« Sephora ? » Ses yeux quittèrent l’écran, exaspérée. « Quoi encore ? », manqua-t-elle de balancer à cette pauvre stagiaire. La jeune femme n’avait rien de particulier contre elle. Ce n’était pas le bon jour, ni le bon moment. Vendredi, quinze heures passées. Il ne lui restait plus qu’à être patiente quelques minutes avant de pouvoir passer à autre chose, comme se replonger dans ses cartons, se vider la tête, prendre l’air frais et boire un véritable café digne de ce nom. En guise de réponse, la brunette opta pour un haussement de sourcil tout en se retenant de soupirer. Oui, c’était dur à cet instant. « Je reviens de la direction et finalement ils n’auront pas besoin de votre rapport pour le weekend, ça pourra attendre le début de la semaine. » Depuis quand lisaient-ils dans ses pensées à l’étage du dessus. Les yeux de Sephora s’écarquillèrent. Sérieusement ? Elle était donc libre de s’en aller tout de suite et pourra s’y pencher plus calmement dans le courant du weekend. Elle adressa finalement un sourire de remerciement à la stagiaire avant de ranger ses affaires à toute vitesse. Cependant, elle prit la peine de laisser un message sur le « mur » de celui qu’elle considérait comme son meilleur ami, ou plus proche ami à vous de voir.

Il ne lui fallut que quelques minutes pour trouver un taxi et nettement plus pour retrouver son point de rendez-vous. Rappelez-vous : mauvaise journée, mauvais moment, même pour débaucher. Sephora prit son mal en patience avec son téléphone entre les doigts. Jamais elle ne cesserait de pianoter sur ce clavier qu’elle connaissait comme sa poche si ce n’est mieux, d’ailleurs la brunette pouvait jeter un coup d’œil de temps à autre, voire de fixer le paysage défiler par la fenêtre, sans être perturbée pour autant.

Arrivée sur la place de l’Opéra Garnier, la jeune femme régla la course sans demander son reste et fila en direction du « Café de la Paix ». Elle avait beau paraître calme et détendue, Sephora n’avait aucune idée si Peter comptait la rejoindre ou non. Pas la moindre réponse de sa part. Dans le fond, elle espérait lire une réponse positive sous peu ou bien voir sa tête débarquer dans ledit café. Elle s’installa dans l’un des fauteuils confortables situés dans un coin tranquille et isolé, puis commanda son énième café de la journée ainsi qu’une part de tarte tatin chaude avec une boule de glace vanille. « Ah et n’oubliez pas un sucre ! », scanda-t-elle sans le moindre complexe à travers le café, quand certaines comptaient chaque calorie ingurgitée, avant de retourner répondre à ses mails sur son téléphone.

« Depuis que je la connais, je ressens des trucs hallucinants. Je me dis souvent que j'ai eu de la chance de lui avoir plu, sinon j'aurais jamais su qu'un rire pouvait arrêter la Terre de tourner. Je comprends pas tout ce qui se passe, y'a pleins de trucs incohérents. Depuis qu'elle est là rien n'a changé, mais tout est différent. Elle m'apporte trop de désordre, et tellement de stabilité. » ☼ Grand corps malade, comme une évidence.

Peter était installé convenablement sur un siège face à une planche de bois, sur laquelle était accrochée une feuille blanche. Il ne tarda pas à la décorer, sans pour autant l'apercevoir. Pinceau à la main, il avait le cœur serré à l'idée de ne plus pouvoir regarder ce qu'il entreprenait et contempler de l'art dans des musées. Néanmoins, ce n'était pas pour cela qu'il allait persister à s’abattre sur son sort et arrêter la passion qu'il avait tant aimé. Il trempa alors les poils fins de ce dernier au milieu de la peinture, ne connaissant ni la couleur ni la quantité insérées. Il n'avait jamais pris le temps de les montrer à qui que ce soit, non pas par manque de confiance en lui-même ou de sous-estime, mais plutôt car il avait toujours abhorré le fait de les exposer aux yeux des autres sans l'avoir fini parfaitement. Seulement, maintenant que son champ de vision ne lui permettait plus d'estimer son talent, ou encore d'observer ses dessins, l’horreur le tiraillait davantage quant au fait de les faire observer par les regards curieux avant lui. Quelques minutes suffirent pour qu'il soit extasié devant un pitoyable vide. Il n'y voyait que du noir, mais ne pouvait s'empêcher, avec un grand sourire, de s'imaginer un sublime tableau qu'il aurait aimé peindre autrefois.

