Il pleut des cordes, en toi. Tu te regardes expirer avec difficulté, poupée ankylosée, bouffée par un mal être inintelligible aux pauvres idiots qui t'entourent. Les passants se faufilent, parmi eux, tu te sens dépassé pourtant, tu te sens apprécié. Tu attires les regards, l'envie teintée dans leurs iris, tu leur souris. Tu t'abandonnes à leur opinion comme toi, ils te tiennent à très haute estime. Tu imposes le respect, tu imposes jalousie et haine. Quelle déveine d'être né avec une cuillère en bois dans le bec, incommensurable cruauté à laquelle tu t'adonnes avec déplaisir, tu n'as jamais eu le choix. Tu ne l'auras jamais. Et c'est ce qui te chagrine. L'amertume te fait plier, la douleur suffoquer. Le bonheur n'a pas de prix, justement, c'est pour cela que tu ne l'as jamais trouvé. Quand le constat revient en boomerang dans ta gueule : de toute façon, t'aurais pas eu les moyens.


Tu avances dans l’dédale, tes pas frappent les pavés couverts de crasse. L’odeur de pisse remonte jusqu’à tes narines, cette ruelle malfamée dans laquelle tu traines : c’est l’exemple type des « zones » aux allures de bidonvilles, quartiers dégueulasses où richesse côtoie pauvreté. Il y en a des tas pareils à Paris. Contrairement à ce qu'en dit l'opinion publique, l’ambiance populaire, elle vous arrache les sinus, elle vous arrache la vue. Un pouilleux te frôle, ta lèvre se relève, ton nez se retrousse : « M’approche pas, dalleux ». Tu remets en place ta veste. Quel merveilleux merdier par lequel tu dois passer, tailler la petite route pour arriver devant un véritable palais royal, là où tu te vois déjà siéger mais, où tu sais n’avoir aucune place. La bâtisse, elle brille, elle bouffe l’électricité de tout un voisinage. Toutes les nuits, c’la même rengaine, leitmotiv tarabustante: « Allez viens, Telemaque, on va se repoudrer le nez ». Telemaque n’touche pas à cette merde, désolé, petite Bite. Tu as aut’ chose à faire, ta thune, t'iras la dépenser ailleurs. Quelque part où cela en vaudra la peine – d’jà que t’en as pas des masses, faudrait pas en rajouter-. Pourquoi pas dans ce magnifique bâtiment qu’on appelle un « bar d’after », hein ? Ton costume trois pièces – cinquième mains, un brin mal taillé, un brin délavé - passe inaperçu, c’pas du Boss, ni d’Armani dans l’coin c’est l’accoutrement banal, dans l’coin t’es plus que banal. Tu piges plus rien quelqu’un a oublié de te parler des nouvelles tendances. « Telemaque Lefebvre », ici tu es la chimère. Moitié riche entièrement pauvre. Tu es le sang impur qui ne mérite pas d’être là. Regardez, écoutez et prenez-en d’la graine : « Telemaque Lefebvre, t’as un problème de mémoire, Timo? J’croyais avoir été clair, j’suis aussi riche que la chatte à ta mère. La vraie, hein ». Tu t’éloignes, il rêverait de te cracher à la figure. C’est de notoriété commune, Timothé Luchard a été enfanté par une catin venu de l’est, payée pour l’porter. ‘Fin, ça n’a pas l’air d’être de sa notoriété. Connard, bâtard, cauchemar c'est ce que tu es, la vilenie incarnée. L’incarnation du prolétaire rêvant de flouze, tu fais tout pour y arriver, tu butines, tu tartines et bizarrement, les gens kiffent s’faire enculer.

L’argent fait tourner les têtes, il rend dingue. L’adulte saint et bien portant se retrouve à tuer l’temps dans les bordels où les catins du 21ème siècle coutent plus cher qu’un voyage dans l’espace. L’adulte saint et bien portant, il déambule funambule d’un autre genre dans des ruelles, prêt à dégainer sa gold card à la manière d’un colt. Il aligne les zéros sur son chéquier comme un pisse-culotte alignerait les cadavres. Miam, miam. Torche-toi les fesses avec du PQ en soie, dors sur des billets, douche-toi au lait d’ânesse. Il parait que l’argent ça rend pourrie, tant pis, t'veux bien finir pestiféré pour en avoir trop, de trop abusé. Tu te plantes en poteau devant la demeure du pater, celle de ton frère, balèze, blaise. Tu sais où il habite, ce père qui n’a jamais voulu de toi, tout juste bon à engrosser ta mère. Tu ricanes, de loin, tu le vois, Noah. Ce frangin que tu détestes, lui, il a tout eu. Deux parents quand toi, tu t’contentais d’une mère hippie dégénérée toujours les cuisses à l’air, l’coquillage enfariné. Belle, la vie, n’est-ce pas ?

Tu en as assez de mentir, assez de tourner en rond, lion en cage, félin châtré. Tu veux rugir, donner des coups de crocs, viser des jugulaires. Imposer tes choix et non point plier sous celui des autres, ceux qui se supputent supérieurs à toi. Faux, tu es supérieur à eux, largement. Ridicules, tes détracteurs, des ploutocrates maniérés, enlisés sous les apparences trompeuses d'une joie de vivre étrange. Tu es, tu es. Tu cogites et, tu puises ta force là où d'autres perdent leur courage. Vaillant, un brin pédant, tu les nargues. Tes chevilles se portent bien, ton égo aussi, étonnement. Tu traces ta vie, aucune limite ne t'es donnée, tu veux donc tu peux. Cette certitude t'arrache des sourires, les zygomatiques en feu, tu te reposes alors. Les bains de foule ne t'ont jamais charmé mais pourtant tu t'y sens chez toi. Apprécié à ta juste valeur. Car la foule est indéniablement masochiste, elle kiffe quand tu la brises d'un simple geste de la main. Inconséquente, sa valeur, tu t'en contrefiches. Tu ne veux pas savoir ce que tu en feras mais, entre tes mains, elle est captive. Foule, foule, pauvre de toi.

Alors oui, tu avances sans reculer, toujours prêt secouer. Les filles sont des salopes, prêtes à tout pour s’faire fourrer. T’es un homme, ça te suffit. Pour quelques coups d’reins, elles t’baisent les pieds y joignent les mains. Pour un de tes sourires, elles alignent les billets, easy way. T’es un mec intelligent, t’fais rien de ta vie mais tu t’fais de l’argent. C’est ça, être futé, ne rien foutre (hormis les demoiselles) et survivre aux lendemains. Tu traces ton chemin y dépose ton prénom. Telemaque, Telemarque son territoire. Il y aura au moins un Lefebvre qui fera quelque chose d’sa vie. Tu t’fais cette promesse, tu es cette promesse. Au fond, t'as tout compris, t'as tout con prix. Au fond t'es con, pauvre con.