Cher journal,

Paris, 10 janvier 2006.

Si j'aurai pensé un jour que j'écrirai à nouveau dans ce journal, je serai certainement folle. En cet instant je le suis. Je n'ai pas touché à ce journal depuis mes 14 ans, je m'étais juré que je n'y toucherai plus, ne serais-ce que pour y lire ce que j'y avais écrit. Pourtant, la tentation est trop forte et dans ce cas la meilleure solution est d'y céder. J'ai tout relu, je me suis replongée dans le passé, quelle grosse erreur. Je n'aurai pas dû faire ça, j'aurai dû partir rejoindre mon meilleur ami qui est sûrement en train de m'attendre à cette heure-là, j'aurai dû laisser mon journal là où il était, c'est-à-dire sous une planche en bois en dessous de mon lit. Caché, que je ne puisse plus le voir. J'ai craqué, je craque, je pleure comme bien souvent depuis cette fameuse journée, celle où ma vie a basculé dans l'enfer. Horrible, c'est le mot qui résume parfaitement cette soirée, souffrance c'est le mot qui me résume le mieux depuis cette soirée. Je n'ai fait que souffrir et je souffre encore. Ce 27 décembre 2005 a été la pire journée de mon existence. C'était le jour de mon anniversaire, j'allais avoir 14 dans un peu moins de deux heures et j'étais plus qu'heureuse. J'étais avec ma tante, chez moi, assisses sur le canapé nous étions en plein débat concernant un film, que je jugeais beaucoup trop niais à mon goût et elle jugeait que c'était un film romantique magnifique. Oh oui nous nous amusions, ma tante était pour moi comme une grande soeur, une grande soeur voyez-vous que je n'aurai jamais pu avoir. Perdu dans ce débat, nous n'avions même pas remarqué que la porte d'entrée venait de s'ouvrir et que mon meilleur ami Gabriel venait d'entrer dans la maison. Lui aussi était-là pour mon anniversaire. Toutes les personnes qui comptaient pour moi étaient là, ou presque il ne manquait plus que mes parents. Il avait dans ses mains un cadeau bien emballé . J'avais été le serrer maladroitement dans mes bras, le remerciant quand pour une deuxième fois, la porte d'entrée s'ouvrit, mais cette fois-ci ce fut dans un grand fracas. Pendant un instant je n'avais pas compris pourquoi elle était là, pourquoi Juliette était ici. Elle n'avait aucun droit d'être là, aucun droit de venir chez moi alors que depuis trois ans on ne se parlait plus. En plus de cela, elle n'avait aucun droit d'entrer comme ça, comme si elle était chez elle. Mais, ce n'était pas cela qui m'avait le plus perturbé, ça avait été son visage dénué d'expression. Elle s'était alors approchée de moi et je me souviens encore au mot près ce qu'elle m'avait dit.

« Abigaëlle...je...je ne devrais pas être ici, je le sais, je suis désolée, mais...il...il s'est passé quelque chose...quelque chose de ...de grave. »

« Qu'est-ce qu'il y a de si grave pour que tu débarques ici chez moi Juliette ? » avais-je alors répondu

« Tes...tes parents ont eu un accident...on était au niveau d'un café avec ma mère...quand une voiture les a percuté...ils...ils viennent d'être amenés à l'hôpital... »