Palette de couleur enfin nettoyée, il ne lui restait plus que de la peinture sur le bout de son index, ce qui lui laissa une trace bleue lorsqu'il frotta doucement sa joue. Il était devenu involontairement des plus maladroits depuis qu'il était aveugle. Ne pouvant le remarquer lui-même, il finit simplement par s'assoir sur son siège de bureau. Maintenant la souris entre ses doigts de la droitière, il se connecta directement à facebook, qui lui indiquait l'apparition d'un nouveau message écrit par la chère et tendre Sephora. De façon immédiate, il écarquilla les lèvres afin de faire apparaître un grand sourire, qui se dissipa très rapidement puisque ledit message, ne souhaitait apparemment pas être lu par l'ordinateur, censé être fonctionnel pour les aveugles. Il claqua soudainement son clavier d'ordinateur par énervement contre le bureau, car il venait de briser en une seconde le seul moment réellement magique de sa journée. Pourtant, il ne désespéra pas, bien au contraire, réessayant plusieurs fois de l'allumer. Cependant, il avait l'air de n'en faire qu'à sa tête, s'entêtant à refuser l'écoute. Quarante minutes passèrent et Peter se tenait toujours en face, refusant par-dessus tout l'idée d'abandonner, chose qui se montrait récompensée, étant donné qu'il finit par entendre l'invitation de Sephora qui l'attendait au café de la Paix, sur la Place de l'Opéra Garnier.

Joyeux, il se leva pour se rendre jusqu'à l'entrée, attrapa sa canne blanche puis ferma la porte à clé derrière lui. Il descendit les marches à l'aide de son ustensile, puis gagna un taxi qui le déposa au lieu indiqué, ayant fait un détour en direction de Pierre Hermé, une des boutiques favorites de Sephora. Il acheta quelques macarons, histoire de se faire pardonner pour son retard, mais avant tout dans le but de lui faire plaisir. Il était toujours attentionné à son égard, pouvant lui acheter tout ce dont elle aimait, car il adorait le fait qu'elle s'émerveille avec peu. Arrivé finalement devant le café, il ne s'attarda pas à rejoindre leur place habituelle, connaissant désormais le chemin par cœur, tant ils avaient pris l'habitude de s'installer à cette table. Il lui toucha tout de même la main afin d'être certifié que c'était bel et bien elle, tout en lui embrassant le sommet de son crâne. Doté de son léger accent allemand, il s'exclama tout en s'asseyant en face d'elle pendant ce temps. « Impardonnable retard, je sais. Mais pas si impardonnable que ça. » Il lui glissa sur la table, le sachet rempli d'au moins une vingtaine de macarons, avec un grand sourire. « Tu n'as pas l'air de grogner. Tu l'as finalement eu ce sucre ? » enchaîna t-il en déposant sa canne contre la vitre, ne remarquant toujours pas la marque bleutée incrustée sur son visage. Sans doute allait-elle rire de lui en l'embarquant avec elle ; sa maladresse était devenue habituelle désormais.

