Des bips résonnent à mes oreilles, j'ai l'impression que c'est la première chose que j'entends depuis des siècles. Combien de temps ai-je dormi ? J'ai du mal à bouger, mes muscles sont engourdis à force d'être restés allongés, sans se mouvoir. Des sensations commencent à me revenir, une couverture posée sur moi, l'air à température ambiante... Je tente d'ouvrir les yeux une première fois, mais c'est un cuisant échec. Mes paupières sont lourdes et j'ai l'impression de devoir fournir un effort inconsidérable pour effectuer cette chose banale. Où suis-je et pourquoi ai-je autant de mal à me réveiller ? Je retente une nouvelle fois la première expérience. Mes yeux finissent par obéir et me laissent entrapercevoir une pièce blanche. Des murs blancs, des draps blancs, un sol blanc... J'entends d'autres bruits, au fur et à mesure que ma poitrine s'élève. Quelque chose me gêne, sur mes bras, sur mon visage. Je tourne mon regard vers l'élément perturbateur et aperçois des tuyaux. Partout. Je suis pris d'une envie de les retirer mais je n'ai même pas la force de lever mon bras. J'arrive, après quelques secondes de concentration, à replier mes doigts. Je n'ai plus aucune force. Je suis du regard un des tuyaux relié à une veine et maintenu par un sparadrap, et remarque que je suis branché à une machine. Non, plusieurs machines. Qu'est-ce que c'est que ce foutoir ? J'inspire longuement, une grand bouffée d'air. Puis mon cœur s'emballe, je remarque un changement, quelque chose qui ne se produisait pas avant. J'ai l'impression que mon palpitant va crever ma poitrine. Tout me revient. Je suis en vie, mieux : je respire.

J'entends la porte de ma chambre qui s'ouvre, mes yeux glissent des machines vers le nouvel arrivant. Ou plutôt la nouvelle arrivante. Une petite fille aux cheveux longs, foncés et aux yeux clairs. Elle est mignonne mais son regard semble lointain, aucun sourire sur son visage, aucune lueur de malice qu'ont les bambins de son âge. Elle me rappelle quelqu'un. Sans jamais l'avoir vu, j'ai la sinistre impression de la connaître. L'enfant vient s'assoir sur mon lit, tout près de moi et me scrute. Elle est en train de lire en moi comme dans un livre ouvert, ce qui n'est pas pour me rassurer. Enfin, ses lèvres s'étirent. Mais le sourire gracieux auquel je m'attendais se transforment en rictus méprisable. Les murs ne sont plus blancs, mais tâchés de sang. Mon cœur s'emballe, une sueur froide parcoure mon échine, que se passe-t-il ? La jeune fille pose une main sur mon torse et chuchote, d'un air foutrement lugubre :

« Ne t'inquiète pas, je suis juste venue reprendre ce qui m'appartient. »

I'm having a bad bad day, if you take it personal thats OK...
Je me réveille en sursaut, en sueur, le souffle affolé, impossible à calmer et cette putain de chanson qui me hurle dans les oreilles. Pourquoi le son de ce réveil est-il si fort ? Je ne prends pas la peine de l'arrêter, repousse les couvertures et me remets sur pieds. J'examine mon corps, tout est là où il doit être. C'était juste un mauvais rêve. Connerie de cauchemar. Watch this is so fun to see, huh, despicable me. Je déambule jusqu'à la salle de bain, où je m'enferme pendant quelques dizaines de minutes, de très longues dizaines de minutes. Les cris impatients de ma sœur se font entendre de l'autre côté de la porte. Je sors de la douche, attrape une serviette et me sèche approximativement. Au lieu d'éteindre l'eau, je la mets à la chaleur la plus extrême et la laisse couler. Alors que de la vapeur commence à coaguler sur les miroirs et vitres, je me fais le plus lent possible. Je me brosse les dents si consciencieusement que je pourrais faire une pub pour dentifrice. Je m'attarde sur chaque détail de mon visage, et, n'ayant finalement plus rien à faire au bout d'un moment, je décide de céder la place. Why do you like seeing people in shock ? But my question to you is why not ?

