Elle était là, assise devant son piano, effleurant des bouts de ses doigts les touches du clavier. Elle était tellement emportée par la mélodie qu'elle ne prêta pas attention aux cris provenant de la cuisine ni à la porte qui se ferma d'un coup sec. Une petite tape sur l'épaule suivi d'un petit baiser sur la joue la fit sortir de ses pensées.
Neazel. Qu'est-ce qui se passe ? Le jeune brun essuya rapidement ses yeux avant de répondre avec un sourire chaleureux
Rien. Suis-moi. Elle n'avait que onze-ans et pouvait pourtant ressentir la douleur et la haine que son demi-frère essayait de lui cacher. Elle n'insista pas, le connaissant pas coeur. Elle savait très bien qu'il n'allait rien lui dire et lui fit donc confiance. Il lui demanda de se dépêcher et elle le suivit sans poser de questions. Quinze longues minutes de marche et toujours rien. Subitement, il s'arrêta devant une petite cabane en bois qu'il avait découvert récemment en compagnie de son meilleur ami Jacques. Il se tourna rapidement vers Hécate, lui adressa son sourire si confortant et habituel puis lui demanda:
Tu me fais confiance ? Il n'attendit pas sa réponse étant donné que c'était une question n'attendant pas de réponse. Il pouvait lire ses pensées rien qu'en la regardant dans les yeux. Il ajouta alors en la prenant par la main:
Aujourd'hui, on va pas rentrer à la maison. Ce fut leur toute première fugue.
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Mais Hécate, regarde-moi. Qu'est-ce qui se passe ? Elle l'ignora encore une fois et tourna la tête dans la direction opposée.
Mais je n'ai rien fait. Dis-moi ce que j'ai fait. Hécate-Eden, s'il te plait. Le jeune garçon la rattrapa rapidement et la força à le regarder essayant de lui tirer le maximum d'informations. Pourtant la veille ils avaient passé toute la journée ensembles - tous les trois - comme toujours. Il était perdu, ne comprenait pas ce qui avait changé du jour au lendemain.
Je t'ai vu Jacques. Je sais que tu as dit à Emma que je n'étais que la soeur de ton meilleur ami. Le jeune garçon ne pouvant se retenir, explosa de rire ce qui offensa Hécate d'avantage. Elle lui jeta un regard noir avant de prendre son sac à dos et quitter la salle de classe. Pouvant enfin reprendre un rythme normal de respiration, Jacques se dépêcha de la rattraper la forçant à nouveau de le regarder.
Hécate je savais très bien que tu étais susceptible, mais pas à ce point. Ma parole comment tu te vexes rapidement. Il lâcha encore une fois un petit rire puis reprit son sérieux :
Je rigole, calme-toi. Je croyais que tu me faisais confiance. Tu connais Emma, elle est très bavarde. J'avais peur qu'elle ne s'en mêle et raconte absolument tout à Neazel. Je ne veux pas vous perdre tous les deux. Maintenant tu te calmes, petite jalouse. Il explosa de rire une troisième fois et Hécate n'eut même pas le temps de répondre vu qu'ils furent tout de suite interrompus par la voix de Neazel
Dépêchez-vous bon sang. Le cours va bientôt commencer. Hécate tira la langue à Jacques et à peine avait-elle tourné le visage que le jeune garçon lui vola un baiser et courut rapidement vers la salle, afin de rejoindre son meilleur ami.
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Melle Scott ? Melle Scott ? C'est à vous. Ce sourire nostalgique se transforma en une petite grimace au moment ou elle entendit la voix aiguë de monsieur Anderson. Elle laissa échapper un soupir désespéré avant de le suivre dans son bureau. Toujours la même décoration: le même grand divan installé au fond de la pièce, cette lampe ridicule en forme de femme cubaine et finalement le fameux fauteuil tout vieux, tout grincheux... exactement comme son propriétaire. Elle se demandait comment les gens pouvaient supporter cette routine, cette vie si monotone et lasse. Pourtant c'est tellement simple. Il aurait suffi de déplacer les meubles pour donner un peu de vie à cette pièce misérable et pleine de malheur.
Installez-vous. Vous savez très bien comment on procède. Comme toujours soixante minutes. Soyez à l'aise. On commence quand vous le voulez. Oh oui, elle sait très bien comment cela marche. Elle collectionne les psychologues depuis l'âge de 14 ans. Et ce nombre s'est multiplié il y a trois ans.
