I feel so absurd in this life.
J’aurais bien voulu vous raconter l’histoire de ce type, Hector. C’t’un gars que j’avais dans ma classe en terminale. Un gros bourgeois de première catégorie, parmi tant d’autres - après tout il n’y avait que ça dans ce lycée privé pourri. Hector, c’est le stéréotype même du minet qui vit avec une petite cuillère en argent dans la bouche. Belle gueule, bien fringué, chaussures en daim à petit lacets et petite écharpe en soie, parfaitement parfumée avec un aftershave qui coûte un bras, parcours scolaire brillant et un avenir prospère avec des filles toutes nues dans son grand manoir, un porte feuille plein d’argent et renfloué régulièrement par papounet. L’histoire du mec qui croit qu’être malheureux c’est ne pas avoir ce qu’on veut et qui pense que le truc le plus dramatique au monde c’est de se faire rater par son coiffeur et se retrouver avec une coupe de réfugié moscovite en attendant que ça repousse.
J’aurais bien voulu vous raconter le genre de vie paisible qu’est celle de Hector, mais le truc c’est que moi c’est Nils. Je m’excuse d’avance, mais moi, j’ai plutôt le genre de vie mélodramatique que des personnes sont payées pour écouter d’une oreille sourde en hochant bêtement la tête comme les chiens sur la planche arrière dans les voitures, griffonnant des diagnostics pourris sur des cahiers pour finalement te coller une étiquettes sur le front : « Dérangé ».
J’ai longtemps cru que mes parents filaient le parfait amour. J’étais petit, j’avais six ans, j’étais naïf. Je pensais que ce qu’on voyait à la télévision était vrai, que les gens tombaient amoureux et que c’était pour toujours. Du moins, c’est le genre de truc qu’on nous laisse suggérer, donc moi, j‘gobais. Hé bien, il m’a fallu peu de temps pour me rendre compte que je m’étais fait avoir comme un con.
Ce soir là, le soir où mes petites illusions sur l’amour
ever after a basculé, j’ai tout bêtement surpris mes parents au beau milieu d’une dispute. Ils étaient dans la cuisine et moi dans ma chambre et quand les cris ont commencés à se faire plus forts que d‘habitude, j’ai quitté ma pièce, j’ai traversé le couloir pour espionner leur engueulade et tenter de distinguer ce qui se passait et pourquoi ils criaient l’un sur l’autre.
Quand mon père m’a finalement aperçu en train de les regarder se hurler dessus, il a franchit l’espace qui nous séparait, il m’a attrapé par le t-shirt et m’a regardé droit dans les yeux avant de s’en prendre littéralement à moi. Verbalement, physiquement. Je me rappelle vaguement de ce qu’il m’a dit. J’étais tellement tétanisé par son regard et sa poigne sur mon haut de pyjama, que j’écoutais que très peu ce qu’il disait. Ma mère le suppliait de me lâcher et il arrivait qu’il me gifle en plein visage entre deux phrases, sans aucune raison. Je ne bronchais pas, je ne pleurais pas, je ne me débâtais même pas. Je me rappelle de mots comme « pisseur », « accident » et des bribes de phrases comme « tu n’as jamais été voulu », « t’es une erreur », « je t’aime pas » ou encore « t’as tout ruiné » et juste après ça, il s’est emparé de mon bras pour me trainer à coup de pieds jusqu’à ma chambre pour m’y enfermer. Je me souviens que le long du couloir, mes pieds n’ont pas une seule fois touché le sol.
Suite à ça, mon père a disparu de la circulation. Je ne l’ai plus jamais revu. J’ignore si c’est ma mère qui l’a dégagé ou si il est parti de lui-même. Quoi qu’il en soit, c’est un sujet dont on ne parle jamais elle et moi. Cet incident a eu des répercutions énorme sur ma situation familiale, sur mes rapports avec les autres. Je me renfermé sur moi-même. Ses mots et son traitement ont étés l’objet de mes cauchemars pendant des semaines. Mon père avait toujours été un modèle pour moi et nous avions toujours été proche durant mes premières années d‘existence. Ce retournement de situation, son changement de comportement m’a profondément traumatisé.
