Caen, Basse-Normandie, novembre 2001. "Pense a autre chose, pense a autre chose..." s'ordonnai Camille. L'adolescent de treize ans essaya de se concentrer sur le jeu vidéo auquel il était en train de jouer. Mais rien à faire; il revoyait encore le visage de Mickey. Non, n'imaginez pas que Camille est un enfant anti-social qui prend sa peluche à l'effigie de la célèbre souris pour ami. Mickey était un garçon, un vrai, son frère. Mickael Lamotte, dit Mickey. Camille revoyait son sourire, ses cheveux blonds, ses yeux rieur, il pouvait même se remémorer son odeur. "Arrête". Pourtant Camille ne pouvait pas. Il posa sa manette et éteignit la télé. Il se leva et passa devant un journal. Le journal d'il y a un mois. Qu'est-ce qu'il faisait là ? Un mois... Mickey...

Quinze ans, trois mois et dix jours. Croyez-vous que ce soit un âge pour mourir ? Non, bien sûr que non. A quinze ans, vous profitez de la vie, vous faites des conneries... Enfin, c'est comme ça que Camille voit la chose. C'est comme ça que Mickey la voyait aussi. Il croquait la vie à pleine dents; il faisaient des bêtises, il se testait, mais c'était un très gentil garçon. Après tout qui n'a jamais essayé de nouvelles choses ? Un peu de ci, un peu de ça, ça ne fait pas de mal. Il n'aurait peut-être pas dû entraîner Camille dans ses bêtises, c'est vrai, c'est d'ailleurs une des seules choses qu'on peut réellement lui reprocher. Les deux frères qui faisaient des choses illégales... La jeunesse, vous savez. C'était leur petit secret. Ils ne devaient le dire à personne.
Mais comme dit le dicton... Les secrets sont fait pour le rester. Les deux garçons auraient dû l'appliquer sur leur cas. Par on ne sait qui, Jean Lamotte a fini par tout découvrir. Le père a découvert la drogue, le tabac, les vols, les filles que ramenaient régulièrement Mickey à la maison. Camille n'avait pas pas trop touché à tout ça. C'était trop risqué, trop dangereux. Mickey était une tête brûlée, il n'avait peur de rien. C'est lui qui s'est dénoncé. Il n'a jamais dit que Camille avait plus ou moins participer à tout ça. Depuis ce jour-là, une seule question hante Camille : si Mickey avait su ce qu'il allait se passer, est-ce qu'il aurait fait pareil ?
Jean était ce qu'appelle les médecins un 'alcoolique compulsif'. Il ne buvait pas toujours, mais quand il était nerveux ou stressé, il buvait l'alcool comme si c'était du petit lait. C'était le genre de type qu'on a pas envie d'embêter. Il vivait seul avec ses deux garçons, Camille et Mickey, depuis que leur mère était parti du jour au lendemain, quand Camille avait deux ans. Ce qu'il venait de découvrir à propos de ses deux fils, enfin surtout à propos de Mickey, venait de le mettre dans un colère noire. Trop noire.

"Le meurtre de Mickey", pensa Camille, attristé. Pourquoi ce journal traînait là ? C'était comme pour lui rappeler... De ne jamais oublier son frère décédé... Mais d'oublier son père emprisonné.