Le bruit de la canne résonna dans le café. Elle savait déjà que c’était lui, plus la peine alors de continuer à trépigner d’impatience comme une gamine la veille de Noël. C’est surement pour cela qu’elle ne lui en voulait pas vraiment pour son retard, parce que c’était Peter et sans même savoir pourquoi la jeune femme était toujours impatiente à l’idée de le retrouver. « Impardonnable retard, je sais. Mais pas si impardonnable que ça. » Sephora fixa le sac sans rien ajouter. Elle se mordit la lèvre, coupable qu’elle finirait par manger tous les macarons dans les jours qui suivront. Peter la connaissait par cœur, définitivement. « Si tu me prends par les sentiments. Tu es tout pardonné. Qui plus est, j’étais certaine que tu finirais par me rejoindre. » Quant à elle, elle avait une confiance infinie. Elle s’était déjà faite à voir avec sa naïveté — la preuve, elle avait été cocue il y a quelques semaines avant de se faire larguer le mois dernier — et pourtant, il n’y avait toujours une exception à la règle. Pendant qu’il s’installait, la jeune femme ne prit pas le temps de lever les yeux dans sa direction. Elle savourait encore ses adorables petites attentions, notamment le contact de ses lèvres sur son front qui en ferait rêver plus d’une, tout en envoyant son dernier email avant de lui accorder toute son attention. « Tu n’as pas l’air de grogner. Tu l’as finalement eu ce sucre ? » Sephora pianota une dernière phrase en murmurant ce qu’elle écrivait afin de se rendre compte que cela avait l’air cohérent. Elle haussa les épaules à sa remarque, même s’il ne pouvait pas la voir et finit par soupirer. Elle avait été servie par un nouveau, alors non elle n’avait pas eu son sucre au moment où elle l’avait demandé. Cette démarche en déroutait toujours quelques uns quand la plupart des parisiennes utilisaient des artifices chimiques pour masquer l’amertume de la boisson ou grimaçait en l’ingurgitant noir, sans rien. « Avec un peu de retard, mais je suis restée calme promis. »

Elle laissa enfin glisser le téléphone sur la table. La maladresse de Peter avec sa peinture fut rapide à déceler. Un rire cristallin s’échappa à travers ses lèvres. « Oh, mais tu peignais ? » Elle n’en dit pas plus, histoire de le faire réfléchir ou de lui faire croire qu’elle avait acquis récemment le don du troisième œil. « Décidément, j’adore ton côté artiste. » Elle ne mentait pas et ce n’était pas la seule qualité qu’elle appréciait chez lui. Sephora aimait l’entendre jouer dans les bars, cependant elle n’eut jamais l’occasion de voir ce qu’il peignait. Elle en était presque déçue. Elle ne savait pas si quelqu’un avait eu cette autorisation, mais dans le fond si une telle personne existait alors elle en serait jalouse. Elle admirait son courage, continuer des activités qu’il ne devait plus être capable d’entreprendre désormais. À sa place, Sephora aurait abandonné bien des choses depuis longtemps. « Enfin je veux dire que tu as une trace de peinture… » Pas besoin de le faire tourner en bourrique plus longtemps. La brunette attrapa une petite lingette hors de son sac. « Juste là. » Elle entreprit de la retirer délicatement en espérant que cette tâche ne soit pas un détail laissé volontairement. « Comment vas-tu ? » Que ce soit pour l’un comme pour l’autre, il y avait eu des hauts et des bas, et Sephora ne savait plus comment s’y prendre afin de faire en sorte que les « bas » de son ami se fassent moins récurrents. Et si elle en savait plus quoi faire, elle mettait cela sur le compte du doute : la jeune femme ne connaissait pas les limites de leur relation. Rongée par une petite boule au ventre venant d’on ne sait où, Sephora attrapa un premier macaron, puis un second… Non mais ils étaient vraiment excellents. « Mmmmh… » fut la seule chose qu’elle pouvait dire à ce moment là.

