« With the lights turned up, it's hard to hide »

❝ MELISSA Ҩ CASSANDRE ❞

C'était une journée comme il y en avait beaucoup dans l'année. Allez savoir pourquoi, aujourd'hui tout le monde était malade, tout le monde avait quelque chose. Les urgences étaient bondés et je ne savais plus où donner de la tête. Bien que mon travail soit un véritable plaisir pour moi, j'aurais tout donné pour ne pas être de garde à l'heure actuelle. J'enchainais les patients, les ambulances, les soins. Sans m'arrêter, je faisais mon boulot, ce pourquoi j'étais payé, ce pourquoi j'avais étudié pour le faire. J'étais infirmier urgentiste après tout. Cette journée, je l'avais déjà vécu de centaines de fois. Elle ne devrait donc pas me faire peur. Pourtant, j'avais une certaine appréhension. Je ne comprenais pas pourquoi. Je ne pouvais même pas dire pourquoi j'avais cette boule dans l'estomac depuis le début de ma garde. C'était comme si quelque chose allait se passer comme si le pire était encore à venir. Et le pire arriva...

Je venais de terminer avec un énième patient lorsque je fus appeler à l'entrée des urgences pour recevoir une nouvelle patiente, arrivant directement en ambulance. Personne ne savait qui elle était. Personne ne connaissait son nom. C'était notre Jane Doe du jour. Je m'approchais de l'ambulance et à l'ouverture des portes, je restais sans bouger. « Tu la connais ? » Me demanda mon collègue médecin. J'acquiesçais d'un signe de tête. Qu'avait-elle fait ? Pourquoi avait-elle tenté de mettre fin à ces jours ? Je regardais la gravité de ses blessures sans comprendre le pourquoi de cet acte. Une question restait encore sans réponse : tentative ou suicide ? Psychologiquement, il existait une différence entre les deux. Physiquement, les conséquences étaient les mêmes quoi qu'il arrive. « Melissa. Elle s'appelle Melissa Prescott. » Nous l'emmenions alors aux urgences. Nous devions la soigner, l'empêcher de décéder, ici, sous mes yeux. Mais que lui était-il arrivée ? Je voulais comprendre. Et Aaron ? Savait-il que son amie allait si mal ? J'avais tant de questions en tête. Cependant, l'importance était d'empêcher la mort de la prendre aujourd'hui. Elle ne pouvait pas partir, pas si jeune. Elle ne pouvait pas. Elle ne le devait pas.

Sauvée et installée dans une chambre seule, j'attachais moi-même ses poignées aux barreaux de son lit. « Désolé... » Lui avais-je dit alors qu'elle était encore endormie. Mais je n'avais pas le choix. Tant qu'elle ne nous aurait pas dit ce qui l'avait poussé à mettre fin à ses jours, Melissa resterait ainsi, attachée sans pouvoir se déplacer, ni attraper un objet tranchant ou autre. Elle serait isolée jusqu'à ce qu'elle nous éclaircisse sur la situation.

Trois heures plus tard, alors que ma garde était enfin terminée. Je me dépêchais de me changer pour rejoindre cette femme que je n'aurais jamais cru voir ici. En tout cas, pas dans cet état. Je ne comprenais pas comment un être humain pouvait en venir au suicide. C'était une façon lâche de perdre sa vie, de tout abandonner dans le seul but de se satisfaire d'un problème pouvant disparaître de lui-même. C'était également un acte égoïste de sa part. Que penserait Aaron de tout ça ? Qu'allais-je dire à ses proches, ses amis ? Elle me devait des explications et maintenant que j'étais libre, je pouvais attendre dans sa chambre qu'elle m'avoue enfin ces sombres pensées. J'entrais alors dans la chambre de la façon la plus discrète possible, fermant la porte avec délicatesse pour ne pas la réveiller. Je me retournais vers le lit et constatais alors qu'elle était déjà éveillé. Je me sentais soudainement idiot. Tant pis, je n'étais pas à plaindre. Entre nous deux, je n'étais pas le plus idiot, ni le plus honteux. Je m'approchais de Melissa, la regardant avec un visage montrant mon incompréhension. J'attrapais une chaise au passage et je m'installais au pied de son lit. Un seul mot sortit. « Pourquoi ? »

Plus les minutes passaient, plus la colère montait en moi. Je ne comprenais pas l’intérêt de m’attacher comme une vulgaire déséquilibrée. Je n’étais un danger pour personne après tout ! Alors il n’y avait aucune, mais vraiment aucune raison que je me retrouve bloquée de la sorte. En plus, c’était assez dégradant comme position. Ça avait blessé le peu d’amour propre qui me restait, c’est pour vous dire ! Mais je n’avais d’autre choix que d’attendre que quelqu’un vienne dans cette foutue chambre et, visiblement, le personnel de l’hôpital n’était foutrement pas décidé à passer me voir. Très rassurant tout ça…

