« Je suis désolée Aiden.. On finira par te trouver une famille. Désespère pas. » Comment ne pas désespérer ? Cette famille, c'était la troisième que je rencontrais. Finalement, ma véritable famille se résumait au foyer. C'est dans cet endroit que j'avais toujours vécu, depuis ma sortie de l'hôpital, depuis que j'étais né.. sous X. Ce fameux X qui déterminait mes parents biologiques, ma famille biologique que je ne connaîtrais jamais. Parce que c'est ce qu'ils désiraient de toute façon, non ? A ma naissance, ils ont signé le fait qu'ils ne voulaient pas que je sache quoi que ce soit d'eux. Que je ne puisse jamais les retrouver. Qu'ai-je fais pour mériter ça ? Je n'en savais foutrement rien. Je donnais peut être trop de coups de pieds dans le ventre de ma mère. Toutes les hypothèses étaient bonnes à prendre parce que oui, je voudrais savoir le pourquoi du comment. Ce pourquoi qui me bouffait les entrailles depuis que j'étais dans ce foyer. Je ne détestais pas cet endroit, j'y était même bien.. bien nourrie, bien logé, bien entouré mais comment dire que j'en étais épanoui ? Nous étions « les enfants abandonnés ». Ma première famille adoptive, je l'ai eu à 1 ans. Une famille d'apparence très agréable, enfin, d'après ce que l'on m'a dit, j'étais trop jeune pour me rappeler de quoi que ce soit. Je suis resté quatre ans chez eux jusqu'à ce que l'on me ramène au foyer. On m'avait adopté parce que la femme ne pouvait pas avoir d'enfant, du moins, elle n'y arrivait pas.. mais le jour où elle a réussi, je n'étais visiblement plus le bienvenu. Deuxième abandon. Un autre moment de souffrance même si je ne m'en rappelle pas. Après cette famille, j'ai attendu plusieurs mois, plusieurs années. Parce que les parents adoptifs recherchent des enfants venus d'ailleurs, parce qu'ils recherchent des tous petits parce que c'est plus facile à gérer. Nous ne sommes finalement considérés que comme des objets à refiler. On nous prend, on nous teste et si jamais on ne plaît pas, on est ramenés. La vie au foyer ? C'était comme une colonie de vacance, une grande famille avec plein d'enfants de tout âge de toutes origines. Certains arrivaient d'autres partaient. Je dois dire qu'au début, moi aussi je voulais avoir une famille mais tout cela m'a vite lassé. Je n'étais pas si mal ici. Au début, je restais seul parce que j'ai toujours été un peu comme ça, isolé, solitaire. Et puis les enfants n'ayant pas trouvé de famille – dont moi – ont commencé à grandir. Des affinités se sont crées, des clans, des groupes. Nous formions un groupe de 4 orphelins, uniquement composé de garçons. Mais parmi eux, il y en a un avec qui j'étais le plus proche, il s'appelait Sasha. Nous nous étions rencontrés lorsque nous étions encore très jeunes. Je venais d'être ramené à l'orphelinat par ma deuxième famille adoptive et lui venait de vivre son premier abandon. Nous restions souvent tous les deux, il était rare que l'on se mélange aux autres enfants de l'orphelinat. Notre complicité s'est formée avec le temps, jamais l'un sans l'autre, toujours ensemble quoi qu'il arrive. Amis, frère, une relation bien compliquée s'était installée entre nous. Chaque fois qu'une nouvelle famille venait pour l'un ou l'autre, nous faisions en sorte que ça foire pour être sur de ne plus quitter cet endroit.. pour ne plus se quitter tout simplement. On avait confiance l'un en l'autre et c'est ce qui comptait. Et puis le groupe s'est agrandit. Ce n'était pas un mal mais j'avais peur de m'éloigner de Sasha, il s'entendait bien avec les autres garçons et je ne pouvais m'empêcher de ressentir une certaine jalousie. Et puis nous avons tous grandit, l'orphelinat se vidait doucement et de nouveaux enfants arrivaient. Nous étions les plus vieux de cette grande maison. J'avais alors treize ans lorsque je me suis rendu compte de certaines choses. Je me suis rendu compte que je n'observais pas Sasha de la même manière que les autres garçons du groupe. Bien sur, il avait toujours été différent à mes yeux mais, c'était autre chose. Mon regard s'arrêtait sur chacune des parties de son corps, j'analysais sa bouche avec attention et lorsqu'il me parlait, mon cœur s'accélérait d'une façon inexplicable. Je n'avais jamais été attiré par les filles, pas comme mes copains qui essayaient sans cesse de jeter des coups d’œils sous leurs jupettes volantes. Non, moi je n'avais d'yeux que pour lui. A mes 15 ans, alors que je n'avais toujours rien avoué de mon attirance pour mon ami, nous étions tous les deux sous les douches. Je n'arrivais même plus à détourner mon regard de son corps.. Je ne devais pas être discret parce qu'il était clair que Sasha commençait à flipper. Je me suis rapproché sans lui laisser le temps de dire quoi que ce soit et je l'ai embrassé. Mes mains ont commencé à caresser son corps, j'en avais des frissons partout, j'en avais rêvé depuis tellement longtemps.. Mais le retour à la réalité avec un poing dans mon visage me fit revenir durement à la réalité. « T'es malade ! Putain mais.. merde j'hallucine. » Non, je n'étais pas malade.. j'étais peut être fou, mais je n'étais fou que de lui. Après cet acte, inutile de dire que j'avais perdu tous mes amis et que ma réputation de gay avait tourné dans toute la maison. Mais je m'en fichais, je ne regrettais même pas de l'avoir fait, ça avait été plus fort que moi, je l'avais tellement désiré, tellement rêvé. On s'était toujours dit que rien ne nous séparerait mais les mots.. les mots sont tellement facile à dire, les promesses ne sont que des mensonges.