« Putain Tim y en a qui ont cours aujourd'hui ! »
« Et moi donc. »
« Rho arrête, on sait tous très bien que t'y vas pas ! »

Je regarde l'horloge accrochée dans le couloir, la pointe du doigt et hoche la tête d'un air de pitié mal placée.

« Tu vas être en retard mon petit sucre d'orge, et en parlant avec moi tu viens de perdre vingt précieuses secondes. Pauvre fille, tu n'auras même pas le temps de rembourrer ton soutient-gorge Super U avec le coton démaquillant de maman. »
« ...Rhaaa ! J'en peux plus de toi, je suis à bout Tim, à bout ! »
« Tic tac, tic tac, à cette allure tu n'aurais plus le temps non plus de te maquiller comme une pute, ça te va si bien, c'est dommage. »

Exaspérée, ma sœur dans un énième râle rageur à souhait s'engouffra dans la salle de bain, claqua la porte et me hurla quelques gentilles insultes. J'allais en direction de ma chambre, m'habillai rapidement d'une chemise à carreaux et d'un slim quand j'entendis un nouvel hurlement. Une furie sortit de la salle de bain, prête à exploser.

« ...Mamaaaaaan ! Y a plus aucune eau chaude bordel, Tim a tout pris ! »
« Je plaide non coupable. »

Why want the moon, the World in my palm, is it crazy you think I've gone ? Je descendis les escaliers, sans prêter attention à ma cadette en pleine crise d'adolescence et allait directement dans la cuisine, m'assoir face à de succulents toasts déjà beurrés. Mon père était plongé dans son journal, les lunettes sur le nez, tandis que ma mère lavait quelques assiettes. Un bon couple français. Ma génitrice, après son travail effectuée, vint s'assoir face à moi avec une tasse de thé. Elle m'adressa un sourire amical qui, tout doucement, se transformait en une grimace, mi-choquée, mi-énervée. C'était presque amusant à voir.

«  Qu'est-ce que... Tim, qu'est-ce que c'est que ça ! ...Célio, pour l'amour du ciel, lève les yeux de ton journal et regarde un peu ce qu'il se passe autour de toi ! »

Mon père ainsi interpellé, réussit à se décrocher des nouvelles de la bourse et recracha immédiatement son café. Quoi, ils n'aimaient pas mon nouveau tatouage ? Excuse me if you will , you look like you have time to kill, can you chill ?

« ...C'est terminé Tim, terminé ! Tu vas tous nous faire devenir fous, dans cette maison ! »

Et c'était reparti, encore un discours mélo-dramatique sur la vie impossible que je leur menais. Dans dix minutes elle aurait terminé, irait au boulot et me laisserait en train de mater gentiment des pornos dans le salon. Non, décidément, ce qu'elle pouvait me dire rentrait par une oreille et sortait directement par l'autre. Si encore, elle était un minimum originale et changeait entre temps, j'aurais pu y prêter plus d'attention... Quoi que.

« Ton père et moi ne voulions pas en arriver là, nous voulions te donner une dernière chance mais là, je crois que tu as dépassé les limites. Tu quittes la maison, nous t'avons pris un appartement. »

Je relevai la tête de mes corn-flakes ramollis par le lait, que venait-elle de dire ? Moi, Timcanpy Heinkel Rosenbach ? Elle était en train de mettre à la porte le plus merveilleux des Tim, le plus grandiose, le plus drôle, le plus beau et le plus intelligent ? Ça devait être une blague de mauvais goût.

« Je ne pensais pas qu'après ce qui t'est arrivé, tu serais devenu si mauvais... Et le pire c'est que tu ne te rends même pas compte de ta méchanceté, Tim. »

Ce qui... Pff, C'était plutôt elle qui aurait dû être heureuse que je sois là pour les honorer de ma présence. Je me levai afin d'aller dans ma chambre, attrapai un sac et y rangeai approximativement des tenues et caleçons propres. De toute façon, ils reviendraient forcément bientôt pour me supplier de revenir. Je suis trop essentiel pour me faire éjecter de cette façon. Je descendis, passai devant ces parents indignes et fis claquer la porte d'entrée, à jamais bande de cons. Huh, despicable me.