Mais le miracle arriva au bout d’un certain temps, qui me parut être une éternité. J’entendis des bruits de pas se rapprocher de la porte de ma chambre. J’eus une petite hésitation quant à la posture à adopter. Devais-je me la jouer chien battu au risque de finir shooté aux médicaments, ou devais-je laisser exploser ma colère et mon indignation envers le traitement auquel j’avais eu droit au risque de finir sous sédatif et enfermé dans un asile de fous… Le choix fut vite fait. Ce sera ni l’un, ni l’autre.

J’espérais que la personne qui franchisse la porte soit une jeune infirmière, fraichement arrivée dans le service. Je pourrais l’embobiner avec diverses mimiques pour l’émouvoir et surtout, pour qu’elle me détache – je ne supportais vraiment plus d’être immobilisée de la sorte. Même les animaux n’avaient pas droit à une telle humiliation…

Seulement tous mes espoirs s’envolèrent et la honte vint accompagnée son amie la colère. Je n’avais absolument pas prévu un tel schéma. Je n’avais même pas émis l’hypothèse que l’hôpital dans lequel je me trouvais pouvait être la Pitié… Et je peux vous dire qu’une telle prise de conscience eu l’effet d’une douche suffisamment froide pour me bruler la peau. Je me sentis soudainement en grande difficulté pour respirer, comme si le fait que Cassandre ait ouvert la porte avait vidé la pièce de tout son oxygène. Des milliards de questions aux réponses toutes trouvées se bousculèrent dans ma tête et je priais tout et n’importe quoi pour que mon hospitalisation n’arrive aux oreilles de personne qui m’était connue, même si je savais très bien que ça ne changerait rien. J’aurais peut-être droit à des fleurs immondes avec une petite carte me souhaitant un bon rétablissement, au mieux.

Je me retrouvai donc face à Cassandre. Un long soupir m’échappa mais cela décrivait à merveille ce que je ressentais en cet instant. Cette entrevue me gonflait avant même d’avoir commencé. Parce que je n’allai pas pouvoir esquiver le passage des explications de mes actes alors que je n’avais absolument pas envie d’en parler, surtout pas au premier – et seul – venu, parce qu’il y avait de très grosses chances qu’Aaron soit au courant de la chose, et je n’avais absolument pas envie de me retrouver dans la même pièce que lui. Autant dire que ce qui m’attendait était tout, sauf agréable. D’autant plus que le visage de Cassandre était d’une gravité à me donner la gerbe. En plus, ce n’était pas comme s’il était mon ami ou je-ne-sais-quoi. Il était seulement l’ex-cocu de l’autre trou du cul. Cassandre n’avait strictement rien à faire ici. Rien du tout.

Le temps allait être encore plus long à présent, je le savais. D’autant plus que Cassandre s’était assis sur mon lit tout en me demandant « pourquoi ». Je la regrettais déjà la petite infirmière…

« Et pourquoi pas ? Rétorquai-je au tac o tac »

Je n’étais pas disposée à discuter. Pas tant que je serais attachée. Pas tant que je n’aurais pas fumé et bus un café.

« Par contre, ça, ce n’était absolument pas obligé. Dis-je en désignant les liens d’un signe de la tête. Je n’ai pas encore basculé dans une violence folle, à ce que je sache… Quoi que ça ne saurait tarder vu que je ne peux ni fumer, ni boire un café. »

Voir Melissa dans un tel état me rappelait de sombres souvenirs. Moi aussi j'étais arrivé comme ça, une fois, à l'hôpital. Moi aussi j'étais tombé aussi bas que j'avais eu beaucoup de mal à me relever. Moi aussi, j'avais failli y passer. Une overdose en pleine rue. Une sœur en plein désespoir. J'en avais fais des conneries mais celle de commencer ces substances étaient la pire de toutes. Aujourd'hui, j'avais été spectateur d'une situation similaire. C'était difficile, et même si je ne connaissais pas très bien la demoiselle, j'étais inquiet pour elle. Pourquoi avait-elle fait ça ? Pourquoi en était-elle venu à ce point-là ? Aaron n'avait-il rien fait pour l'en empêcher ? Tout n'était qu'incompréhension. Depuis que j'avais été si odieux avec le neurochirurgien et Melissa sur Facebook sous l'effet de quelques drogues, je les avais complètement délaissé. La douleur sous ces drogues m'avait mené vers des chemins que je n'aurais jamais cru pouvoir emprunter. L'important était que tout allait bien aujourd'hui. Cependant, j'avais toujours cette culpabilité et cette honte envers la jeune Prescott qui me rongeait.