Revenons au tout début de l'histoire, le déclenchement de ce malaise. Le noeud. D'après vous, c'est quoi ? Elle arqua les sourcils suite à cette question, c'était une de ses nombreuses manies. Elle arque toujours les sourcils quand elle essaie de réfléchir à une question.
Honnêtement ? Je ne sais pas. Ou peut être que si. J'ai toujours été heureuse. J'ai passé une enfance vraiment agréable. J'étais comblée, épanouie. Je pouvais avoir tout ce que je voulais; non j'avais absolument tout ce dont j'avais besoin et je ne demandai rien de plus. Il était là, c'est tout ce qui m'importait. Lui ? Hécate ouvrit grand les yeux au moment ou le Docteur l'interrompit. Elle se transforma en un instant en cette petite fille offensée et blessée. Ce ne fut pas l'interruption en elle-même qui l'offensa mais plutôt la question de monsieur Anderson. Pour elle, le faite d'oser poser cette question, de se demander qui était ce "lui" dont elle parlait, était absurde. C'était tellement évident. Elle répondit donc d'un ton sec:
Lui. Neazel; qui d'autre ? Sa relation avec son demi-frère a toujours été "anormale", malsaine... Dans le sens pervers du terme (
). A vrai dire je ne sais pas si c'est correct de qualifier cela de malsain ou pire d'inceste étant donné qu'aucun lien de sang ne lie les deux jeunes. A vrai dire, la maman de Hécate a toujours été une mère célibataire et cela a bien évidemment été très dur. C'est seulement le jour ou elle rencontra monsieur Scott, que toute son existence changea. Oui il était riche certes mais ce n'était pas à cause de cela qu'elle accepta de l'épouser. Elle aussi était très riche, la famille Levy était très connue à Londres. Ce qui l'avait convaincu d'accepter son offre c'est le fait qu'il ait un petit garçon. Hécate était une fille unique souffrant d'un trouble Bipolaire; elle était donc un peu considérée comme une fille anormale, "bizarre". Elle n'avait pas d'amis et cela a toujours inquiété Mme Levy. Elle pensa donc que le fait d'épouser Monsieur Scott allait résoudre ce grand problème et ramener à Hécate un frère qui l'aimera d'un amour inconditionné. Bref. Etant donc les seuls enfants de Amanda et James Levy-Scott, ils ont appris à compter l'un sur l'autre. Le fait qu'ils aient le même âge a bien évidemment joué un rôle important vu qu'il y avait d'emblée ce lien fort et puissant qui les liait. Mais c'est aussi leur éducation ou plutôt le milieux dans lequel ils ont grandi qui a renforcé d'avantage ce lien extraordinaire. La famille Levy-Scott fut donc l'une des famille les plus réputées, les plus riches et aristocrates de toute l'Angleterre et encore plus dans leur village paumé du sud. Monsieur et Mme Levy-Scott étant très occupés à ramasser une fortune, n'avaient pas beaucoup de temps pour voir leurs enfants. Certes ils ne les avaient privés d'absolument rien mais n'étaient quasiment pas présents. Des anniversaires ratés à cause du travail de monsieur Scott; des Noëls passés tous seuls vu que leurs parents devaient se rendre à une fête bien importante et plein d'autres évènements. Ceci ne fit donc que lier les deux enfants d'avantages. Ils passaient leur temps ensembles. Neazel prenait soin de sa demi-soeur vu qu'elle était de nature distraite, toujours la tête en l'air et aussi à cause de sa maladie psychique; et elle en contre partie le protégeait du mieux qu'elle le pouvait. Cette relation si forte et irréelle créa beaucoup de jaloux et jalouses. Leur entourage les enviait. Ils étaient la plus part du temps offensés que les deux enfants ne cachaient guère le faite qu'ils ne faisaient confiance à personne d'autre qu'eux mêmes.
Une fois plongée dans ses pensées, Hécate se laissa emporter à l'une des périodes les plus heureuses de son existence: son enfance.
