Eléonora & Carthago

« Quand les hommes s’ennuient, ils rêvent de voyages. Rêvassent au fond du lit, rêvassent trois fois hélas. [..] Quand les hommes s’ennuient, à s’arracher les pouces, à ruminer la vie, à s’en donner la frousse. »

Je n'avais rien manger. Comme d'habitude. Je n'y arrivais toujours pas. Cinq ans avaient passé et la nourriture était toujours mon ennemie numéro un. Je n'arrivais à rien, la faim n'était pas là. La douleur était encore là. Pourquoi eux? Pourquoi pas moi? Les regrets, tous plus prenants les uns que les autres. J'aurais dus leur dire plus souvent que je les aimais. Je ne l'ai jamais fais. La vie m'a arraché à eux alors que c'était à ce moment là que j'avais le plus besoin de leurs paroles réconfortantes. Pourquoi ce n'était pas moi devant? Pourquoi n'est-ce pas moi qui ai perdu la vie dans ce putain d'accident ? Tant de questions, peu de réponses. C'est le hasard, c'est le destin. J'aurais tellement aimer pouvoir manger comme avant, sans me poser de questions à savoir si j'avais faim. Je mangeais. Je ne devais pas partir en courant aux toilettes à chaque fois qu'un bout de chocolat se retrouvait dans mon estomac. J'avais perdu toute envie de manger. Me laisser crever de faim. J'essayais, parfois, un tout petit peu. J'étais allé un jour, consulté un médecin pour savoir pourquoi je n'avais plus cette envie, ce besoin de manger. L'anorexie. J'étais anorexique d'après lui. Je n'avais pas pousser plus loin, m'enfonçant un peu plus dans ses difficultés alimentaire. A quoi bon lutter contre plus fort que nous. Le corps humain est plus que complexe à comprendre n'empêche. L'envie de manger qui disparaît aussi vite qu'elle est apparue. Un cercle vicieux par la suite.
Au moment de prendre mon indépendance, j'avais décidé de prendre un appartement en colocation. Ou de trouver une annonce de colocation. J'étais tombée sur la demande de Carthago. Je m'étais présentée, en toute simplicité et il m'avait accepté. Les premiers temps ont été assez compliqués. Ma timidité maladive me poussant à m'enfermer assez souvent dans ma chambre, puis toutes ses petites manies repoussantes que j'avais pus avoir. Je n'étais qu'un tas d'impuretés de plus en plus nombreuses. Des défauts, beaucoup de défauts. Trop refermée sur elle même. La vie me fait peur, si vous saviez. Les jours ont passé et petit à petit, ma timidité s'effaça, laissant place à une sorte d'amitié entre nous. Mes nuits emplies de cauchemars étaient nos petits moments privilégiés, nous étions là, tous les deux. Sans que personne n'ai à redire sur quoi que ce soit.
Je ne bossais pas ce soir, pour une fois. Après avoir saluer mon coloc, je m'étais mise au lit, après avoir retirer mes vêtements, en gardant uniquement mon boxer et en enfilant le haut d'un de mes pyjamas. Je m'étais glissé sous ma couverture, en laissant allumées toutes les bougies posées à chaque recoins de ma chambre. Le noir me terrorise. Morphée m'accueille avec lenteur dans ses bras douillets. Je prie secrètement pour ne pas faire encore une fois ce cauchemar, qui revient, toutes les nuits, qui me hante. Tout est noir. Je ne vois rien, je ne bouge pas. Mes membres refusent de m’obéir. Aucun bruit, aucune lumière. Le noir complet, le silence absolu. Je murmure quelques mots mais rien ne sort de mes lèvres. Je tente par tous les moyens d'avancer, mais une force invisible m'en empêche, me propulsant un peu plus en arrière à chaque fois que je tente de mettre un pied devant l'autre pour me déplacer. Je tombe. La tête la première, je pense que je vais m'éclaté contre le sol, mais rien. Le souffle de ma chute caresse mes bras, mes jambes, mon visage. Je cris encore une fois. Plus je cris, plus je m’essouffle. Je tente de m'accrocher mais je n'ai rien pour me retenir. J'ai peur. Je le sens. J'arrive. Je heurte violemment le sol. Je hurle, je me réveille, je tremble. Les larmes coulent rapidement. Je panique, je tremble. Je serre ma couverture contre moi en pleurant. Les bougies se sont éteintes, la peur m'envahie encore plus. Pitié, que quelqu'un me sauve, que quelqu'un allume la lumière.