J'étais désormais dans sa chambre. Je m'étais glissé silencieusement, croyant qu'elle dormait encore. Idiot, je passais une main dans mes cheveux avant de prendre une chaise que je glissais jusqu'à son lit pour m'asseoir dessus et épeler simplement un mot. Pourquoi ? C'était la question que je me posais depuis le début, depuis que je l'avais vu aux urgences. Pourquoi ? « Et pourquoi pas ? » Me répondit-elle au tac-o-tac. Sa réponse me déstabilisa. Une tentative de suicide, ce n'était pas rien et j'avais l'impression qu'elle se foutait de tout. Elle ne voulait pas parler. Elle ne voulait certainement pas me parler. C'était compréhensible après tout ce que je lui avais dit, après ce que j'avais fais à Aaron. « Par contre, ça, ce n’était absolument pas obligé. Je n’ai pas encore basculé dans une violence folle, à ce que je sache… Quoi que ça ne saurait tarder vu que je ne peux ni fumer, ni boire un café. » Attachée à son lit, je regardais les liens qu'elle désignait par un signe de tête. Je ne pouvais rien y faire. Certes, je les avais en place, j'avais attaché le jeune Prescott mais je n'étais pas assez fou pour la libérer sans avoir discuté avec elle. « Tu nous fais quoi là ? Une nouvelle scène de Virgin Suicides ? » Lui demandais-je sur un ton sérieux. Je ne rigolais pas. Je n'avais pas rigolé depuis que son arrivée, tiraillé entre l'envie de prévenir Aaron ou d'attendre. J'avais attendu jusque là. Ce n'était pas là un choix altruiste pour Melissa mais une décision égoïste de ma part. Je ne voulais pas le revoir. Pas encore. « Aaron est au courant que t'es tombée aussi bas ? » Aaron. Notre seul point commun à l'heure actuel. La seule personne qui nous avait rapproché puis éloigné. Un homme que j'avais aimé et qui m'avait trompé. Aaron Parker. Un nom que je n'étais pas près d'oublier pour le meilleur et pour le pire.

Je plongeais mon regard azuré dans celui de la jeune femme. Attraper sa main aurait été une erreur. Je restais donc immobile sur ma chaise, attendant je ne sais quoi. Un silence apparut dans la pièce. Je finis par me racler la gorge et prendre la parole. « Je te détacherais une fois que l'on aura parlé. C'est ça ou rien. A toi de savoir ce que tu veux vraiment. » J'avais posé mon ultimatum. Soit elle décidait de parler et je la détacherais. Soit elle pouvait rester muette sur son histoire mais elle resterait alors attachée à son lit pour le reste de la journée, et même cette nuit.

La situation était toute aussi désagréable que déconcertante. Qui aurait cru qu’un ancien toxicomane, passé non loin d’une mort imminente, en vienne à me faire une quelconque leçon de morale ? Avec un peu de recul, je trouverai ça certainement marrant. Mais en l’occurrence, le recul, je ne l’avais pas et donc, je trouvais ça plutôt déplacé et extrêmement gonflant. J’avais cette sensation d’être un petit enfant que l’on aurait pris sur le fait, en train de faire une énorme bêtise. Bref, j’étais très énervée et la réflexion de Cassandre me fit monter un peu plus en pression et j’eus assez de difficulté à le cacher.

« Si tel avait été le cas, saches que notre rencontre aurait eu lieu dans un endroit beaucoup plus charmant que l’on appelle la morgue. Répondais-je, sarcastique. »

Je crois bien que le pire dans tout ça était que j’allai devoir passer à table d’une manière ou d’une autre. Je savais très bien que c’était inévitable, mais je n’avais guère envie de me justifier. De raconter ma vie à Cassandre, ni à qui que ce soit d’autre d’ailleurs. Je voulais juste retourner dans mon appartement minable et boire à m’en mettre minable pour faire passer une bonne dose de somnifère pour me réveiller vingt-quatre heures après, avec une migraine si carabinée qu’elle me prendrait la tête pendant trois jours. Trois longues journées durant lesquelles je m’enfoncerai un peu plus dans l’art de vivre comme un ermite. Mais ce n’était qu’un doux rêve, je le savais. J’allai devoir rester ici pour un temps indéterminé pour une raison qui l’était tout autant.

