Marie,
C’est drôle comme parfois le hasard peut changer énormément de choses. Aujourd’hui, j’aurais passé une journée de plus à vivre dans cette grande Villa de Monaco, entourée d’hommes que je n’apprécie pas réellement et de personnes, comme mon mari Jeremy, et mon beau-frère Clément, par qui je suis unie mais qui ne m’intéressent pas. Tant de personnes rêvent du luxe, du prince charmant, de la belle vie de princesse qui m’a été offerte. Or, je n’ai pas la même façon de penser que ces personnes là, j’aimerais être libre, j’aimerais pouvoir tourner dans des films qui puissent salir mon nom, j’aimerais provoquer, choquer, et toucher. Or, je suis contrainte à incarner la perfection. Tout comme Monsieur Van der Clöse est devenu à Monaco un homme très respecté et surtout très jalousé. Ici, les gens prennent l’habitude de se montrer hautain, ou du moins les personnes que j’ai toujours fréquentées. Mes projets n’ont jamais été approuvés par mon père, alors lorsque j’entreprenais quelque chose qu’on disait « mauvais pour moi », on me mettait des bâtons dans les roues. Or, il n’avait pas été réfléchit que je puisse être doué en quelque chose, quelque chose comme le théâtre. Dès mon plus jeune âge, j’ai été intriguée par les comédies musicales, les pièces, et je m’entraînais à jouer de ma personne sur ma gouvernante et mon père pour retirer des choses. Découvrant que mes techniques étaient les bonnes, j’ai décidé de prendre des cours de Théâtre, chose que mon père trouvait très intéressant. Mais il ne pensait pas que j’avais comme idée d’en faire ma carrière professionnelle. Etant une « fille de », j’ai pu accéder facilement aux grands metteurs en scènes et suis rapidement devenue une comédienne très demandée dans le coin. Un jeune homme, tout juste sorti de l’école de réalisation, avait comme projet de me prendre dans son premier film et d’en faire un grand chef d’œuvre, chose qui n’a pas manqué de se passer, mais auquel je n’ai pas pu participer car mon père à décidé de me marier à un autre « fils de » : Jeremy Steib. Je ne voulais pas de cette union, et j’ai longtemps cru que mon futur mari serait du même avis, mais il ne s’est jamais interposé. Lui aussi avait-il été élevé de manière à ne jamais se montrer désobéissant ? Comme mon père avait essayé de faire mais n’y était jamais parvenu?
J’ai toujours aimé écrire, et raconter des histoires. Mais je n’ai jamais raconté la mienne, la trouvant bien trop ennuyante pour intéresser qui que ce soit. Même mon mari ne sait rien de ma vie, de ma façon de pensée. De toute façon, nous ne parlons pas, nous agissons tels des robots, il n’y a pas d’amour entre nous. Quoiqu’il en soit, lorsque j’ai entendu parler de toi, je me suis dit que ma vie valait peut-être le coup d’être partagée puisque lors de notre rendez-vous tu m’avais raconté la tienne. Et je me suis dis, que je me sentirais peut-être mieux en racontant tout ce qui peut traverser mon esprit mais que je ne peux pas dévoiler aux personnes de mon entourage, car je n’ai ni le droit, ni le choix. Je ne sais pas réellement comment m’y prendre, je fais comme je peux, je ne suis pas très douée pour le contact humain. Certes, je ne connais pas, je ne sais rien de toi, mais j’ai bien plus de facilité à me livrer à toi, et j’espère de tout cœur que mes paroles ne tomberont pas entre de mauvaises mains.
Mon amie, je t’embrasse, et j’espère recevoir ta lettre très prochainement.
Lucie.
Lucie pose son stylo et regarde autour d’elle : il n’y a personne. Doucement, elle se lève de façon à ne pas froisser sa robe, et marche d’un pas léger vers sa commode. Elle attrape un foulard qu’elle enroule soigneusement autour de sa gorge, et un long gilet beige qu’elle met sur ses épaules. Elle sort de sa chambre, tenant sa lettre dans sa manche, afin que personne ne la voie, et se dirige vers le bureau. Elle frappe, et n’entendant aucune réponse, elle pousse la porte et se dirige vers le bureau de Jeremy. Elle fouille dans les tiroirs avant de trouver des enveloppes. Elle en arrache une du bloc et attrape un stylo. Elle écrit l’adresse de son amie de façon à ce qu’elle soit bien lisible, et porte l’enveloppe à sa bouche afin de la fermer. Elle remet tout en place, et sort du bureau.
Il n’y a pas un bruit dans la maison des Steib, Jeremy étant parti à une conférence et les employés se trouvant dans les cuisines ou en plein ménage. Lu ie descend les escaliers et passe dans le grand salon. Elle s’apprête à mettre le pied dehors lorsqu’elle entend :
FRANK - Madame Steib ? Que faites-vous ?
Elle se retourne afin d’observer le garde du corps de la famille. Elle se retourne, referme la porte et regarde l’homme. Il doit avoir dans la cinquantaine, plutôt grand et peu musclé, il ne ressemble pas à grand-chose dans son costume.