Peter arriva enfin à l'intérieur de leur café habituel, s'en voulant de l'avoir fait attendre plus d'une demi-heure à cause de ce maudit ordinateur qui avait refusé d'écouter son invitation. Il n'était pas habitué à être en retard et par ailleurs, il détestait tout bonnement l'être, raison pour laquelle il lui était impossible de se rendre au lieu indiqué, sans une attention qui ferait en sorte de l'excuser. Il y avait certainement plusieurs méthodes pour se faire pardonner d'un tel retard, cependant avec Sephora, celle qui fonctionnerait le plus et qu'il connaissait si bien, c'était bel et bien de lui offrir nombreux macarons. Il s'installa sur le siège en face d'elle, sans prendre le temps de lui indiquer pour quelle raison il était en retard, tout simplement car les histoires des ordinateurs pour aveugles pas assez performants ne l'intéressaient sûrement pas. Il enchaîna alors accompagné d'un fin sourire. « Tu as raison, je ne raterai aucune occasion de t'accompagner à boire ton café. » Elle venait de lui préciser qu'elle était certaine sur le fait qu'il allait tout de même venir, raison pour laquelle elle l'avait patiemment attendu. En effet, elle ne se trompa pas, étant donné que Peter s'était toujours rendu à ce café ou chez elle dès qu'elle lui proposait. Il n'était pas question d'impolitesse face à un refus, il détenait nettement un grand besoin de retrouver la belle brune fréquemment. Au fond, sa phrase signifiait plus "je ne raterai aucune raison de te voir" car ce n'était aucunement la boisson qui l'intéressait ici, mais évidemment Sephora. « Je vois que ton addiction ne s'est pas envolée. » Il parlait bien entendu du fait qu'elle était toujours autant accro à son portable. Il avait beau ne pas la voir, il entendait ses doigts pianoter sur les touches de l'appareil, ce qui ne l'étonnait nullement. Il sourit un instant, bien content de retrouver sa Sephora. Oui, car il aimait toutes ses habitudes, peu importe s'il pratiquait les mêmes, elle le faisait rire, c'était l'essentiel. D'ailleurs, elle avait chaque fois cette manie de grogner quand elle ne recevait pas son café sucré, ce qui avait le don d'amuser Peter. « Je suis certain que le serveur me donnerait une autre réponse. » Il la taquinait toujours avec ses habitudes, il en avait pris le goût, mais avait notamment l'habitude d'entendre les serveurs soupirer à leur tour, après avoir écouté les plaintes de Madame De Brantes. Et cela, ça le faisait tordre de rire, parce qu'au fond, son petit côté qui aime embêter les gens gentiment, était comblé.

Au moment où il entendit un objet claquer contre la table, il comprit rapidement qu'il s'agissait du portable de Sephora, qu'elle venait certainement d'enfin lâcher, et qu'il avait donc désormais toute son intention, ce qui lui décrocha un sourire. Comme quoi, il avait sans cesse la banane dès qu'il se tenait en sa compagnie. Elle semblait s'intéresser à ses activités avant d'être venu, lorsqu'elle prit la parole en lui demandant s'il avait peigné. Sans réfléchir une seconde, il lui répondit directement en soupirant, la mine légèrement triste. « Oh oui, je peignais encore une fois sans jamais pouvoir regarder le résultat, mais... » Il comptait poursuivre en disant que peu importait s'il ne voyait plus ses œuvres, la peinture resterait à jamais sa passion et il n'arrêterait certainement pas pour cause de cécité. Seulement, il se tut un instant, se posant la question du comment elle pouvait savoir qu'il était en train de produire des peintures quelques heures auparavant, alors qu'elle n'était pas sur place. Certes elle avait certainement pris l'habitude de connaître son côté artistique, puisque son temps libre était souvent occupé par ce dernier, mais il se permit tout de même de froncer les sourcils, geste qui paraissait pratiquement imperceptible, étant donné qu'il avait fixé des lunettes de soleil sur son visage. Il trouvait cela plus respectable pour les personnes qu'il côtoyait ainsi que les passants, qui n'avaient pas nécessairement l'envie d'observer le blanc de ses yeux crevés. Il en avait déjà effrayé plus d'un, raison pour laquelle il se promenait désormais toujours avec. « Comment tu sais ça ? » Elle ne tarda pas à lui faire comprendre, puisqu'il suffit de quelques secondes pour qu'elle pose un tissu au contact humide sur sa joue. Il s'étonna en se demandant comment il avait pu s'en foutre à cet endroit, puis son rire rejoignit celui de Sephora. « Quel maladroit je fais ! Merci. » En effet, depuis qu'il est aveugle, environ quatre ans, il l'était devenu sans pouvoir y faire grand chose. Il n'avait plus la chance de se regarder dans un miroir, ni à terre, et même sa canne ne lui permettait pas toujours d'éviter une chute ou encore de se tâcher comme ce jour-là. Il avait su vivre avec son aveuglement, cependant il restait difficile de s'habituer à son entourage quand la vue n'était plus présente. Elle lui posa ensuite la fameuse question pour savoir s'il allait bien, chose à laquelle il redevint sérieux, en adoptant son air paisible et comblé. « Je peins, je joue du piano dans les cafés... la routine, mais tout se passe bien en ce moment. Et toi comment te sens-tu ? » Au fond, ce n'était pas le quotidien qui le rendait heureux là tout de suite, mais surtout le fait qu'iil était aux côtés de Sephora et chaque fois qu'il la retrouvait, il se tenait dans une bulle de pur bonheur dans laquelle il était impossible de ressentir la moindre tristesse. Elle lui décrochait en passant un bon nombre de sourires lors des journées qu'il passait avec elle, alors dire qu'il se sentait mal tout de suite, s'avérait être insensé, peu importe ce qu'il pouvait se passer dans sa vie. Il entendit par la suite le sac rempli de macarons se déplier, lui faisant comprendre que Sephora était déjà en train de s'attaquer à cette nourriture si irrésistible. Il rit, il avait tellement l'habitude de l'entendre savourer ces petites choses aussi rapidement. Il ne put s'empêcher de commenter le soupir de contentement. « Ne mange pas tout aujourd'hui, gourmande. J'en ai prévu au moins pour trois jours là ! » Effectivement, il en avait commandé une bonne vingtaine, seulement il ne serait aucunement étonné s'ils étaient avalés dès aujourd'hui. Sephora était une ogre des macarons, c'était bien connu.