Je fus bien dégoutée, quoi que pas du tout surprise, que Cassandre mentionne le nom d’Aaron. C’était hors propos à présent. Aaron faisait sa vie de son côté. Tout ça, ce n’était à mes yeux qu’une belle illusion. Je n’avais jamais été amie avec cette personne. Je m’étais faite joliment manipulée et ça s’arrêtait là. Mais je dois bien avouer avoir été légèrement déconcertée que Cassandre, celui qui avait appris en dernier qu’il était cocu, me parle de l’autre. Enfin, chacun fait comme il veut, tant que je pouvais espérer sortir d’ici demain au plus tard.

« Je ne connais personne de ce nom-là. »

Et le silence fut. Je ne comptais pas parler. Je ne comptais pas pardonner Cassandre du traitement qu’il me faisait. C’était beaucoup trop facile de tenter d’arriver à ses fins en m’attachant comme une malade mentale. C’était beaucoup, beaucoup trop facile. Qu’il aille se faire foutre, lui et le reste du monde. Si personne vient me détacher, je me débrouillerai pour ronger les liens avec mes dents, ce n’était pas un souci. Mais en toute franchise, je commençai sérieusement à perdre patience.

Le ton employé par Cassandre, assis en face de moi sur une chaise, comme dans un interrogatoire de série policier cheap, me fit perdre définitivement mon calme. J’étais fatiguée, et je détestais cet hôpital, cette chambre. Je voulais retrouver mon canapé, mon chat et mon appartement puant le renfermé. Je voulais que l’on me foute la paix.

« Ecoute-moi bien, Cassandre. Si t’as envie de faire le cowboy, trouve-toi un autre pigeon. Tu veux que je te parle ? Désolée, mais je ne déballe pas ma vie à un vulgaire inconnu. Donc puisque c’est ça ou rien, dégage. »

Je ne savais pas quoi lui dire, quoi faire. Melissa ne semblait aps réceptive à ma présence dans sa chambre suite à cette tentative de suicide qu'elle avait faite. Une tentative... Je préférais nettement cela qu'à un suicide. Voulait-elle simplement réellement se suicider ou n'était-ce qu'un appel à l'aide ? Je n'en savais rien. Je ne savais rien et je ne saurais jamais rien puisqu'elle ne voulait pas parler de ce sujet. « Si tel avait été le cas, saches que notre rencontre aurait eu lieu dans un endroit beaucoup plus charmant que l’on appelle la morgue. » J'émettais désormais des doutes suite à ces paroles concernant le dénouement qu'elle aurait souhaité. La morgue n'était pas la solution. La mort, non plus. Je restais dès lors silencieux.

Pourtant, je repris la parole, pensant qu'une aide autre que la mienne pourrait lui être utile. Je pensais immédiatement à Aaron car dans mes derniers souvenirs, ils étaient encore proches tous les deux. La dernière fois que je les avais eu tous les deux ensemble, c'était sur Facebook et je leur en avais lancé plein la gueule, à tous les deux. « Je ne connais personne de ce nom-là. » Surpris, j'avais la bouche entre-ouverte. Que s'était-il encore passé ? Pourquoi ? Non, je ne devais pas m'y intéresser. Je devais oublier cette curiosité incessante qui me demandait d'assouvir ces envies de potins et d'informations. Le silence s'installa alors entre nous. Je ne savais pas comment enchainer, ni même si je devais lui parler car elle ne le voulait pas. Cependant, il fallait tout de même que je tente quelque chose. Elle désirait être détaché et je voulais connaître les raisons d'un tel acte. Un compromis entre les deux parties pourraient être avantageux pour nous deux. Je présentais alors mon alternative à la situation actuelle.

« Ecoutes-moi bien, Cassandre. Si t’as envie de faire le cowboy, trouve-toi un autre pigeon. Tu veux que je te parle ? Désolée, mais je ne déballe pas ma vie à un vulgaire inconnu. Donc puisque c’est ça ou rien, dégage. » Elle n'était pas du tout réceptive à mon idée. Je la regardais, la fixais même un instant avant de jeter un regard sur ces mains attachées à son lit. Je soupirais et je me levais finalement de ma chaise. Je le remis à sa place avant de m'appuyer sur le pied de lit de Melissa. « J'aurais bien aimé pouvoir t'aider mais tu ne le veux pas. » Lui dis-je sur un ton calme. « Je m'en vais alors, comme tu le souhaitais. » Je tentais un demi-sourire dans sa direction, m'approchant de la jeune femme. Je lui retirais ses attaches avec douceur et sans la regarder, je retournais sur mes pas pour sortir de sa chambre. Main sur la poignet de la porte, je commençais à la tourner.