Lou est née à l'hôpital très célèbre du 13ème arrondissement de Paris. Elle est la fille unique de Raphaël Xavier Chevalier, un jeune cuistot débarqué de province à vingt ans, bien décidé à travailler dans un grand restaurant. A vingt-cinq ans, alors qu'il trouve petit boulot sur petit boulot dans des bars et restaurants bien loin de son rêve de gosse, il fait la connaissance de Rachelle Barthélémy, une jeune étudiante en arts appliqués. Il faut peu de temps pour qu'ils tombent amoureux. Et, alors qu'il lui propose de venir s'installer avec lui dans son studio, elle lui annonce qu'elle est enceinte. Elle semble embêtée. Pour elle, ce bébé risque d'éloigner Raphaël et puis, après réflexion, elle n'en veut pas de cet enfant. Elle se trouve belle et cette grossesse abîmera son corps pour toute sa vie. Raphi découvre une femme qu'il ne connaissait pas. Et, ce qui devait arriver arrive : il la quitte. Pendant neuf mois, aucune nouvelle. Et puis un matin, on frappe à sa porte : c'est la mère de Rachelle avec, dans ses bras, une petite fille emmaillotée. Elle lui tend l'enfant et ne murmure qu'une phrase «
Elle s’appelle Lou Caroline Chevalier », avant de partir. Glissée sous les draps qui entourent sa fille est une lettre de Rachelle. Une phrase, courte : «
Tu en voulais plus que moi. A toi maintenant de l’élever, comme je l’ai portée pendant neuf mois, pour toi. Fais-en une femme ». Le premier regard qu'il pose sur Lou fait naître en lui un amour immense, qu'il n'aurait jamais cru possible. Il va l'élever.
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«
Lou !? LOU !? Je l’ai ! Ca y est, il est à moi ! » hurle Raphaël en entrant en trombes dans l’appartement. Il court jusqu’à la chambre de sa petite de sept ans et la prend dans ses bras, la faisant tourner dans la chambre, renversant avec ses pieds les jeux autour d’eux. Mais il s’en fiche ! Il est heureux ! Il a enfin réussi à acheter le petit local dont il rêve et il va, enfin, pouvoir ouvrir SON restaurant !
«
Papa, comment tu vas l’appeler, ton restaurant ? » demanda la petite fille dans un éclat de rire. Depuis des années, elle voit son père trimer pour récolter le plus d’argent possible et acheter le local en bas de leur immeuble, qui lui permettra d’ouvrir son propre restaurant, sur la Butte-aux-Cailles, là où ils habitent depuis sa naissance. «
M’enfin, quelle question ! On va l’appeler Chez Lou ! » «
C’est vrai ? » demande la gamine, les yeux pleins d’étoiles. «
C’est vrai ! » répond Raphaël en serrant sa fille dans ses bras. Ils n’ont jamais été aussi heureux. Leur vie n’a jamais été aisée, entre les difficultés financières et les coups durs, mais ils ont toujours été heureux. Et là, c’est magique !
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«
Lou, va ouvrir s’il te plaît ! Je suis sous la douche ! » crie Raphaël en entendant la sonnette de la porte d’entrée. Sa fille de treize ans dévale l’escalier du duplex et se rue vers la porte, qu’elle ouvre à la volée, relevant d’une main ses longs cheveux blonds bouclés qui lui tombent devant les yeux. Dans l’encadrement de la porte est un couple très chic, qui pose sur elle un regard attendri. «
Vous êtes qui ? » demande-t-elle sans ouvrir grand la porte. Les maraudeurs sont monnaie courante dans ce quartier et malgré les magnifiques habits parfaitement coupés de la femme, on n’est jamais trop prudent. «
Tu ne nous reconnais pas ? » s’étonne la femme. «
Enfin, Eva, elle avait trois ans la dernière fois qu’elle nous a vus ! Nous sommes ton oncle et ta tante, Lou. Je suis le frère de ton papa » ajouta l’homme avec un grand sourire. «
Qui c’est, ma puce ? » demande son père en descendant l’escalier, essayant de ne pas s’étaler tout en passant un t-shirt propre. «
Léopold ? » dit-il, interdit. «
Raphaël, quelle joie de te revoir ! Tu as bien changé, ces dix dernières années ! » Les deux frères s’embrassent, se prennent dans les bras. Raphaël embrasse sa belle-sœur, puis présente Lou à son oncle et sa tante. «