« Je vois que ton addiction ne s’est pas envolée. » « On ne change pas une équipe qui gagne. » Voilà ce qu’elle aurait répondu. Sauf qu’en outre d’être l’un des seuls à ne pas lui reprocher cette fameuse addiction, il connaissait déjà la réflexion. À la place, elle sortit ce petit sourire qui veut tout dire, mais qu’il ne verra jamais, ou du moins pas dans l’immédiat. Peut-être qu’il imaginera ce sourire. Peut-être… La jeune femme voulait tellement savoir comment Peter imaginait les choses dans sa tête et comment il vivait réellement son handicap. Toutefois, cette curiosité la perdra un jour. Mais soit. De toute façon, en dehors des questions d’ordres « physiques », qu’est-ce que Peter ne savait pas sur elle ou sur sa manière d’être ? Plus grand chose. Comme si l’avait faite lui-même. « Je suis certain que le serveur me donnerait une autre réponse. » Elle haussa les épaules en guise de réponse sans oublier de soupirer, pour lui, pour qu’il comprenne à quel point il a raison en plus de la connaître, pour également lui faire comprendre qu’il est parvenu à l’enquiquiner encore une fois sur ses habitudes, un de ses passe temps favoris. Elle jette un coup d’œil autour d’eux et croise le regard dudit serveur. Il a le genre de sourire comme s’il vient de remporter la guerre. « Le serveur t’a entendu et… je suis certaine qu’il te remercie pour le soutien. Suis-je si désagréable que cela avec mon histoire de café ? » Sephora était presque inquiète à ce moment là et déglutit à cette occasion. Elle qui n’aimait pas se faire détester par autrui de façon générale eut cette impression de ne pas être agréable avec ces pauvres garçons de café. Et dire qu’ils se retrouvaient toujours dans ce même café.