Choc. C'était l'état dans lequel j'avais été à ce moment-là. Mes parents étaient justement partis chercher un gâteau à la dernière minute, parce qu'ils avaient oublié d'en acheter un avant. Des larmes, beaucoup de larmes avaient commencé à rouler sur mes joues. Je n'avais rien dit, rien fait on l'avait fait pour moi. On m'avait amené à l'hôpital dans lequel étaient mes parents, on avait expliqué aux médecins que j'étais leur fille et on m'avait alors dit d'attendre. Vous vous rendez compte, mes parents avaient eu un accident et la seule chose qu'on m'avait dite avait été d'attendre. D'attendre quoi au juste ? Qu'on vienne m'annoncer qu'il n'y avait plus aucun espoir ? Que je resterai sans parents jusqu'à la fin de ma vie ? Ou au contraire, qu'on me dise qu'ils allaient s'en remettre, mais qu'ils avaient de graves blessures ? Malgré moi, malgré ma colère j'avais attendu, pendant plusieurs heures et au bout d'un moment on était venu me voir. Rien qu'à la tête du médecin j'avais deviné. J'avais deviné ce qu'il s'était passé. Il s'était avançé vers nous, tête baissée il avait joué nerveusement avec ses mains, il avait sans doute cherché comment annoncer à leur fille que ses parents étaient décédés. Il n'avait pas eu à le faire, j'ai été la première à le dire.

« Ils sont morts c'est ça hein ? Ils sont morts bordel !! Ils sont morts, morts vous entendez !!! Ça vous fais plaisir hein, ils sont morts, morts le jour de mon anniversaire, morts, morts, morts !! Je vous déteste, vous tous, je vous... »

Ma phrase était restée en suspens, je n'avais pas pu la terminer que déjà les larmes inondées mes joues. Personne ne m'a empêché de pleurer, même ma tante pleurait elle aussi, même Gabriel qui pourtant ne connaissait mes parents que depuis quelques années avait les larmes aux yeux. Pendant des heures je n'ai pas arrêté de pleurer, même quand on m'a ramené chez moi, qu'on m'a déposé sur mon lit, j'ai encore pleuré. La tête posée sur l'épaule de mon meilleur ami, je m'étais lâchée et j'avais aussi abimé son haut qui était trempé. Il était resté là, sur mon lit avec moi pour me consoler. A ce moment-là, il était devenu la personne la plus importante à mes yeux.

Faire remonter tous ces souvenirs n'était vraiment pas une bonne idée, désormais je regrettais vraiment d'avoir rouvert ce journal alors que j'aurai pu passer un meilleur moment avec Gabriel, d'abord il allait m'en vouloir de ne pas être venue et il m'en voudrait aussi d'avoir relu mon journal, c'était quelque chose qui me faisais pleurer à tous les coups, pourtant je fais avec et continue d'avancer. Est-ce que j'ai d'autres choix de toute façon ? J'ai perdu mes parents depuis un peu plus d'un an maintenant, je n'ai plus qu'à me lamenter sur mon sors et pleurer toutes les larmes de mon corps.

Cher journal,

Paris 24 février 2007

Le temps passe vite, déjà deux ans qu'ils sont partis et déjà un peu plus d'un an que j'ai repris mon journal en main. J'avais écrit d'autres pages, mais je les ai déchirés, elles ne servaient à rien, je ne faisais que de me plaindre, ma vie est un vrai désastre. Pourtant, malgré tous mes problèmes il y a au moins une personne qui est toujours là pour moi, Gabriel. On se connait depuis nos 10 ans et depuis notre rencontre je ne peux plus me séparer de lui. C'est la personne qui a su être là et qui sait encore l'être quand ça ne va pas, quand je ne vais pas bien, un état dans lequel je suis souvent et je sais que cela en agace plus d'un, mais je ne peux faire autrement. Ma tante est là elle aussi, elle vit même avec moi, on vit toutes les deux chez mes parents. Depuis la mort de mes parents, je n'ai pas fait que pleurer j'ai aussi fait des conneries et je continue d'en faire. Je fume, je bois, je n'écoute rien, je n'écoute personne, presque personne, seulement Gabriel. D'ailleurs c'est lui qui est là quand il faut me ramener chez moi, je me demande comment il fait, il y a tellement d'autres filles avec qui il pourrait bien s'entendre, mais il reste ami avec une pauvre fille comme moi, j'ai de la chance de l'avoir, lui il n'en a pas d'être tombé sur moi.