LUCIE - C’est Madame Van der Clöse, je ne tiens pas à ce qu’on oublie le nom de mon père. Et je m’apprête à sortir. N’ai-je pas le droit Monsieur Frank ?
Demande-t-elle d’une voix aigue. Elle tente une fois de plus d’user de son charme pour obtenir ce qu’elle désire, mais Monsieur Frank étant le garde du corps le plus en règle des employés, c’est avec lui qu’elle a le plus de mal à amadouer. Monsieur Frank regarde Lucie et fronce les sourcils.
FRANK -Mademoiselle Lucie, il est convenu que quelqu’un vous accompagne si vous décidez de vous rendre à l’extérieur.
LUCIE - Je ne suis pas en sucre, et je passe bien plus inaperçu lorsque je me trouve seule. Mais puisqu’il en est ainsi, appelez-moi Mademoiselle Olivia, elle se fera un plaisir de m’accompagner…
Elle lève les yeux au ciel et se dirige vers le canapé de l’entrée où elle s’assoit. Jamais personne ne s’y assoit car ce n’est pas un endroit « convivial », mais elle s’en fiche, les meubles de cette maison sont faits pour être utilisés. Elle regarde Monsieur Frank d’un air satisfait et ajoute :
LUCIE - Puis cessez de m’appeler « Madame », je suis peut-être mariée, mais je n’ai pas encore les rides de Madame Steib…
FRANK -Respectez tout de même votre belle-mère…
LUCIE - Lui ai-je manqué de respect ? Si oui, je m’en excuse, mais je ne vois personne s’indigner appart vous, et pourtant, Mademoiselle Olivia écoute bel et bien à la porte…
Lucie sourit, fière d’avoir transformé ces reproches en scène de théâtre, une habitude, qu’avec le temps, elle a réussi à maîtriser à la perfection. Mademoiselle Olivia, âgée d’une vingtaine d’années tout comme Lucie, entre dans la pièce et vient se placer auprès d’elle.
OLIVIA -Lorsque j’ai entendu mon prénom, je n’ai pas pu m’empêcher de venir écouter ce que l’on pouvait bien dire de moi. Je m’en excuse… Mais puisque je suis désormais là, dépêchons-nous de sortir avant qu’il ne fasse nuit.
FRANK -En effet, il faut que vous soyez en pleine forme pour le déménagement demain à l’aube ! S’empresse d’ajouter Monsieur Frank.
Lucie soupire et se lève, adresse un petit coup d’œil satisfait à Monsieur Frank avant de sortir. Dehors, bien que le soleil s’apprête à se coucher, il fait encore chaud. Mademoiselle Olivia et Lucie se dirigent vers la voiture et y entrent. Mademoiselle Olivia met le contact et commence à sortir de la propriété. Elle roule quelques minutes et une fois arrivée dans le centre, dit à Lucie :
OLIVIA - Je dois faire une course, alors nous nous retrouvons ici, dans disons… dix minutes ?
Lucie sourit, prend dans ses bras Mademoiselle Olivia comme pour la remercier de sa discrétion, et toutes deux empruntent leurs chemins respectifs. Elle marche cinq bonnes minutes. Observant l’horizon, les vagues s’échouer sur la plage, les enfants s’amuser dans le sable et rire, elle profite de ce moment de solitude et de liberté auquel elle n’est pas habituée. Arrivée devant la poste, elle ne tarde pas à poster sa lettre et à retourner à la voiture. Bien qu’elle se sente plus en sécurité seule qu’accompagnée de toute son armée, elle sait qu’il ne faut pas qu’elle traîne trop longtemps dans la rue, surtout lorsque la nuit est en train de tomber.
Au bout de quelques minutes, elle arrive enfin près de la voiture, elle y attend et Olivia, et lorsque celle-ci arrive, elle y entre. Elle la regarde et dit :
LUCIE -C’est bon, on peut y aller !
* * *
Lucie, assise à la grande table, attend patiemment que l’on serve le dîner. Elle regarde son mari Jeremy, assis à son côté, le nez plongé dans son portable, l’air stressé. Elle observe ses yeux noirs, ses cheveux ondulés retomber sur son visage et son ses mains écrire un message à toute vitesse. Elle aimerait lui arracher son téléphone et lui ordonner de la regarder, lui demander comme s’est passé sa journée, qu’il s’intéresse à elle et qu’ils entretiennent une véritable vie de couple. Or, elle n’est pas douée pour cela, et elle ne conte pas faire d’efforts de si tôt. Alors, elle reste muette, elle reste assise et mange en silence.
LUCIE - Jeremy ? Tu pourrais rester avec moi le temps d’un repas si ce n’est pas trop te demander ?
Celui-ci lève la tête, la regarde et lui sourit gentiment. Il pose son portable à son côté. Ils continuent de manger en silence. Lucie ne sait plus quoi dire et regarde son assiette avec peu d’appétit et joue avec sa nourriture pour se distraire. Puis elle termine par poser sa fourchette près de son assiette et se lève brusquement de table. Se dirigeant vers leur chambre, elle laisse son mari terminer son repas seul dans le plus grand silence, et s’en va écrire dans son journal intime.