuse. Dans sa voiture, le même soir, il m'avait fait par de sa situation... Je m'en souviens comme si c'était hier. *et dire que ça fait huit ans...* Il s'appelait Damien. Damien Favre. Il était homme célibataire et cherchait de la compagnie. Rien de sexuel. Juste quelqu'un a qui parlé. On a passé un bon moment dans sa voiture à parler de tout et de rien. Je l'écoutais plus que je parlais, mais c'est ce qu'il cherchait : quelqu'un qui l'écouterait. Lorsqu'on fut arrivé devant chez moi, il m'avait tendu un billet de vingt euros et m'avait dit : « Merci d'avoir été là pour m'écouter. Peut-être pourrions-nous reprendre cette conversation ? » J'avais souris et nous nous étions échangés nos numéros de portables. *eh ouais, la petite pauvre avait enfin les moyens de se payer un luxe.* Quelque jours plus tard et on se retrouvaient encore ensemble. Il me parlait de choses très personnelles et je l'écoutais toujours aussi attentivement. À la fin, il me tendit un billet de cinquante euros en me disant que tout ce qu'il attendait de moi, c'était de l'aider à passer à travers les étapes de sa vie. En regardant cela avec du recule, je m'étais dit que ça ne faisait rien de mal. On me payait pour passer du temps avec quelqu'un. Qui l'aurait cru ? Et puis, quand mes amies me questionnaient sur mes occupations des jours précédents, je répondais que je passais du temps avec un ami. Avec le temps, j'avais commencé à m'y faire. Mes parents n'en savaient rien du tout et c'était beaucoup mieux ainsi. J'étais encore leur petite fille si sensible et si charmante, mais là je m'occupais d'un truc important. Puis, si je contais toute l'argent que je m'étais fait depuis notre première rencontre, ça devait sans doute tourner autour des quatre chiffres. Ce petit jeu dura un an environ. Je finis par me sentir de plus en plus prise au dépourvu lorsqu'il me parlait de choses assez difficiles : suicide, divorce, mutilation, drogue... J'étais une fille bien et je ne voulais pas avoir à faire avec un type dans le genre... Un soir, il m'avait demandé d'aller le rejoindre chez lui. Ce soir-là, je savais que j'allais couper les ponts. Oui, grâce à son argent j'avais pu m'inscrire à la fac et me payer bien plus que ce que je désirais, mais à un moment on finit par s'en lasser. Puis, était-ce légal de faire ça ? Arrivée chez lui, j'avais sonné puis j'étais entrée. Les lumières étaient mis-closes et il était dans son salon, avec son peignoir entrouverts. Quelque chose clochait... Je m'installa près de lui et lui avait sourit, essayant de faire comme si je n'avais rien remarqué d'anormal. Il avait mis sa main sur ma cuisse et avait remonté délicatement jusqu'à mon entrejambe. Il avait directement mis son autre main dans mon décolleté et s'était mis à empoigner mes seins. Je me suis mise à paniquer comme jamais auparavant. La parole, oui, je pouvais encaisser ses petites crises de la quarantaine, mais jamais, jamais on abuserait de moi pour de l'argent. Je me débattais du mieux que je pouvais, mais il se faisait de plus en plus insistant. Je m'étais tournée vers la table basse du salon et avait empoignée un crayon que je tenais fermement comme un couteau. Je me mis à donner des coups à tord et de travers. Je ne regardais pas ce que je faisais, mais je savais que je le touchais, car je l'entendais gémir et à un moment, il m'avait lâché. J'avais ouvert les yeux pour me rendre compte que lui, il se couvrait l'oeil droit avec ses deux mains. Je venais de lui crever l'oeil ! Prise encore plus de panique, j'avais quitté sa maison en courant et je m'étais enfermé dans ma chambre. Chaque jour, j'y repense. Ça fait sept ans, maintenant, mais c'est comme si c'était encore tout près...

Après les rêves, il y a la vie.

À 23 ans, je peux dire que j'ai déjà un bon bagage de connaissance, de prestige, de souvenirs et d'ennuis. Pour en revenir avec l'évènement de Damien, je m'attendais à ce que j'en entende encore parler et que ça ne se termine jamais, mais au contraire : il n'a plus jamais fait irruption dans ma vie. Avec tout l'argent que j'avais accumulé et économisé, j'avais pu me payer des études supérieurs à la fac de Paris. J'étais fière de moi, mais pas question que je parle de cet évènement à qui que ce soit. Ce n'est pas quelque chose d'agréable de dire que quelqu'un a déjà mis sa main dans mon entrejambe pour un peu de monnaie. Ça ne me mettait pas en valeur et jamais je ne voudrais que ça se sache. Après tout, personne ne le savait à part Damien et moi. Je pense que le secret serait « bien gardé ». Enfin... Pour faire le point sur ma vie, je suis maintenant une étudiante très douée et très sérieuse en deuxième année de droit. J'habite au 7, avenue Daumesnil, Paris 12ème avec une charmante jeune femme que j'aime. *bien que je ne l'avoue pas encore totalement*. Elle s'appelle Chloé Bourgeois. Oui, oui, la famille Bourgeois ! Elle et moi, on s'entend à merveille et on se complète vraiment. C'est la femme de ma vie...

« Avec un billet de cent euros, on peut se rendre loin, ma belle. Loin loin.
Mais nous n'avons pas besoin d'aller si loin. »
Moi, avec rien, je suis allée loin, loin. Très loin, papa.
Ça ne se conte pas en kilomètre, mais en expérience.