« Oh oui, je peignais encore une fois sans jamais pouvoir regarder le résultat, mais… » Mais ? Mais quoi ? À ce moment donné, son regard se baissa un peu allant se perdre dans les plis du pull de son ami. Si Peter lui donnait toujours cette impression d’aller bien lorsqu’ils se retrouvaient, la brunette avait constamment des pincements au cœur dès qu’il abordait le sujet de cette façon. « Encore une fois sans jamais pour regarder le résultat. » À sa place, Sephora se serait jetée en l’air depuis bien longtemps. Elle ne pouvait être qu’admirative. Pour son courage certes, comme pour son talent de pianiste ou de peindre. Aveugle ou pas, il était doué. Cependant, n’allez pas croire que cette amitié était basée sur de la pitié, tout sauf cela. La jeune femme voulait être présente pour lui, c’était un fait qu’elle ne pouvait pas cacher, mais en gravitant autour d’elle, de la même façon qu’un électron autour de son noyau, Peter la rendait heureuse et lui permettait d’oublier son quotidien. « Comment tu sais ça ? » Elle ne put s’empêcher de rire discrètement glissant un « Je suis devin. » pendant qu’elle s’activait à revoir son récent ravalement de façade artistique. « Quel maladroit je fais ! Merci. » La jeune femme se rassit sur son fauteuil et but la dernière gorgée de son café. « On doit faire la paire ou quelque chose comme cela. » Sephora jeta un coup d’œil à ses bleus. Elle n’avait pas besoin d’être atteinte de cécité pour se prendre un objet ou une personne en pleine face, enfin ce n’est pas nécessaire de revenir sur son addiction au téléphone. Elle n’avait pas non plus besoin d’être perchée sur des talons hauts d’une dizaine de centimètres — chose qu’elle fuyait de toute façon — pour trébucher. Et dire que la jeune femme n’avait aucun problème particulier pour expliquer sa maladresse, pourtant ses parents s’en sont inquiétés quand elle était petite. « Je peins, je joue du piano dans les cafés… la routine, mais tout se passe bien en ce moment. Et toi comment te sens-tu ? » Elle ne savait pas quoi lui dire. Elle allait mieux, c’est vrai, mais elle n’était pas encore aussi bien que l’ancienne Sephora de Brantes, heureuse grâce à son travail, ses amis, sa famille et le soit disant amour de sa vie qui avait fait d’elle une parfaite cocue. « La routine aussi à la rédaction pour la fille mariée à son boulot de relation publique et son téléphone. Le ô bien connu ‘métro-boulot-dodo’, par exemple, et on fait avec. Aaron et toi me manquez beaucoup aussi. J’essaye de reprendre ma vie en main. » Elle grimace, parce que cela sonne toujours aussi faux. « Je compte même me lancer dans la cuisine et avant que tu sortes quoique ce soit, je te promets qu’il ne s’agit pas d’une hallucination auditive ! » Et là, Sephora commença à se jeter sur les macarons en sortant une boite sur la table. Ils se faisaient tellement désirer ceux là en restant sous son nez. Elle allait finir par craquée, qui plus en est avec son état d’anxiété naturel. Dix secondes de plaisir, puis dix ans dans les hanches ? Elle et son super métabolisme sont une parfaite exception à cette règle qui en fait pleurer plus d’une. « Ne mange pas tout aujourd’hui, gourmande. J’en ai prévu au moins pour trois jours là ! » Un rire cristallin franchit ses lèvres. « Ne me demande pas de promettre des choses que je ne peux pas promettre. Les macarons, c’est toute ma vie ! » « Sephora était une ogre des macarons, c’était bien connu » et elle assumait parfaitement cette réputation. De la même façon, son estomac est un gouffre sans fin. « D’ailleurs, ça te dirait un weekend juste tous les trois, prochainement ? » Que ce soit dans ses propos ou dans son comportement, la jeune femme n’avait jamais remarqué l’ambiguïté qui règnait dans cette amitié avec Peter. On avait beau le lui avoir souligné plusieurs fois, elle affirmait toujours avec un grand sourire qu’il n’y a, et n’aura, jamais rien d’autre entre eux. Albane, son adorable petite cousine ainsi qu’Aaron avaient peine à lui ouvrir les yeux une bonne fois pour toute. « Mais regarde, vous êtes pourtant si proches, si complices. »

« Tu veux boire quelque chose ? Goûter un de tes… orgasmiques macarons ? » Le serveur revint pour récupérer la tasse vide, elle ne se dérangea pas pour commander exactement la même chose, sucre compris — tout en restant la plus diplomate possible, histoire de faire bonne impression face à Peter.