Sans que je ne sache pourquoi, les gens ont toujours pensé que moi et ma sœur, Hannah, étions anglais. Peut être est-ce à cause de notre patronyme, c’est vrai que Woods, ça fait un peu anglophone, ou peut être parce que notre groupe de musique, connu jusqu’à New York et Pékin s’appelle Woods justement, et que ça fait anglais. Pourtant, je ne parle pas un mot d’anglais. Pas un seul. Si, en fait. Je sais dire « Hello, could you give me an apple please ». Et « Brian is in the kitchen », mais ça c’est grâce à Gad Elmaleh. Je suis plus parisien qu’il n’est possible de l’être. J’aime les fringues, je fais du shopping aux galeries Lafayette, je flâne sur les quais de la scène en face de Notre-Dame et j’ai été élève au lycée Henri IV. Plus cliché, tu meurs.
J’ai été élevé, avec ma sœur, dans une famille bien comme il faut. Nous allions à la messe à Noël et à Pacques, nous faisions du piano et nous débarrassions la table. Pour être totalement honnête, nous nous sommes très vite lassés du piano et on s’est mis ensemble à la guitare, puis de mon côté, très vite à la basse. Nos parents étaient fiers de notre talent musical et nous faisaient chanter des cantiques au pied du sapin de Noël pour être bien surs que toute la famille en profite. En outre, nous avons toujours été bons élèves. Nous avons suivi les cours du collège, puis du lycée Henri IV, particulièrement réputé. Autrement dit, nous étions de bons petits enfants sages, très parigots tête de veau, mais gentils et accessibles.
Puis toute cette mascarade nous a très vite énervés. Avec Hannah, on avait la même bande de potes. On avait le même âge et je ne me suis jamais entendu aussi bien avec quelqu’un qu’avec elle. Autant dire que quand on a décidé de se rebeller un peu, les maigres tentatives de nos parents pour nous calmer furent bien inutiles. On a commencé des trucs débiles. On était en première ES tous les deux et on ne trouvait rien de plus malin à faire que de dépenser des fortunes en paquets de cigarettes et que de passer nos samedis soirs au gibus. On a créé les Woods pendant cette période. Le nom de ce groupe n’est pas très original, mais Léo et Hannah Woods n’ont pas trouvé de meilleure idée. On a passé beaucoup de soirées au Gibus quand j’y repense. Cette petite salle du concert de la rue du Faubourg du temple, dans le 11ème. Ces soirées étaient en générale largement agrémentées de mojitos, de teq paf et d’un peu de shit que quelqu’un pensait toujours à apporter.
Puis on a eu le bac et on a un peu grandit. On s’est vaguement inscrits à la Sorbonne, moi en droit, Hannah en psycho. On n’y est jamais allés. On a été repérés par une maison de disques, un soir où on était complètement déchirés sur scène. C’était au New Morning si je me souviens bien. On était particulièrement nuls, mais on a tapé dans l’œil d’un monsieur de chez Universal. Un an plus tard, on sortait « Télévision », notre premier album, en référence à notre groupe français préféré, Téléphone. Notre originalité était toujours au rendez-vous. Nos chansons, honnêtement lourdement inspirées de Téléphone et de Noir Désir ont étonnement très bien marchées. Extrêmement bien même. Agés de 19 ans lorsque nous avions sorti notre album, nous avons réussi à remplir Bercy à 20 ans et le stade de France à 22. Nous avons fait des tournées dans le monde entier, de New York à Pékin, en passant par Londres, Berlin et Tokyo.
Je n’ai jamais vraiment compris comment ça avait pu aussi bien marcher, soit dit en passant. Deux jumeaux sur scène avec une basse une guitare qui chantent des chansons tout droit sorties des années 80. Mais il y a toujours des gens qui achètent nos CDs, toujours des gens qui viennent nous voir en concert et cela dans tous les pays du monde. J’adore cette vie, mais avec Hannah, nous avons décidé de prendre six mois sabbatiques. Nous habitons ensemble boulevard Saint Michel, près de l’immeuble où nous avons grandi. On travaille un peu sur notre prochain album, entre une bataille d’oreillers et une soirée avec nos vieux amis du lycée. Quelques fans nous reconnaissent de temps à autre dans la rue, mais nous arrivons plutôt bien à les éviter et nous vivons presque une vie normale pour deux jeunes gens de 26 ans. Presque.