« Aurèle, tu aides à attacher les lacets de maman? » Le petit garçon de sept ans, dénommé 'Bouton d'Or' par ses dames en plumes, s'approcha d'une sulfureuse créature au regard tendre camouflé derrière une langue épaisse de maquillage. Elle s'appelait Josette, mais tout le monde la surnommait « Lady Red ». La raison était toute simple. Josette ne s'acquittait pratiquement que de rouge, sa couleur préférée, proche du sang se plaisait-elle à préciser, le sourire sardonique. C'était une danseuse talentueuse, usant habilement de ses charmes pour s'attirer les faveurs de ses clients. Elle était la petite perle du Moulin rouge, et elle se plaisait à le montrer à ses consœurs, éveillant mainte fois leur jalousie, si farouche puisse-t-elle être. Aurèle était l'existence même qui adoucissait la colère de ces muses. Ce petit bout de chou rendait mielleuses ces gentes dames, transformée en guimauve devant le petit bonhomme à la bouille d'ange. « Comment me trouves-tu? » Josette fit une petite pirouette sur elle-même, soulevant ses plumes rouges avec légèreté, digne des ailes d'un ange, un ange déchu. « Tu es très belle maman » Un sourire étira les lèvres pulpeuses de la jeune femme qui déposa un baiser affectueux sur le front du petit ange. Son petit ange. Au début, elle avait renié cette grossesse, jurant par mille tonnerre l'existence de ce fœtus, mais lorsque son regard à croisé celui du nourrisson, son cœur s'est déchainé contre sa poitrine. Celui qu'elle avait tant détesté était devenu celui qu'elle chérissait tant. Aurèle était la meilleure chose qui lui était arrivée. « Tu veux voir maman danser? » Bouton d'or acquiesça d'un signe de la tête, le regard pétillant et la bouche étirée en un large sourire enfantin. Josette fondit. « Tu n'auras qu'à te faufiler derrière les rideaux, près de Madame Pumpkin » Alors qu'une foule de spectateurs applaudissaient déjà les prouesses futures de Lady Red, Aurèle, lui, se cachait derrière près des appareils liés à l'éclairage et au décor, scrutant d'un œil avisé les démonstrations magiques de sa mère. Chacune de ses prestations l'émerveillait. Sa mère était la plus belle des fées, ou peut-être était-ce une sirène?

Y a rien de plus ravissant que de voir un égo meurtri sur le beau visage d’un ange.

Depuis combien de temps je la regardais? Dix minutes? Trente? Une heure? Peut-être même plus. Son regard était figé, dénué de mimiques, comme un 'poker face'. Nulle ride, nulle imperfection ne venait salir son visage de marbre, blanc comme l'épais manteau de neige qui s'étalait sur Paris en hiver. Sa bouche était légèrement entrouverte, comme un appel à un baiser mortel. Ses lèvres m'appelaient, me criaient de les embraser d'un baiser brûlant. Mais ce qui avait brutalement attiré mon regard n'était pas sa beauté de porcelaine mais son regard glacé. Des prunelles émeraudes qui semblaient avoir convoité la mort en personne. Je n'arrivais pas à m'en détacher...Quelque chose comme une force obscure m'attirait vers elle. Elle m'était inconnue, et je n'avais cure de son identité. Son corps semblait avoir été soigneusement allongé sur ce lit de fleurs, des œillets précisément. Au moins, son bourreau s'était montré un tant soit peu respectueux à l'égard de son idylle. J'admirais son chef d'œuvre. Sa beauté mortelle m'arracha le palpitant. Les mains moites, la gorge sèche, j'étais assailli par des décharges électriques. Comment était-elle morte? Par quel procédé machiavélique son prédateur s'y était-il pris pour lui arracher son dernier souffle? Depuis combien de temps gisait-elle là, au beau milieu de la forêt, plongée dans un mutisme impénétrable? Toutes ces questions me tiraillaient comme une vulgaire boîte de conserve. Perdu dans mes pensées, je remarquais seulement l'ombre qui s'étalait comme un épais nuage au-dessus de ma tête. Une étincelle, une lame parfaitement aiguisée...Je n'avais même pas eu le temps de voir le visage de mon assaillant qu'il m'arracha une plainte sauvage, étouffée par la douleur criarde.

«AAAAAAAAAAH »

Une douleur le tiraillait au niveau de la poitrine, comme si une main houleuse comprimait avec conviction son myocarde. En transe, la respiration saccadée, il peinait à reprendre son souffle, les pupilles dilatées. Son thorax se soulevait et s'abaissait frénétiquement, et des perles de sueur sillonnaient jusqu'à l'angle de sa mâchoire. Ce n'était qu'un cauchemar...comme chaque soir depuis son enfance. Ses démons du passé le poursuivaient sans relâche tels des loups affamés, avides de chaire et de sang. Ses yeux virevoltèrent vers la table de nuit qui épousait le flanc droit de son lit, où reposait une petite boite de gélules immaculées de blanc. Il en avala une, engloutissant accessoirement quelques gorgées d'eau. Lentement, il retrouva les bras de Morphée, loin des tourments qui hantent ses nuits d'insomnie.

« Je sais comment te faire facilement gagner de l'argent » Aurèle regarda avec curiosité le prénommé Jamie, un garçon avec qui il avait déjà partagé quelques danses dans la rue. Depuis la mort de sa mère, il avait du se débrouiller pour trouver de l'argent. Les muses du Moulin Rouge l'avaient pendant longtemps aidé à subvenir à ses besoins, mais son indépendance revenait au galop. Il les avait remerciées, et les avait quittées avec regret, après avoir promis sous la menace d'un couteau de revenir leur rendre visite. Sa rencontre avec Jamie marqua un tournant décisif dans sa vie. Du jour au lendemain, le petit homme à tout faire était devenu stripteaseur, un métier qu'il affectionne beaucoup à l'heure actuelle, et qu'il prend...très au sérieux.