Tenter de respirer plus lentement. Calmer les battements frénétiques de son coeur. Éponger les légères gouttes de sang qui s'étaient échappées. Essayer d'oublier ce mauvais rêve. Ce cauchemar qui paraissait si réel. Et qui était toujours le même. Le même qui me terrifiait, me hantait jusqu'au plus profond de moi-même. Et toujours une question identique. Pourquoi lui? Pourquoi pas moi? Pendant longtemps, les mots s'étaient chamaillés dans mon esprit. Les phrases ne voulaient plus rien dire, elles n'étaient que son, que coup de voix, que légers bruits. Elles n'avaient plus aucun sens, je me fermais, lentement, aux alentours. Je fermais les yeux, bouchais mes oreilles, essayais d'oublier, tentais de ne penser à rien. Les mots tombaient sur moi, me forçaient à hocher la tête, à répondre un oui, un non, un peut être ou un merci. J'avais essayé d'être normal. Je ne comprenais plus rien, toujours un peu lent il parait. Je me dissimulais derrière des blagues un peu débiles. Mais les mêmes énigmes planaient dans mon crâne. Pourquoi lui? Pourquoi était-il parti? Et pourquoi j'étais revenu? Je ne me souvenais que d'une lumière aveuglante, d'un choc violent, de son lourd corps s'interposant entre moi et le pare-choc. Il m'avait sauvé la vie. Une vie que je torturais, que je gâchais, à coup de rasoir ou d'autres choses. J'étais bien imaginatif, dans ce domaine, il fallait le croire. les mots ne m'étaient plus inconnus, j'arrivais à mentir et à rire sans éclater en sanglot peu après. Tout ce dont j'avais besoin, c'était d'être aimé, épaulé, aidé je voulais juste me sentir en sécurité, à l'abris dans des bras qui me protégeraient. Des bras que je n'avais pas trouvé avant maintenant. Je l'avais vu, dans le vent glacial parisien, à pieuter sur le trottoir. Je n'avais pas spécialement réfléchi, comme à mon habitude. J'avais un appart, un lit. Et pourtant, je m'étais blottis dans ses bras. Même au milieu d'un trottoir, en plein hiver, j'avais réussi pour la première fois depuis quinze ans à me sentir sain et sauf ~

Tout le bonheur que j'avais pensé pouvoir vivre à côté de lui s'était évaporé. Les disputes qui éclataient entre nous étaient violentes. Les mots fusaient, les objets surtout. Je n'avais jamais rien su de son passé. Je savais qu'il était maigre et qu'il ne mangeait jamais rien. Puis j'avais découvert une bribe d'histoire, qui avait fait éclater, une fois encore, une énorme dispute, notre plus grande, celle qui me fit le plus de peine et celle où je me sentis le plus mal. A rester seul, dans ce petit lit, à tordre les draps, à le tremper, à force de suer, après ces affreux cauchemars. De ne pas me réveiller sans sentir son odeur particulière, de ne pas l'entendre. Ca m'avait fait quelque chose, oui. J'avais besoin de quelqu'un, on m'avait souvent qualifié de dépendant, je me pensais plutôt faible. Pourtant, j'essayais de retrouver un train-train, de toute façon, il fallait bien, je n'avais rien. Pas d'adresse, il habitait chez moi. Pas de numéro. Rien. Puis un soir, après quatre longs mois de solitude que j'avais passé à des choses plus ou moins respectables, il était revenu. Pas un mots. Mais il ne m'en fallait pas plus pour être heureux. De la sentir là, avec moi, de sentir sa respiration pendant la nuit, de le voir tout simplement dormir. Les soirées paraissaient moins longues, et supportables, finalement.