« Tu as une cardiomyopathie dilatée. »

Bam. Ça avait claqué dans l'air, rapide, clair et concis. Pourquoi s'embarrasser de paroles inutiles ? Le cardiologue toisa le jeune garçon, se tenant avec un air fier devant lui, comme si ses frêles épaules avaient pu soutenir tous les malheurs du monde. Il n'était sans doute pas assez âgé pour comprendre le réel sens de cette phrase. Sa mère, elle, au contraire, avait retenu un sanglot et hoché négativement la tête, d'un air résigné. Le médecin referma le dossier de son patient et, curieux, se pencha vers le gamin.

« Si tu veux, ton cœur est une sorte de pompe divisée en deux parties... Ces deux parties, dans ton cas, s'agrandissent et ton...  »
« Je sais de quoi il s'agit, merci.»

Coupé dans un de ses rares élans de sympathie, l'homme d'un âge déjà mûr arqua un sourcil. S'il le disait... Décidément, cet enfant avait l'air bien sûr de lui. Trop sûr de lui, peut-être. S'il connaissait sa maladie, s'il avait conscience que son cas était médicalement des plus intéressants, car se dégradant à une vitesse incroyable, il aurait au moins pu frissonner. Il n'était pas dit qu'il réussisse à vivre encore quelques années. La greffe serait sans doute nécessaire, encore faudrait-il qu'il ait la chance d'avoir un donneur avant d'entrer en mort subite. Il remonta ses manches, serra la main de la mère et les regarda partir, l'enfant rassurant sa génitrice. En fin de compte, il l'aimait bien, ce gamin.


Tim n'arrivait pas à savoir si ce qu'il faisait était malsain ou bénéfique. Il pleuvait à torrent et lui était seul sous la pluie, un bouquet à la main, fixant la tombe située en face de lui. Pourquoi était-il venu ? Il n'en avait aucune idée. Il s'accroupit face à la pierre tombale, lisait et relisait encore les écritures gravées. Pourquoi faisait-il ça ? Il sentit une présence près de lui mais ne prit pas la peine de se redresser ou de se retourner. La personne arrivée resta un moment en silence, elle aussi. La pluie se calmait, petit à petit. Tim était trempé jusqu'aux os. Puis soudainement, les gouttes arrêtèrent de tomber sur son corps. Il leva les yeux et remarqua qu'un parapluie s'étendait au dessus de lui. Une femme d'un âge mûr, le regard bienveillant, les cheveux attachés en un chignon brouillon, des rides autour des yeux, un sourire mélancolique. Sa douleur était magnifique.

« Vous connaissez notre fille ? »

Finit-elle par demander. Tim se releva, jeta un nouveau et énième coup d'œil vers la tombe. Il sentit son portable vibrer dans sa poche, ah, c'était l'heure. Il l'aurait presque oublié. Il prit son sac qui était posé par terre et en sortit ses médicaments. Cortisone, imurel, ciclosporine et tout autres noms imprononçables. A heure fixe, chaque jour, les oublier une seule fois pourrait lui être fatal. Il les avala avec un air d'habitué, sous le regard curieux de la femme. Elle pencha la tête sur le côté et sourit une nouvelle fois tristement. Tim se demanda si, depuis la mort de sa fille, elle avait déjà éprouvé un sentiment de bonheur... Son air heureux n'était qu'un mensonge, qu'une vérité de façade. Il regard le ciel gris, se dégageant lentement.

« Par cœur. »

Sans doute aurait-il dû y aller, à ces putains de thérapie post-greffe. Il se retourna et partit sans en rajouter plus. La femme le regarda s'éloigner, qui était-il ? Elle s'abrita sous son parapluie et ramena son écharpe contre son cou... Ce garçon... Elle se retourna précipitamment et lança un :

« Vous êtes un... »

Qui se perdit dans le vide. Il était déjà parti et elle était seule dans le cimetière. Elle cligna plusieurs fois des yeux et se retourna vers la tombe. Le bouquet qu'il avait amené était magnifique. Des roses blanches par dizaines et un carton, posé au milieu des fleurs. Une carte ne contenant qu'un seul mot.

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