Ma vie est, a été et sera, qu'on se le dise, loin d'être belle, simple et heureuse. En fait, personne ne devrait envier ma vie. Je n'ai jamais été orpheline, je n'ai jamais eu une maladie rare ou, voire et incurable mais ce que j'ai traversé, je ne le souhaite à personne. Cela peut paraître orgueilleux, mais je préfèrerais de loin avoir vécu dans une famille modeste plutôt que d'avoir dû traverser toutes ces épreuves.

Je sais que beaucoup d'entre vous auront la flemme de lire toute mon histoire. Alors, sachez en résumé que je suis sourde et que je lis sur les lèvres pour comprendre les gens, que j'ai un frère avec qui mes relations sont plus que compliquées, que je suis coiffeuse professionnelle et écrivaine à mes heures.

Everybody hurts.

Il y a toujours un moment, dans notre vie, qui doit être joyeux, heureux. Enfin, ils disent tous ça. Et bien, détrompez-vous. Ma naissance a été un long moment, très douloureux, pour ma mère et moi. En réalité, pour faire simple, elle est décédée à ma naissance, et moi, je suis né sourd et atteint d'un asthme très grave, ma mère fumant comme un camionneur avant ma naissance. Tout ce qu'il me restait de famille étaient un père ivre du matin au soir, du soir au matin, deux grands frères et une grande sœur. Tous les quatre me prirent indubitablement pour responsable de la mort de ma mère, j'étais dès le début un refoulé de sa fratrie, un rebut, un détesté, un gosse à qui on n'offrira jamais rien que des baffes et des mots vulgaires. Le début de ma vie s’annonçait mal, mais si j’avais su que cela empirerait à mesure que je vieillirais, je ne me serais jamais plaint intérieurement. C’était bien simple, j’étais nourri une fois sur deux, plus maltraité que le pauvre bâtard de chien que nous avions dans la maison et qui était un souffre douleur des plus libérateurs pour ma famille et la lumière du jour était inconnue pour moi. Alors que je grandissais peu à peu, tout était encore plus difficile pour moi. Lorsqu’on m’appelait, je ne réagissais évidemment pas. Et tout ce que trouvaient mes frères et mon père à faire, c’était de me frapper. Encore et toujours. Au bout d’un moment, ma sœur se mit quand même à se préoccuper de mon cas. J’avais trois ans et je ne parlais encore pas. C’est elle qui a poussé mon père à me faire passer des tests, qui ont abouti à une conclusion des moins chanceuses : j’étais sourd. Mal m’en a pris. Longtemps, mon père s’est servi de cela pour se foutre de moi. J’allais dans une école normale, et c’était insupportable. Ne rien comprendre, ne rien pouvoir faire. Seul, j’appris à lire sur les lèvres avec ce que je pouvais pour saisir les mots des gens, les comprendre, et tenter de les émettre moi-même. Bien lourde tâche.

Tant bien que mal, je réussissais, avec ma propre aide, à communiquer avec les gens. C’était très difficile, mais je faisais comme je pouvais. Le seul problème, c’est que personne ne croyait à ce que je disais, quand je parlais du moins. Personne n’a jamais pris au sérieux l’attitude de mon père et de mes frères et sœur. Alors, même si le fait de pouvoir communiquer avec les gens ne me servait plus à grand-chose, j’ai continué de tenter d’améliorer mes mots, ma facilité à lire sur les lèvres, et cætera. J’ai ainsi pu passer une adolescence et une jeunesse plutôt facile au niveau de mes études. J’étais même quelqu’un que tous les professeurs adoraient. Je ne parlais jamais durant les cours et j’avais toujours une moyenne avoisinant les dix-huit. Socialement, en revanche, c’était loin d’être facile. Je n’ai jamais eu d’amis, en réalité. Rien ne m’y aidait. Ni mon physique, ni mes divers problèmes, mentaux ou physiques eux aussi. J’ai préféré suivre les meilleures études possibles avec les pauvres moyens que me laissait mon père et laisser tomber le reste. Avancer seul fut difficile, mais je décrochais tous les diplômes que je voulais très vite. Je n’ai jamais vraiment été passionné par quoi que ce soit, certainement parce que j’ai vite été blasé par ma pauvre vie. Mais, dans le but de pouvoir dire que j’avais fait quelque chose de bien dans cette dernière, j’ai décidé d'intégrer la police scientifique. Même si aller sur le terrain est presque prohibé pour moi. Je pourrais, si seulement j'avais cet appareil de fortune qui me permettait d'entendre pour la première fois. Mais, avec l'argent que me laisse mon père, et le salaire que je me paie (façon de parler), ce serait vraiment une aubaine d'espérer un jour y toucher autrement qu'avec les yeux.