Quand on fait une grosse dépression, on a tendance à rechercher le soleil, les beaux paysages et un entourage jovial, affectueux, blah blah blah. Eh ben ce n'est apparemment pas la vision de mes chers parents. Non, pour eux, quand on tombe dans un mutisme complet, qu'on ne dort plus, qu'on ne mange presque plus, qu'on ne se lève plus de son lit, en gros quand on fait une grosse dépression, le lieu parfait pour s'exiler un moment, c'est chez sa vieille tante de 56 ans, loin de chez sa Californie natale, dans un endroit où il pleut tout le temps et où on ne connait personne. Oui oui, je viens d'arriver à Paris pour "m'aérer l'esprit et reprendre des forces afin de reprendre ma vie là où je l'avais laissé" (dans une mauvaise période vu les flaques d'eau par terre) ainsi que de créer de nouveaux liens et profiter de la vie, en même temps que de me modeler un avenir convenable et sûr grâce aux études. Ça sonne faux, je suis d'accord avec vous.
Je suis fille unique d'une famille relativement riche. Enfin, fille unique, pas tant que ça. Lorsque j'ai atteints mes huit ans, ma mère a décidé d'adopter une petite fille de cinq ans, tout droit venue du Kenya. Malheureusement je n'ai jamais pu être proche d'elle. J'ai essayé, vraiment. J'ai tout fait pour me rapprocher d'elle, mais déjà enfant, lorsque je venais vers elle pour jouer, pour qu'on s'amuse ensemble, elle se fermait et des fois même, s'enfuyait. En fait, elle ne parlait jamais. Même à mes parents. Je ne l'ai jamais comprise. Personne, d'ailleurs. Mais je n'ai jamais abandonné et même si ça n'a rien donné, je ne regrette pas.
J'ai toujours été gâtée par mes parents. Même s'ils n'ont jamais été très présent, très proches de moi, ils étaient toujours là quand j'avais besoin d'eux, faisant passer mes problèmes au-dessus des leurs. Si bien que vers douze ans, je commençais à les garder pour moi, de peur qu'ils perdent leur travail et leur vie sociale à cause de moi. Je voyais bien que c'était extrêmement important pour eux et de voir que quand j'allais les voir en pleurant, ils lâchaient tout pour moi, ça me gênait un peu. Alors, je ne me plaignais plus et eux ne me prêtaient plus attention. Ils continuaient à me gâter, mais ça s'arrêtait là. Ce n'est que plus tard que je me suis aperçue que la communication est primordiale dans une famille. Alors, avec Bianca qui ne parlait jamais à part deux-trois mots quand elle avait besoin d'argent ou de quelque chose et mes parents qui n'étaient pas très présents pour nous, notre famille pouvait paraître bien désunie. Et elle l'était, vraiment, même si devant les autres, lors des galas, fêtes ou autres réceptions, nous nous montrions toujours relativement proches. Famille modèle ... ou pas.
La danse et la mode sont mes deux principales passions. Depuis mon plus jeune âge je me dandine sur n'importe quel rythme et je choisis mes vêtements avec beaucoup de précision. J'ai pris de nombreux cours de danse classique, de danses dites « de rues », de danses étrangères comme les danses espagnoles, etc etc. J'avoue que si je me suis accrochée à ça, c'est sans doute pour échapper à l'ambiance trop silencieuse, parfois bien trop tendue à la maison, entre mon père et ma mère ainsi qu'entre moi et Bianca. La danse me permet de sortir de tout ça, de vivre, de respirer. De penser à autre chose, en fait. Pour la mode, c'est pareil. En passant des heures et des heures dans les rayons des magasins, dans les cabines d'essayages, dans mon dressing, je m'évade, je m'amuse, je m'éclate et j'oublie ce qui ne va pas. J'oublie tout ce que j'aimerais changer dans ma vie et me contente de ses bons côtés.
J'ai 18 ans. J'ai 18 ans et je suis en pleine « dépression », comme l'explique clairement tous ces médecins que ma mère m'emmène voir. Dépression, je ne sais pas. Je ne peux pas vous dire. Peine de coeur? C'est plus certain. Cœur en miettes? Cœur complètement explosé? Oui, là c'est plus juste. Je sortais avec un garçon vraiment impressionnant. Il était beau, il était intelligent, il était drôle, il était amoureux. Nous étions ensemble depuis bientôt quatre ans. Une relation parfaite, un bout de ma vie que je ne regretterais jamais tellement c'était ... magique. Nous nous aimions, c'est certain. Alors, comment se fait-il que je suis seule maintenant? Comment se fait-il que maintenant, nous ne sommes plus ensemble? Tout simplement parce qu'il m'a trahi. Il m'a trahi et blessé. Il m'a complètement détruite. En effet, il me mentait, il me trompait. Cela faisait déjà quelques temps maintenant qu'il vendait et consommait de la drogue tout en arpentant les bordels, les bars assez louches, les trucs comme ça. Et moi, je le croyais naïvement quand il me disait que cette bague, il l'avait payé avec son salaire de simple serveur. Je le croyais quand il me disait qu'il n'allait pas venir à notre rendez-vous parce qu'il avait un peu trop fêté la veille au soir, chez son meilleur ami. Je le croyais quand il me disait que ce soutien-gorge, c'était un cadeau pour sa soeur. Je le croyais tout le temps. Et un jour, j'ai été forcé de voir les choses en face. Et il m'a frappé. Après ça, il a disparu, je ne l'ai plus jamais revu, il n'a donné de nouvelles à personne. Et moi, eh ben j'en suis là.