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Oh mais, c'est que Neazel doit être un bon petit mouton... Faire comme le fils des Harter et épouser une petite pouffiasse toute riche alors même que ça ne lui sert à rien puisque son père est riche pour encore douze générations. Non l'amour ne fait pas tout, il faut de l'argent, surtout... Et blablabla, et blablabla. Mais merde, j'en ai marre de ce foutu discours. Laissez-nous tranquilles. Je ne comprends pas; depuis quand on se soucie de ce que les voisins pensent de nous. Je l'aime maman, tu comprends ? Je l'aime et il m'aime et je ne vois pas de quel droit vous vous permettez d'intervenir, merde. Elle se leva brutalement de la table, prit son manteau puis ajouta:
Et vous nous emmerdez avec vos mensonges à la con. Papa accepte-le on est amoureux, tu ne peux rien y faire. Et puis p_tain arrête de faire croire à tout le monde que l'on est seulement frères et soeurs et qu'on est une famille normale. Car tu sais quoi ? Oh la grande surprise de la journée. ON NE L'EST PAS, B_RDEL DE MERDE. Sur ce, elle leur adressa un dernier regard et quitta le restaurant.Mm, oui. Vous ne rêvez pas. Ce déjeuner était tout simplement la goûte d'eau qui a fait déborder le vase. Hécate a toujours été cette fille gentille mais son explosion d'aujourd'hui était suite à une accumulation de vingt ans. Elle pouvait tout supporter sauf que l'on s'en prenne à Neazel. A vrai dire, ils vivaient dans un village plutôt isolé et petit donc les rumeurs circulaient facilement. Et les gens quand ils deviennent jaloux se transforment rapidement en ces personnes méchantes et qui se mêlent absolument de tout. Ils n'arrêtaient pas de parler sur la relation liant Neazel et Hécate comme quoi c'était anormal, malsain; qu'ils ne se cachaient même pas et se permettaient d'exprimer leur amour devant tout le monde. Certains sont allés même à qualifier cela d'inceste, de démoniaque. Ce jour là, ou plutôt ce déjeuner poussa Hécate à prendre la décision la plus difficile de sa vie: quitter ce foutu village maudit, quitter l'Angleterre, quitter cet entourage qui l'étouffait, quitter sa famille... Mais le plus dur fut de quitter Neazel.
Bref. Ayant un très beau corps et un visage charmant, elle se fit vite remarquer par une compagnie de mannequinat plutôt connue. Elle décida donc d'aller vivre en France, plus exactement à Paris ou se trouvait cette compagnie. Elle s'est donc envolée à Paris ou elle poursuivit ses études en Littérature Moderne tout en continuant sa carrière de Mannequin.
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Je suis désolée, mais c'est pour ton bien. Je te libère de mon emprise, des rumeurs horrifiantes des gens et de leurs regards remplis de dégoût. A présent tu es libre, Neazel. Tu peux faire tout ce dont tu as toujours eu envie. Tu te rappelles ? Tu m'as toujours demandé ce que ça pourrait être que de sortir avec une fille brune... et bien maintenant tu peux essayer cela et m'en parler. Tu peux tout faire, absolument tout. Je sais que tu me le pardonneras jamais mais j'espère qu'avec le temps tu pourras oublier. Sache que je t'aimais, je t'aime et je t'aimerai pour le restant de mes jours. Je vais partir, je vais enfin réaliser mon rêve et devenir mannequin, Neazel. Tu m'as toujours encouragé, tu t'en rappelles. Non, je ne vais pas te dire ou est-ce que je pars car comme ça tu ne seras pas libre. Et puis rappelle-toi de ce que je t'ai toujours dit: si un amour est vraiment pur entre deux personnes, le destin fera en sorte qu'ils se retrouvent. Je suis désolée, Neazel. J'espère que tu oublieras car le temps guérit les blessures. Bref. Mémorise bien cette phrase. Tu te rappelles ? C'était notre chanson préférée depuis tous petits. "Te raconter enfin qu'il faut aimer la vie et l'aimer même si ; le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants". Je t'aime. Adieu.Le petit papier était si délicat, sur le point de se déchirer tellement il était rempli de larmes. Son écriture n'était pas très claire vu que sa main n'avait cessé de trembler. Elle posa la petite fille sur la table de nuit du jeune homme avant de déposer un long baiser doux sur ses lèvres et de murmurer un " pardonne-moi " . Les yeux remplis de larmes, essayant de retenir ses sanglots ;elle quitta discrètement la chambre pour une nouvelle vie, une nouvelle aventure à Paris.