Eva et Léo vivent en Afrique du Sud, ma puce. C’est pour ça qu’ils ne rentrent pas souvent en France » expliqua-t-il. «
Que faîtes-vous là ? » demande-t-il en les invitant à passer dans le petit salon au mobilier confortable et tout en bois foncé. «
C’est à propos de Lou, que nous venons. Nous avons quelque chose à te proposer, à vrai dire. Tu sais que je suis directeur d’un des lycées du Cap et on ne me refuserai pas, au conseil d’administration, la présence de ma nièce parmi mes élèves. Eva et moi voulons lui offrir, comme cadeau de retrouvailles, son année de terminale au Cap. Bien sûr, elle logera chez nous. Nous savons qu’elle t’aide beaucoup au restaurant et pour équilibrer les choses, Garance est prête à venir faire un an de ses études à Paris et à t’aider au restaurant. Qu’est-ce que tu en dis ? » finit Léo. Le père et la fille échangent un regard. Raphaël voit très bien dans les yeux de Lou qu’elle n’est pas prête à un tel départ et que, d’ici sa terminale, les choses auront bien changé. Cependant, il se tait. C’est à elle de prendre sa décision. Pas à lui. «
C’est d’accord » répond la petite fille avec autant d’assurance qu’elle possède. «
J’irai passer ma dernière année de lycée au Cap, à la condition que ma cousine vienne ici aider papa. » «
Naturellement ! » répond Eva avec un grand sourire. «
Vous restez dîner ? » demande Raphaël, soulagé par la décision de Lou, quoi qu’un peu anxieux. Mais elle a le temps. Elle entame à peine son collège, il a encore le temps de la voir grandir avant de la voir partir pour l’Afrique du Sud pendant un an. «
Avec grand plaisir, Raph’ ! Du moment que tu nous fais goûter à l’une de tes spécialités de chef ! » répond son frère avec espièglerie.
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Mon petit papa,
Comme j’aimerais que tu sois avec moi pour découvrir toutes les merveilles de l’Afrique du Sud ! Je vais au lycée à pied tous les matins, sous le soleil qui se lève et déjà la journée resplendit. C’est splendide ! Léo et Eva sont géniaux ! J’espère que Garance t’aide. D’après ses parents, elle était très heureuse de venir à Paris, tant elle aime cette ville ! Fais-lui découvrir tous nos endroits, qu’elle voit pourquoi on dit que notre chez-nous est la plus belle ville du monde ! De mon côté, je découvre chaque jour de nouvelles merveilles. Je vais tous les soirs à la plage, après les cours avec mes amis. J’ai rencontré des gens extraordinaires ! Tout serait parfait si tu étais avec moi ! Tu me manques ! Léo m’a promis que pour Noël, toi et Garance alliez venir ici ! J’ai hâte de te revoir ! Je crois que je suis la fille la plus chanceuse du monde ! Qui, en France, a la chance de faire sa terminale en Afrique du Sud ?! Pas grand monde, je crois !
Je t’embrasse bien fort !
Lou
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Les mains dans les poches, son casque sur les oreilles, Lou descend la butte Montmartre. Ses yeux cherchent à capter le plus de choses autour d’elle, tant Paris lui a manqué pendant son année au Cap. Elle est si heureuse d’être de retour dans sa ville… Ses amis ont bien changé en un an et elle a bien vu lesquels tenaient vraiment à elle. Un bon moyen pour faire un peu de tri dans sa vie ! Paris, enfin… L’avion a atterrit quatre heures auparavant et elle a refusé de rester chez elle pour raconter son année à son père. Elle a besoin de marcher dans Paris, de se replonger dans cette agitation qui fait battre son cœur, qui emplit ses poumons d’air. La rentrée n’est que dans un mois et déjà, Lou pense à septembre. Tout va basculer : elle va entrer à la fac, commencer une nouvelle vie. Le restaurant de son père marche plutôt bien et l’argent qu’il met de côté lui permet d’envisager de faire son master à l’étranger. Mais pour le moment, elle profite de son retour à Paris. Il ne fait pas très beau sur la capitale française, mais la grisaille et la pluie lui ont manqué. Elle s’assied sur un banc, ferme les yeux et inspire profondément. Paris a une odeur, un bruit, un toucher particulier.