Et puis un jour il faut grandir, j'ai décidé de demander mon émancipation pour pouvoir voler de mes propres ailes. J'avais toujours été plutôt bon à l'école – sans passer des heures à travailler – mais je dois dire que j'avais des facilités à apprendre. Avec mes résultats, j'ai réussi a intégré une grande école d'art à New York qui me promettait un bel avenir. J'ai toujours eu une fascination pour les photos, un moyen d'immortaliser le passé à jamais. Quand les souvenirs s'envolent, les photos sont toujours là pour vous rappelez les moments inoubliables de votre vie. Une photo signifie tellement, elle ne signifie pas qu'une personne, qu'un objet, elle signifie tellement de sentiments, un contexte bien spécial. Un moment de votre vie à part entière. Les cours me prenaient beaucoup de temps et je dois dire que je n'étais pas comme les autres étudiants. J'aimais ma solitude. Je passais plus de temps à la bibliothèque ou à me promener tel un solitaire que faire la fête jusqu'au petit matin. Après ce qu'il s'est passé avec Sasha, les relations homosexuelles m'ont pas mal refroidis et j'ai longtemps essayé de m'attacher aux filles. Ce qui fait de moi un bisexuel. Mais malgré tout, je n'ai jamais réussi à tomber amoureux comme je l'avais été à 15 ans. Un amour d'enfance, ça vous marque à vie, au fer, c'est encré dans votre peau, ça laisse des marques. Je vous rassure, je n'ai plus l’hématome qu'il m'avait fait sous cette douche.

Aujourd'hui j'ai 27 ans, je peux vous dire que ça donne un sacré coup de vieux. J'ai dépassé le quart de siècle et je commence à m'encroûter comme un vieux croûton. Non, je plaisante, ce n'est pas parce que j'approche la trentaine que je ne sers plus à rien. Lorsqu'on me voit, on me dit même que j'ai l'air d'avoir un début de vingtaine d'années. Ma petite époque d'étudiant modèle n'a pas durée très longtemps, rapidement, la vie m'a rattrapé et j'ai commencé à prendre goût aux bonnes choses. Il y a trois ans maintenant que j'ai mis les pieds à Paris. Pourquoi quitter l'Amérique, j'avais seulement besoin d'air, de voir autre chose, de changer ma vie qui ne m'inspirait pas. Quand je suis arrivé dans la capitale française, j'avais bien l'intention de changer, de ne pas me laisser influencer par mes sentiments et de devenir un homme. J'ai directement décidé de me rendre dans les quartiers chauds et comme si c'était étonnant, les premières personnes que j'ai rencontré étaient de vrais drogués. Des défoncés de service, fans de fête qui n'ont pas tardé à m'entraîner dans leur galère. J'avais enfin l'impression de vivre pourtant mon corps n'était pas habitué à ce genre de substance qui vous tue à petit feu.

Je n'ai pas de vrai boulot, je préfère vivre comme un véritable artiste, dans un petit appartement délabré où je peux me sentir dans mon univers, où je peux dire que je suis chez moi. Aujourd'hui, je n'ai aucune attache, je ne dois rien à personne, je suis seulement là pour profiter de ma vie parce que je n'ai jamais eu l'occasion de le faire. Et maintenant que j'en ai la chance d'être libre et de pouvoir faire ce que je veux, croyez moi, je ne la laisserais pas passer.