En grandissant et en réfléchissant plus intensément à la chose, j’ai commencé à perdre confiance en moi, à me dire que je ne valais rien, que s’attacher n’apportait que tristesse et déception. J’ai perdu confiance en moi et en tout autre personne parce que j’avais peur que cette situation se reproduise, que quelqu’un me blesse et m’abandonne à nouveau et me foute plus bas que ce que je ne l‘étais déjà.
So wrap your arms around me, and live me on my own.
J’ai de très minces rapports avec ma mère depuis. Je n’ose plus l’enlacer ou lui dire que je l’aime parce que j‘ai l‘impression qu‘elle ne voulait pas de moi, elle non plus, que tout comme mon père, elle pensait que j‘étais un accident qui avait ruiner sa vie. Je n’ai jamais eu de petite amie parce que j’ai affreusement peur de m’attacher. J’ai quelques amis, parce que le fait que je sois solitaire m’a pourri la vie au collège. Les gens me prenaient pour un dingue et quand j’ai intégré cet espèce de lycée privé sous ordre de mon psychologue qui pensait que fréquenter un milieu distingué me ferait me sentir plus à l’aise et plus en sécurité, j’ai décidé de laisser les autres s’ouvrir à moi et me considérer comme leur pote pour faire semblant d’être normal.
J’ai commencé à devenir doué en dessin quand je suis rentré en troisième et depuis, je noircis des cahiers de tout un tas d’esquisses. Je joue de la guitare aussi. Je pense que l’art m’a en quelque sorte libéré. Le fait de dessiner mes angoisses ou de composer des musiques pour me changer les idées a été une bonne sorte de thérapie. C’est aussi ces passions qui m’ont mis sur le chemins de quelques personnes avec qui j’ai tissé de maigres liens d’amitié.
Avec ces gens là, je joue un rôle. Les humains sont fascinant quand on les regarde bien - j’ai l’air d’un psychopathe en disant ça - ils se confient à moi, ont l’intime conviction qu’on est amis, alors qu’ils ne savent strictement rien de moi. C’est étonnant. M’enfin. C’est en partie grâce à ces personnes si j’ai réussi à me créer une carapace, si j’ai réussi à construire des barrières autour de cet être faible et fragile qui sommeil à l’intérieur.
I'll be your anchor, I'll be your lover.
Je joue un rôle avec tout le monde, sauf avec lui.
Sybile. Je saurais pas expliquer ce qui s’est passé dans ma tête. Ça a été comme une évidence. C’est idiot, mais j’ai pas de mots à mettre sur la vague de sensations qui m’a traversé quand mon regard s‘est posé sur lui pour la première fois. C’est probablement le fait de me trouver face à quelqu’un paraissant si fragile et si livré à lui-même, tout comme moi, qui m’a donné l’envie de faire tomber le masque que je m’étais forgé durant toutes ces années, de me débarrasser de toutes mes inhibitions pour m’ouvrir à cette seule et unique personne.
Seulement, mes sentiments m’effraient. Je suis devenu dépendant de notre relation. Bien qu’elle soit ambigüe, ponctuée de hauts et de bas, je suis désormais incapable de m’en passer. J’en ai aucune envie, il faut dire. J’ai besoin de son attention, parce que je ne me sens exister qu’à travers ses yeux et j’ai besoin de le protéger parce qu‘il n‘y a que de cette façon que je me sens utile. Même si c’est une relation que certaines personnes pourraient qualifier de malsaine, même si par sa présence plus qu’imposante dans ma vie il me brise d’avantage chaque jour, j’en ai besoin pour survivre.
Je suis trop différent de ce pauvre Hector parce que j’ai compris que ce qui rend malheureux, ce n’est pas de ne pas avoir ce dont on a envie… C’est ne pas avoir ce dont on a besoin. Je suppose que Sybile est tout ce dont j’ai besoin, mais j’ai l’étrange sensation que ce qu’on se donne n’est jamais suffisant, c’est comme incomplet et c’est atroce parce que j’ai un besoin boulimique de ce garçon.
Ce que je dis ne me plait pas. Les mots n’ont pas la chance d’être aussi forts, aussi intenses et aussi parlants que les sentiments. Malheureusement.