Cher journal,

Paris 9 novembre 2009

Il y a un peu plus d'une semaine, il s'est passé quelque chose, je ne m'y attendais pas, vraiment pas. On était vendredi soir et comme à mon habitude ce soir-là, j'avais été avec quelques amis à une fête. Tout se passait bien, on s'amusait quand Gabriel était arrivé vers moi. Tout de suite, j'avais su qu'il allait me dire que la fête était terminée pour moi et qu'on rentrait, il n'a rien fait de tout ça cependant. Au contraire, il m'avait proposé de danser. Il avait bu, jamais sinon il aurait été comme ça avec moi. Il était plus du genre à me dire de ne pas faire de conneries au lieu d'en faire lui-même, il y a une première fois à tout. Justement, ce soir-là il s'était passé autre chose et c'était ça qui m'avait le plus déstabilisée de lendemain. Nous étions un peu bourrés, l'alcool avait commencé à brouiller nos repères et avec Gabriel on était monté en haut. Et-là, il m'avait embrassé. Lui, mon meilleur ami, celui qui avait toujours été là pour moi, m'avait embrassé. Un moment d'hésitation et je lui avais rendu son baiser, après quoi la soirée s'était terminée au lit, pas besoin d'explications supplémentaires pour comprendre ce que nous avions fait ce soir-là. En une seule soirée, on avait dépassé le seuil de la simple amitié.

Alors, depuis plus d'une semaine je n'ai pas de ses nouvelles, rien même pas un message, vraiment rien. A faire n'importe quoi, je venais maintenant de perdre mon meilleur ami, la seule personne qui était importante pour moi. Ma vie est vraiment fichue.

Cher journal,

Paris 29 novembre 2009

J'enchaîne les conneries, pas n'importe laquelle en plus. Quand on l'a fait, on était bourré on ne savait pas ce qu'on faisait, on ne savait même pas les risques qu'on prenait en faisant ça. Maintenant je le sais, oh oui je le sais, car le problème c'est ce qu'il y a dans mon corps, dans mon ventre. Certes, il y a des organes et autres truc, mais là ce n'est pas la même chose, j'ai un gosse dans le ventre. Depuis la dernière fois que j'ai écrit dans mon journal, je n'ai pas arrêté d'être malade, nausées, fièvre, fatigue, ma tante a remarqué tout ça et hier elle m'a demandé ce qu'il s'est passait. Depuis longtemps elle ne m'avait pas posé cette question, car elle savait ce qu'il se passait, c'était que je faisais n'importe quoi de ma vie, néanmoins elle avait remarqué quelque chose de différent chez moi la veille et je lui avais alors répondu :


« Ce qu'il se passe ? Ben tu vois, il y a plus de deux semaines maintenant j'ai été à une fête, j'étais bourrée et t'sais quoi ? J'ai couché avec Gabriel et on ne s'est pas protégé, tu fais le rapprochement ou pas ? Non parce que sinon je peux t'aider encore un peu, j'ai des nausées, j'suis quasi fatiguée toute la journée...j'suis enceinte quoi. »

La main de ma tante était partie direct et était venue se poser sur ma joue. Elle m'avait alors dit qu'elle ne me croyait pas, qu'elle pensait que je ne disais cela que pour attirer l'attention sur moi. Mais quand j'avais posé le test de grossesse sur la table et qu'il disait bien que j'étais enceinte elle n'avait plus rien dit. Moi-même je n'avais plus rien dit et j'étais retournée dans ma chambre.

Depuis la veille, je n'avais pas bougé de ma chambre pourtant j'allai devoir bouger et prévenir Gabriel qu'il allait être père. Enceinte, vous imaginez à presque 18 je suis enceinte, c'est magnifique hein ? J'en ai de la chance, en plus de ne plus avoir de parents, je suis enceinte, le père n'est même pas au courant et je ne sais pas comment il réagira et ma tante me déteste sans doute, que de joie !

Cher journal,

Paris 3 décembre 2009.

