J’ouvrais les paupières. La vitre était froide, si froide contre ma joue. Mes boucles rousses cascadaient sur mes épaules, me chatouillant ma peau nue. Je réprimais un frisson. La climatisation ? Dans un avion à plus d’une dizaine de mètres d’altitude ? Sérieusement ? Je soupirais en prenant délicatement la petite laine sur laquelle ma sœur s’était endormie comme une masse. Avec un soupir agacé, la première classe ce n’était plus ce que c’était, je la passais autour de mes épaules et me calait bien au fond de mon siège, le regard plongé dans les moelleux nuages qui défilaient à travers le hublot. Qu’avions nous fait ? En moins d’une semaine, plaquer tout. Nos amis, notre famille, notre Manhattan bien-aimé pour partir à l’autre bout de l’Atlantique, dans la ville que l’on dit être la plus belle du monde. J’ai nommé, la grande, la belle, mais surtout l’inconnue : Paris.

Pourtant nous avions tout à New-York, et ce depuis toujours ! Nous avions nos parents, prêt à satisfaire nos moindres désirs, qui nous garantissaient une stabilité financière permanente, la liberté que tout enfant rêve d’avoir, ainsi que le confort d’un appartement luxueux en plein Upper East Side. New-York, c’est et ça restera toujours ma vie, dans mon cœur elle sera irremplaçable. En même temps, je dois avouer que mon point de vue est bien partial. En effet, je ne connais que cette ville, la ville qui ne dort jamais. Je suis née en son sein, et maintenant je la quitte. Dès que j’ai posé le pied dans cet avion, un doux ressentiment m’a envahie, comme si je trahissais une vieille amie… mais… peut-être vaut-il mieux commencer par le commencement non ? Qui suis-je ? Pourquoi suis-je ici ? Bel inconnu, permet moi d’éclairer ta chandelle.

Je m’appelle Abigail Kathleen Everdeen, mais à vrai dire je déteste mon premier prénom, cela fait bien longtemps que tout le monde l’a laissé tomber. Mes amis, tout comme mes ennemis, je ne fais pas vraiment de distinction à ce niveau-là m’appelle Kat. En revanche, si vous me décrivez physiquement à une de mes conquêtes d’un soir … « Mais ouiii ! Une jeune fille… rousse je crois, un grand sourire aux lèvres, des manies parfois étranges, un sens de l’humour bien à part… tu vois toujours pas ? Celle qui était fine comme une danseuse et qui n’avait pas de seins ! » et bien à ce moment-là, quand ça aura fait tilt dans son petit cerveau de macaque, il s’exclamera « Mais oui ! Cette chère Abby ! ». Ils sont nombreux dans ce cas-là. Ceux que j’ai bernés sur mon identité, ceux pour qui je suis tantôt une lady anglaise, tantôt une strip-teaseuse australienne. Mais que voulez-vous ? C’est ma vie, je suis une actrice, je joue la comédie ! C’est d’ailleurs cette voie que je compte poursuivre en France. Celle de la danse également. Le Conservatoire de Paris est un des plus réputés au monde, et c’est uniquement pour cette raison, ça et le fait que je ne peux pas me séparer de Sutton plus d’une journée, que j’ai accepté de signer le bail de cet appartement tout aussi grand que celui de New-York et situé dans un quartier aisé.
Oui, si vous ne l’aviez pas encore compris, nous sommes riches. Affreusement riches, monstrueusement riches, riches à un point qui devrait être interdit. Et si ma sœur nie ce fait, tente de ne pas se vanter de ses origines, et bien moi je le fais. J’ai toujours su mieux profiter d’elle des plaisirs de la vie. Nos parents nous gâtaient ? J’en demandais plus, toujours plus, et cela s’est étendu à toute mon existence. Je suis une éternelle insatisfaite, une capricieuse, celle qui veut ton bras lorsque tu lui tends le poignet. Je veux tout, tout de suite et que cela soit parfait. Et à défaut de cela, j’envoie tout valser. Pendant ce cours instant où je suis frustrée de ne pas atteindre mes objectifs, je me fous de tout. C’est souvent pendant ce laps de temps que je fais mes conneries. Celles que je regrette une fois que j’ai dessoûlé. Mais, heureusement pour moi, Sutton est plus sage et plus posée que moi. Elle me surveille, moi la petite agitée, elle seule sait m’apaiser. Que veux-tu ? Elle est ma sœur, elle est mon tout.
Côté cœur, si une grande partie de mon affection est monopolisée par ma famille et par mes nombreux amis, il reste une place bien planquée pour celui qui saurait saisir sa chance. Vu que je suis aussi exigeante en amour qu’avec le reste, je me doute que ce n’est pas demain que ce jour arrivera ! Bah ! En attendant, je me contente de vivre et de consommer ma jeunesse. Des amants d’un soir, jamais plus. Paradoxalement, autant que je les attends, je fuis les sentiments. J’ai peur comme j’envie cette étincelle qui brille dans les yeux de ceux qui s’aiment. J’ai peur que cela m’embrase, mette le feu aux poudres, que cela me consume vivante. Car oui, j’ai tendance à m’attacher trop vite et trop fort.

Je pense que vous en savez déjà trop. Pour vous je ne serais que cette fille, qui sourit légèrement en pensant au passé, qui réprime un frisson en ce qui concerne l’avenir. Car l’avenir, il n’y a rien de meilleur.

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