Caen, Basse-Normandie, janvier 2005. "Alors Camille, comment ça va ?" "Ca va bien, sourit le jeune homme qui a désormais dix-sept ans. On est parti de Caen pendant les vacances, pour voir de la famille. A Rouen." "C'est une très jolie ville. N'est-ce pas ?" Camille hocha la tête et se remémora son voyage de quelques jours dans la préfecture de Haute-Normandie. Il y était parti avec sa tante, qui était plus ou moins devenue sa tutrice depuis... Cette histoire avec Mickey... "Mon père. Il... Il m'a appelé pendant les vacances. Il a dit que... Que quand il sortirait... Il me ferait la peau aussi, comme Mickey, parce que, parce que j'ai désobéi aussi !" paniqua d'un coup le jeune homme. Il venait de se rappeler de ce désagréable appel que son père lui avait passé il y a environ deux semaines. L'air lui manqua et la psychologue ouvrit la fenêtre afin qu'il puisse respirer. Ca lui arrivait régulièrement quand il se rappelait de mauvais moments, mais c'était toujours aussi désagréable. "Chut Camille, calme-toi. Ton père est fou et s'il sort de prison, ce sera pour aller directement à l'hôpital psychiatrique. Il ne t'arrivera rien." Le jeune homme hocha nerveusement la tête. Il était faible de faire des crises d'angoisses à tout va. La psychologue, Mme Leclerc, disait que c'était normal, mais lui se sentait faible et impuissant. Et il avait peur. "Mais vous savez... Mon père, il a tué Mickey... Alors, moi, ce ne sera pas difficile pour lui de recommencer... Il m'en veut toujours." La psychologue lui prit la main. "Cam, tu n'as pas de raison de t'inquiéter. Tu as bientôt 18 ans et lui s'approche peu à peu de la soixantaine. Tu crois qu'il ferait le poids face à toi ?" Il fit non de la tête. "Chaque soir, je repense à ce jour... Chaque soir quand je rentre du lycée, je passe devant la maison, devant la cachette de Mickey et moi... Quand il s'est mis à battre Mickey si fort que... Bref, j'y repense toujours. Je n'ai rien fait. Je me rappelle que ce jour-là j'ai crié, j'ai même été dehors pour avertir les voisins mais c'était trop tard. Et souvent je ressens ce qu'à ressenti Mickey. J'ai mal. J'ai tellement... peur. J'ai peur de lui. De sa force. Il ne me téléphone que pour me menacer." Il y eut un long silence, puis la psychologue dit enfin : "J'ai beau essayé de te rassurer... Ca ne fonctionne pas. Je t'ai dit un million de fois que tu devais oublié ce jour-là... Je sais que ça doit être dur. Mais je ne peux pas comprendre. Je n'ai jamais vécu ça. Il faut que tu oublies, ça j'en suis sûre, mais malheureusement je ne peux pas enlever la maison et tout. J'y pense depuis quelques temps... Tu vois, tu pourrais quitter Caen. Je pense que comme ça, tu oublierais. Ici, on te connais tous comme "le fils de Jean Lamotte" ou "le frère de Mickael Lamotte". Si tu partais..." "Partir ? Mais pour aller où ? Et puis, je ne suis que lycéen, j'ai pas d'argent ! Caen, c'est chez moi." "Je suis sûre que je peux te faire obtenir un logement social. Pour les personnes en difficulté. Tu as besoin de recommencer un nouvel vie, Cam. Loin de Caen. Paris, ça te dirais ?"

Paris, Île-de-France, août 2012. Camille ouvrit le robinet, mit un peu d'eau dans la casserole, puis la mit à bouillir. Une fois que l'eau entra en ébullition, il vida un paquet de pâtes dedans. Puis il posa son menton sur le rebord de la fenêtre. Pensif, il regarda la Tour Eiffel au loin. Paris... La ville magique. La ville de tous les espoirs. Qu'est-ce qu'il aurait fait si, il y a déjà six ans, il aurait dit non à la proposition de la Mme Leclerc, son ancienne psychologue ? Il serait resté à Caen et serait devenu fou comme son père. Ici, à Paris, il n'a plus reçu d'appel de son père. Il a changé de numéro, d'adresse. Personne ne le reconnait. On a oublié cette affaire Lamotte, qui pourtant avait fait scandale à l'époque. Camille devait tant à cette Mme Leclerc... Que devenait-elle ? Est-ce qu'elle était vivant au moins ? Et qu'est-ce qui se passait désormais à Caen, sans sa bête de foire, le petit Camille Lamotte ? Le jeune homme rit ironiquement. Camille Lamotte avait grandi, c'était un homme désormais. Il était photographe, il avait son propre appartement depuis déjà deux ans. Fini le logement social. Comme quoi... Il avait mal commencé la vie, il avait fait n'importe quoi. Il a échappé de peu à la mort. Ca l'a beaucoup calmé. Il avait vécu des périodes sombres, mais il a toujours gardé espoir. Mickey aurait voulu qu'il vive sa vie. Résultat, désormais c'est un homme heureux. On a toujours une deuxième chance. "Merde, les pâtes !" Bon... Camille avait certes eut une deuxième chance, mais ses pâtes, elles, n'en n'auront pas...