Je suis allée voir Gabriel, mais il n'était déjà plus là. J'étais alors rentrée chez moi, avant de regarder dans la boîte aux lettres pour voir s'il y avait du courrier. En effet, il y avait une lettre et dessus était écrit mon prénom.

« Abigaëlle....

Je pars, je m'en vais, je quitte Paris pour aller vivre à New York. En quittant Paris, je te quitte toi, mais tu sais, j'ai comme l'impression que ça ne te fera pas grand-chose, parce que tu préfères t'amuser, faire la fête, te pourrir la vie en gros et faire n'importe quoi et il y a un moment où j'en peux plus, je sature, ce moment est arrivé. Tu sais, j'ai bien essayé de te convaincre que faire n'importe quoi de ta vie n'était pas la meilleure solution, mais tu m'écoutes pas, t'es vachement têtue tu sais. En plus de ça, je repense à cette soirée...tu vois de laquelle je parle. On a fait une sacrée erreur en couchant ensemble, je regrette vraiment d'avoir gâché notre amitié à cause de ça, c'est pour ça aussi que je pars et que je te laisse tranquille une bonne fois pour toute. Tu ne veux pas de mon aide, tu seras de débrouiller toute seule dans ce cas-là.

Je reviendrai sûrement un jour, mais je ne sais pas quand.

Profite bien de ta vie comme tu sais le faire, malgré ce qu'il s'est passé je penserai toujours à toi, mais on ne peut plus être amis, pas après ça.

A bientôt, Gabi'. »

La lettre de Gabriel était froissée tellement je l'avais lu et relu, je n'arrivais pas à y croire, il était parti avant qu'il sache qu'il allait être papa. J'avais essayé de l'appeler, mais il ne répondait pas, il ne répondait plus. J'allais devoir élever ce gosse toute seule, parce que cette fois-ci il n'était pas là pour moi, je me débrouillerai seule hein comme tu l'as dit Gabi'.

Cher journal,

Paris 17 juin 2011

Depuis plus d'un an je n'ai pas touché à mon journal, il avait repris sa place habituelle, sous la planche en bois en dessous de mon lit. Ce sera la dernière fois que j'écris dedans, vraiment la dernière fois. Avant tout, il s'est passé beaucoup de choses. Ma grossesse : mes cinq premiers mois ont été plus qu'horrible, ma tante avait était-là, seulement quelquefois, le reste du temps j'avais du tout faire toute seule. Ça aurait dû être une fille, je dis ça aurait dû parce que ça n'est pas arrivé. Vers la fin de mon cinquième mois, j'ai fait une fausse couche. Je n'avais pas voulu de cet enfant au début, mais après je m'étais attachée à ce bébé, même s'il n'avait pas été prévu, je l'avais aimé pendant ses cinq premiers mois. Une épreuve terrible, malgré tout je m'en suis quelques peu remise. Après avoir perdu cet enfant, j'ai décidé de reprendre ma vie en mains. Mon changement de comportement soudain en a étonné plus d'un, mais je vais mieux, vraiment mieux, je ne vais plus autant à des fêtes, même s'il m'arrive quelquefois d'aller à certaine, ne serais-ce que pour me détendre un peu. Je n'ai plus eu aucune nouvelle de Gabriel depuis cette lettre et je n'en cherche pas à en avoir, après tout chacun a fait sa vie de son côté. Je ne vis plus avec ma tante, celle-ci est partie vivre dans le sud de la France. Je suis donc définitivement seule chez moi, du moins je vis toujours chez mes parents. J'ai trouvé un travail, en dehors de mes études, en tant que serveuse. Je n'en ai vraiment pas besoin, puisqu'avec l'héritage de mes parents je ne manque en aucun cas d'argent, mais j'avais envie d'avoir un travail à moi. A 21 ans, je prends un nouveau départ, pourtant je suis sûr que la vie me réserve encore pleins de surprises, mais je suis prête à les affronter, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, je n'ai pas vraiment le choix.